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Affaire Kenzo : Des peines de prison et d'interdiction de stade requises au terme d'un procès au bout de la nuit


le Samedi 26 Août 2023 à 07:07

Les trois jeunes hommes mis en cause pour les violences commises contre la famille de Kenzo, le 3 juin dernier au stade François Coty, lors du match ACA-OM, comparaissaient ce vendredi devant le tribunal d’Ajaccio. Au terme d’une journée fleuve qui s’est longtemps cantonnée à des questions de procédure, le procureur, Nicolas Septe, a requis des peines de prison avec sursis et des interdictions de stade. La décision a été mise en délibéré au 8 septembre.



(Photo Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP)
(Photo Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP)
C’est une affaire qui « aurait dû être d’une simplicité totale » et qui s’est pourtant étirée en longueur jusque tard dans la nuit. Trois supporters ajacciens âgés de 20 ans, comparaissaient ce vendredi devant le tribunal d’Ajaccio pour les faits de violence commis lors du match ACA-OM du 3 juin dernier à l’encontre de la famille de Kenzo, jeune supporter de l’OM atteint d’un cancer du cerveau, invité dans une loge du stade François-Coty. Mais avant l’étude des faits, c’est une question de procédure qui a occupé une grande partie de la journée. Ainsi, dès l’ouverture du procès à 10h30, les avocats de la défense ont déposé une demande de renvoi au motif de ne pas avoir eu accès aux bandes de vidéo-surveillance du stade François Coty. « Nous devons nous fier aux éléments collectés par les enquêteurs », a ainsi regretté Me Anna-Maria Sollacaro, l’avocate de l’un des prévenus en arguant que « l’exploitation qu’ils en ont fait ne saurait être suffisante pour satisfaire les droits de la défense ». Une demande rejetée par le président, Éric Métivier, qui a toutefois accepté de briser les scellés afin que les dites images puissent être visionnées par la cour. Pas de quoi satisfaire la défense qui a immédiatement déposé une requête en appel contre ce refus, espérant stopper le cours du procès qui a toutefois pu se poursuivre dans l’après-midi avec une longue séquence de projection des enregistrements jusqu’à près de 18 heures.
 
Des bandes d’images dont seule une séquence de quelques secondes, où l’on voit quatre jeunes hommes pénétrer dans la loge où Kenzo et sa famille étaient invités, est au cœur du procès. C’est pendant ces quelques instants qu’il est en effet reproché aux prévenus d’avoir exercé des violences physiques et psychologiques ayant entrainé des ITT inférieures à 8 jours sur Kenzo, son petit frère et ses parents et d’avoir obtenu le maillot du père de famille après lui avoir asséné des coups au visage. Dans la manœuvre, le jeune Kenzo aurait en outre été bousculé et aurait été légèrement blessé au visage. L’affaire, on s’en souvient, avait alors provoqué un grand émoi dans le pays, allant même jusqu’à faire réagir le Président de la République, Emmanuel Macron. Pourtant, selon les jeunes Ajacciens, les choses ne se seraient pas tout à fait présentées comme cela, notamment du point de vue des violences physiques.

"Je n’aurais jamais dû faire cela. Je regrette ce qu’on a fait, je m’excuse"

À la barre, pour se justifier, le prévenu désigné comme étant le premier avoir pénétrer dans la loge et comme l’auteur des coups et de l’extorsion du maillot du père de Kenzo, tiendra avant toute chose à pointer le comportement « injurieux » de ce dernier qui aurait nargué les supporters acéistes en leur faisant notamment un doigt d’honneur . Une version que met en doute le président. « On a du mal à imaginer qu’un père de famille puise se livrer à de telles provocations du haut de la tribune au risque de mettre en danger sa famille », souligne-t-il. Il rappelle en outre que le match ACA-OM, dans le cadre de la 38ème journée de L1, n’avait pas « un enjeu sportif majeur », et que celui-ci a cependant donné lieu à des échauffourées quelques minutes avant l’expédition dans la loge.

« J’étais sous le coup du mouvement de foule et de la colère », souffle le jeune homme du haut de son 1m93. Il tient toutefois à préciser ne pas avoir vu les deux enfants dans la loge, en assurant que « sinon cela ne se serait pas passé ainsi ». « Je ne m’en serais jamais pris à un enfant », insiste-t-il, niant à la fois avoir bousculé Kenzo mais aussi avoir porté des coups à son père. Il convient seulement avoir demandé à deux reprises à ce dernier d’enlever son maillot de façon agressive. Une intimidation qui serait déjà en soit constitutive d’une violence, selon le président de la cour qui parvient à arracher des excuses au jeune supporter. « Je n’aurais jamais dû faire cela. Je regrette ce qu’on a fait, je m’excuse », souffle-t-il en reprenant : « On a du mal à vivre avec cela ». Au vu de l’ampleur médiatique prise par l’affaire, il indique en effet avoir reçu des menaces. Présentés comme des suiveurs, ses deux co-prévenus pointeront pour leur part une décision de monter dans la loge prise sur le coup de l’immaturité. 

"On n’est pas face à des barbares, ni des ultras, mais des gamins qui se sont laissés emporter"

C’est aussi ce que retient Me Philippe Armani, l’avocat de l’ACA. « On est face à des gamins de 20 ans qui ont fait une énorme connerie. On n’est pas face à des barbares, ni des ultras, mais des gamins qui se sont laissés emporter. Ils ont fait preuve manifestement d’un manque de maturité terrible et ils ne se sont pas rendus compte du mal qu’ils faisaient », estime-t-il en leur assénant : « Vous avez fait du mal à une famille, à un petit garçon malade, à un club de football ». 

Un message qu’amplifiera Me Frédéric Pourrière, l’avocat de la famille de Kenzo lors de sa plaidoirie. « Mes clients ont été touchés et sont encore déstabilisés. D’ailleurs, ils ne sont pas présents parce que leur médecin psychiatre leur a déconseillé de venir à cette audience, car ils sont encore trop fragiles pour assister à ces débats. Et puis, suite aux commentaires que l’on a pu voir sur les réseaux sociaux, ils ne souhaitaient pas se rendre sur l’île, craignant pour leur sécurité ». Face aux trois prévenus qui « n’ont cessé de répéter que mes clients mentent », il tient à démontrer la véracité de leurs propos, en prenant à l’appui témoignages et constatations médicales produites dans la procédure. Il soutient en outre que « les déclarations de Kenzo et son père » n’ont pas varié quant au récit de ce qui se passe dans la loge au moment de l’arrivée des jeunes acéistes. « L'un des prévenus arrive dans la loge, bouscule Kenzo pour aller porter 2 coups de poing au père et obtenir le maillot », détaille-t-il en notant que « les médecins qui auscultent les victimes disent bien que les blessures correspondent aux faits décrits ». « Ce sont des violences gratuites et totalement inattendue pour la famille, qui ont eu un impact important sur leur vie », assure-t-il en dévoilant que la famille « souffre d'un syndrome post traumatique ». « Mes clients ne sont pas des menteurs, et les faits décrits sont bien ceux qui se sont passés. Pourquoi mes clients mentiraient ? Pourquoi se mettraient ils dans cette situation alors qu’ils ont bien assez de stress avec la maladie de Kenzo ? », interrogera-t-il. 
 
En réponse, Me Anne-Maria Sollacaro, sifflera : « Pourquoi nos clients mentiraient ? ». L’avocate de la défense regrette en effet que les doutes quant à la véracité des déclarations ne pèsent que sur les prévenus et que « les choses soient allées un peu vite dans ce dossier ». « Une précipitation peut-être pour répondre aux injonctions présidentielles », fustige-t-elle, « On a fait de cette affaire une problématique publique, politique. Nous voulions que toute la lumière soit faite, que la manifestation de la vérité permette de rétablir l’équilibre de cette balance ». Elle souligne en outre que « l’intentionnalité des prévenus est l’extorsion d’un t-shirt que l’on estimait ne pas devoir être là ». « Ce n’est pas un dossier qui méritait tout cela », cingle-t-elle. 

La décision mise en délibéré au 8 septembre

À l’heure de ses réquisitions, le procureur, Nicolas Septe, conviendra que le « dossier a connu un fort retentissement médiatique » et « a beaucoup fait parler de lui jusqu’au plus haut sommet de l’État ». Pour autant, il martèle que « la volonté du ministère public n’était pas de shunter l’enquête ». Il déplore par ailleurs qu’à l’issue des débats « ces jeunes gens de 20 ans n’ont pas pris conscience de la gravité des faits qu’ils ont commis ». « À partir du moment où on commet des violences qu’elles soient physiques ou psychologiques il fait en assumer les conséquences », tance-t-il en déplorant que « les mots des prévenus n’aient pas été plus francs envers les parties civiles ».
 
Retenant ces excuses « un peu faibles par rapport à l’enjeu de ce dossier », mais aussi le fait que les trois jeunes hommes sont des primo-délinquants (deux ont un casier judiciaire vierge, mais l’un est mis en cause dans une autre dossier pas encore jugé, tandis que le troisième a été condamné pour vol aggravé alors qu’il était mineur), il demande une peine de prison de 12 mois avec sursis, 1000 euros d'amende et une interdiction de stade pour 5 ans pour deux des prévenus. Compte tenu de son « rôle principal dans le dossier », il requiert par ailleurs 18 mois de prison dont 12 avec sursis, 1500 euros d’amende et une interdiction de stade pour 5 ans contre le troisième mis en cause. Au terme d'une journée fleuve, à plus de minuit, la décision a été mise en délibéré au 8 septembre prochain.