Un théâtre vivant, enraciné et ouvert. C’est l’ambition portée par l’Università Statinale di Teatru, qui se tiendra à Corte du 5 au 8 juin prochains. Pensée comme un espace de formation, de création et de dialogue, cette université d’été nouvelle génération est gratuite et ouverte à tous. Elle est portée par le Centre Culturel Universitaire et le laboratoire LISA (UMR CNRS/Université de Corse), avec le soutien de la Ville de Corte et de l’Office de Tourisme. L’événement s’inscrit dans la continuité des premières universités d’été qui, avant la réouverture de l’Università di Corsica en 1981, avaient posé les bases d’un renouveau culturel insulaire, ainsi que des cycles initiés par Jacques Thiers au sein du CCU.
En quatre jours, neuf spectacles, trois tables rondes et des ateliers de pratique théâtrale rythmeront la semaine. Sept représentations seront jouées en langue corse – certaines avec sous-titres français –, une en occitan et une autre en galicien, toutes deux traduites… en corse. Un choix fort, qui affirme la langue corse comme langue de création, mais aussi comme langue de référence de ces journées. « Chaque langue est une vision unique du monde qui enrichit notre héritage commun », souligne Davia Benedetti, maître de conférences en anthropologie et directrice du Centre Culturel Universitaire. « La diversité linguistique, tout comme la biodiversité, est une richesse inestimable qui reflète la créativité de l’humanité. Sa vitalité conditionne la prospérité des cultures, leur adaptation et leur transmission. »
Pensée comme une traversée scénique, la programmation s’appuie sur un parcours sociohistorique. Elle convoque une pièce de Notini (1930), témoignant du théâtre corse traditionnel, mais aussi une relecture de A Rimigna, emblème du Teatru Paisanu dans les années 1970, ou encore une adaptation du drame A l’uscita de Pirandello, centré sur la place de la femme dans une société corsetée par les apparences. Le théâtre jeune public n’est pas oublié, avec une pièce en corse pleine de macagna jouée par les élèves de l’école Sandreschi de Corti. « L’objectif n’est pas de figer la scène dans des traditions rigides, mais de définir les cadres d’une création où la langue corse serait constitutive d’un champ esthétique et politique global », explique encore Davia Benedetti. La dimension contemporaine de l’événement se retrouve dans plusieurs créations récentes qui abordent des thèmes aussi variés que la violence, la corruption, le genre, la migration, la mémoire, le pouvoir ou la peur – toujours dans une langue forte, charnelle, vivante.
Trois temps forts chaque jour, pour tous les publics
La structure de l’Università Statinale di Teatru repose sur un trépied : les matinées (10h–12h) seront consacrées à des ateliers de pratique théâtrale ouverts à tous les publics, menés à la Faculté de Lettres ; les après-midis (14h) donneront lieu à des tables rondes à l’UMR LISA, en présence de chercheurs, artistes et spécialistes ; les soirées seront rythmées par des spectacles programmés au Spaziu Natale Luciani et au FRAC de Corse, à 18h et à 21h.
Un temps à destination des jeunes publics est aussi prévu le jeudi 5 juin à 14h30, avec des actions de médiation destinées aux élèves de maternelle, primaire, collège et lycée. Cette dimension éducative constitue l’un des piliers de la manifestation, qui entend aussi « transmettre à une nouvelle génération les outils de lecture du monde que sont la langue et la création artistique ».
L’un des objectifs affichés est de rendre visible au-delà de l’île la création en langue corse, encore trop peu diffusée à l’extérieur des circuits militants ou insulaires. « L'Università Statinale di Teatru répond à la difficulté pour le théâtre en langue corse de se faire connaître au-delà des frontières insulaires et constitue un levier puissant pour dynamiser la création locale », affirme Davia Benedetti. L’événement s’inscrit aussi dans une dynamique scientifique et artistique, via le projet RIME Lab / Tourism’Lab, soutenu par le PIA UNITI. Le croisement des regards – entre chercheurs, artistes, publics et professionnels – nourrit une réflexion commune sur la place des langues minoritaires dans la création contemporaine. « Dans un monde où les nouvelles technologies tendent à uniformiser les imaginaires, la production et la diffusion d'œuvres en langues minoritaires devient un acte de résistance », insiste la directrice.
Une fabrique du possible
Par l’art, il s’agit ici de refonder un vivre ensemble fondé sur la reconnaissance des diversités, culturelles, linguistiques, sociales. Dans un contexte corse où les tensions identitaires et les mutations sociales sont vives, le théâtre peut devenir – ou redevenir – un espace d’expression, de transmission et de débat. « L’Università Statinale di Teatru propose un espace de réflexion et d’expérimentation, une fabrique du possible, où l’art devient un terrain de construction identitaire et de projection collective », conclut Davia Benedetti. L’Université de Corse, fidèle à sa mission de service public, y joue pleinement son rôle, en accompagnant la structuration d’un pôle de création artistique et littéraire en langue corse.
Tous les événements sont gratuits, sans réservation, et s’adressent à un large public curieux, insulaire ou de passage, néophyte ou familier du théâtre, corse ou non corse. La langue n’est pas une barrière ici, mais le point de départ d’une rencontre.