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Pollution en Méditerranée : Le député européen François Alfonsi fait adopter une stratégie de lutte macrorégionale


Nicole Mari le Mardi 9 Mai 2023 à 20:45

Le rapport d’initiative, porté par le député européen François Alfonsi, sur la stratégie macrorégionale pour la Méditerranée a été adopté, ce mardi, au Parlement européen, à une très large majorité. L’objectif est de mettre en place la même stratégie de lutte contre le changement climatique et de réponse aux enjeux environnementaux, déjà efficiente en mer Baltique. Avec trois demandes spécifiques : la création d’une zone ECA pour diminuer la pollution des navires, l’interdiction des giga navires de croisière et la lutte contre la surpêche par l’instauration d’aires marines protégées. François Alfonsi explique à Corse Net Infos qu’il y a des urgences qu’il faut impérativement traiter.



François Alfonsi, député européen, membre du groupe des Verts-Alliance Libre européenne, président de la Fédération Régions & Peuples solidaires, membre du parti Femu a Corsica.
François Alfonsi, député européen, membre du groupe des Verts-Alliance Libre européenne, président de la Fédération Régions & Peuples solidaires, membre du parti Femu a Corsica.
- Votre rapport a été adopté à une très large majorité. C’est une victoire pour un rapport sur la Méditerranée ?
- Oui ! Il a été adopté par près de 97% des suffrages exprimés, c’est presque une unité. C’est l’aboutissement d’un parcours. Le nombre de rapports d’initiative est limité au Parlement européen. Il a donc fallu d’abord réussir à faire accepter le thème par mon groupe, ensuite par la conférence des présidents, et après mener le travail de rédaction, compiler les amendements que les uns les autres souhaitaient voir pris en compte et proposer des compromis. Ce travail a été très coopératif avec les autres rapporteurs des autres groupes, il a fait que le vote d’aujourd’hui a été particulièrement large et favorable. Il y a eu une tendance abstentionniste du Front National dans le cadre de l’Extrême droite qui relève plus d’une doxa anti-européenne que d’une hostilité sur le fond du rapport. L’adhésion est bonne, et elle permet à partir du Parlement européen, d’enclencher une dynamique vers le Sud. Ce qui est indispensable !
 
- Quel a été le plus difficile ?
- Le plus difficile a été d’obtenir l’inscription à l’ordre du jour de la séance plénière. Tous les députés veulent faire passer leurs propres rapports. Il y a beaucoup de propositions, mais les créneaux sont limités. Chaque rapport suppose qu’un personnel du Parlement européen lui soit affecté pendant huit mois, qu’il y ait des créneaux dans l’ordre du jour et dans les réunions de commission, c’est-à-dire un espace-temps et des moyens matériels qui sont limités. Le travail était de convaincre l’Union européenne de l’importance de se tourner enfin vers la Méditerranée. On le constate depuis plusieurs années, l’actualité des pays de l’Est - d’abord l’élargissement, aujourd’hui la guerre en Ukraine - fait qu’on ne regarde plus tellement vers le Sud. D’autant plus qu’il y a eu beaucoup de déception dans le déroulement des politiques, suite aux révolutions arabes de 2010 et 2011. L’Union européenne (UE) ne regarde pas vers le Sud, sauf que nous sommes dans le Sud ! La Méditerranée, c’est l’Europe ! Ce n’est pas un corps étranger ! Et ce qui s’y passe est inquiétant !
 
- Quelles sont vos inquiétudes ?
- Les problèmes ne font que s’aggraver en Méditerranée. Les climatologues ont produit des cartes démontrant que l’impact du réchauffement climatique serait 20 % plus important en Méditerranée que dans le reste de l’Europe. Donc, cela doit être un espace prioritaire. Cet espace subit des pressions anthropiques et économiques de plus en plus fortes, notamment plus de tourisme et plus de trafic maritime. Le trafic maritime international transite par le canal de Suez, passe par la Méditerranée, gagne les ports du Sud et, par Gibraltar, les ports du Nord de l’Europe. Il génère de nombreux rejets atmosphériques et de pollution marine avec les dégazages. On sait que les pratiques ne sont pas tout à fait normalisées et qu’il faudra mettre des moyens en œuvre pour les éradiquer. L’UE a la responsabilité d’être à la manœuvre pour réguler le trafic maritime mondial. Elle a une capacité à agir que n’ont pas les pays de la rive Sud, pas simplement parce qu’elle a des moyens financiers, mais parce qu’elle a des réseaux d’universités, de scientifiques, d’acteurs capables de proposer des solutions. Elle a aussi une pratique largement éprouvée de la coopération transfrontalière et une expérience que d’autres n’ont pas. Une stratégie macro-régionale existe déjà en Mer Baltique, dans l’Arc alpin et sur le bassin du Danube. Il faut qu’elle existe aussi dans l’espace méditerranéen parce qu’il y a des urgences qu’il faut traiter.

- En quoi consiste cette stratégie macro-régionale ?
- Cette stratégie permettra d’abord de coordonner les acteurs. Nous demandons que cette coopération soit multi-niveaux, c’est-à-dire qu’elle rassemble les Etats, l’UE, mais aussi les principales régions concernées afin de les ’impliquer dans la définition des objectifs et des moyens pour les atteindre. L’idée est de créer la dynamique commune et, à partir de là, des objectifs communs. Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est bien évidemment de mieux réguler les activités qui imprègnent la biodiversité. C’est, par exemple, diminuer la pollution plastique à la source et faire en sorte que, dans chaque pays et dans chaque région, des politiques concrètes soient mises en place pour empêcher les versements par centaines de tonnes tous les ans en Méditerranée d’une matière polluante qui s’entasse dans les fonds marins. Après la définition des objectifs, on fait des propositions de moyens. Les fonds européens existent et sont déjà à disposition des politiques interrégionale, ou à destination de pays comme l’Albanie ou le Monténégro qui sont candidats à l’accession à l’UE, ou aussi à destination des pays de l’Afrique du Nord. Le fait de structurer et de coordonner les objectifs à un niveau macro-régional donnera plus de pertinence à l’utilisation de ces fonds pour obtenir des résultats concrets et efficaces. Il faut se donner un espace de temps de 10 ans pour voir comment cette gouvernance se met en place, quelles priorités elle définit, comment la Commission européenne, qui pilote cette stratégie macro-régionale, impulse des propositions qui conviennent à la majorité des acteurs ? Si on ne coordonne pas les politiques publiques et si chaque région, chaque territoire est livré à lui-même face aux problèmes qui se pose, il n’y aura pas de solution.  
 
- Vous faites des demandes concrètes, notamment la mise en place d’une zone ECA (Emission Control Area). Pourquoi, alors qu’il existe déjà une zone SECA ?
- C’est très clairement un des résultats de la stratégie macro-régionale de la Mer Baltique. C’est la première stratégie qui a été mise en place par un accord entre les pays membres de l’UE qui bordent la Mer Baltique - Finlande, Pologne, Suède et Allemagne -, mais aussi les pays hors UE, comme la Norvège ou la Russie. La première priorité, parce qu’il y a énormément de trafic maritime dans cette zone, a été d’obtenir la dépollution des bateaux. Le résultat est qu’aujourd’hui, les bateaux, qui sont nouvellement mis en exploitation sur la ligne de Corse, viennent de la Mer Baltique où ils ne sont plus autorisés à naviguer. Il faut en Méditerranée une réglementation plus stricte qui passe par un consentement de tous les pays riverains et qui arrive progressivement à atténuer et régler ce problème de pollution de l’air par la circulation maritime. De la même façon, il faut une meilleure surveillance par rapport au dégazage. Tous les comportements, que l’on observe, tiennent à la mauvaise pratique des capitaines de certains navires, mais aussi au fait que les infrastructures dans les ports européens sont insuffisantes pour permettre ce dégazage dans des conditions acceptables sans perte de temps contraire aux intérêts économiques des flottes. Il y a plusieurs problèmes qu’il faut identifier, bien cerner et bien mettre en avant pour susciter des investissements des ports et des autorités concernées avec le soutien de l’UE et des différents fonds de cohésion qu’elle est capable de mettre en œuvre pour que de telles politiques puissent avancer.
 
- Vous réclamez aussi l’interdiction des giga-navires de croisière qui font l’objet d’une polémique récurrente aujourd’hui en Corse, mais pas seulement. Est-ce envisageable ?
- Oui ! Il y a une dérive de l’activité de croisière vers un gigantisme démesuré qui provoque des protestations aussi bien à Venise, Marseille ou Ajaccio. Cette politique ne peut être renversée que par un choix collectif commun à toutes les destinations. La Méditerranée représente 40 % de l’activité mondiale de la croisière. Si tout le monde est d’accord pour dire que les bateaux, qui arrivent, ne doivent pas dépasser un certain gabarit, vous allez voir que l’activité de la croisière va s’adapter à la réglementation. Aujourd’hui, c’est le contraire : c’est l’activité de la croisière qui impose sa démesure sans que personne ne puisse rien dire. Le port d’Ajaccio tout seul n’est pas en mesure de réguler un marché aussi considérable dans toute la Méditerranée. Par contre, si les principaux ports concernés sont d’accord pour, tous ensemble, limiter cette activité, cette activité se transformera pour devenir plus raisonnable. Je crois que c’est le chemin qu’il faut suivre. Il n’y a pas d’avenir écologique de la Méditerranée, si on n'est pas capable de réglementer sérieusement les activités qui s’y développent. La pression humaine est quand même un des facteurs les plus importants de la dégradation du milieu.

Le député Alfonsi au Parlement européen.
Le député Alfonsi au Parlement européen.
- La pression humaine est très forte en matière de surpêche, vous voulez renforcer les aires marines protégées et la pêche artisanale. Est-ce une urgence ?
- Oui ! La surpêche en Méditerranée est un fait établi par les rapports scientifiques depuis de nombreuses années. Il y a aujourd’hui une petite éclaircie sur la pêche au thon rouge - qui était une espèce en voie de disparition - grâce aux mesures de surveillance et de restriction qui ont été prises et qui ont été très loin. D’importants moyens ont été déployés avec une surveillance bateau par bateau, par satellite, sur les prises opérées. Cette politique très lourde a conduit les scientifiques à retirer le thon rouge de la liste des espèces menacées. Ce que l’on a pu faire pour le thon rouge, il faut être capable de le faire pour les différentes espèces menacées par la surpêche. La surpêche n’est pas favorable à la profession des pêcheurs, elle conduit à terme rapproché à la disparition de la pêche. Il faut un travail de concertation entre tous les pays. Ce qui se passe en Corse doit être comparable à ce qui se passe en Sardaigne, sans quoi cela mènera forcément à des difficultés. Il faut donc se coordonner, être capable de donner la parole aux scientifiques, de mettre en œuvre des mesures qui encadrent l’activité afin qu’elle aille vers un équilibre écologique, et pas simplement vers un équilibre économique. La stratégie macro-régionale de l’UE peut le faire parce qu’elle permet, sujet par sujet, d’ouvrir des commissions spécialisées et d’obtenir des consensus d’Est en Ouest et donc sur tout l’espace méditerranéen.

- Ce rapport voté, que va-t-il se passer maintenant ? Vous faut-il convaincre la Commission européenne de le mettre en œuvre ?
- La décision de mettre en œuvre une stratégie macro-régionale en Méditerranée est désormais acquise par ce vote. La procédure est que le Conseil européen demande à la Commission d’en établir la feuille de route. Il faut donc que le Conseil, qui rassemble les Etats-membres, c’est-à-dire des Etats qui, comme l’Autriche et la Tchéquie, n’ont pas de façade maritime ou ne sont pas méditerranéens, soit saisi. Cela se fera si les principaux Etats méditerranéens décident d’en faire leur affaire, de la même façon que cela s’est passé, il y a 10 ans, avec les pays de la mer Baltique. Chypre ne s’est pas opposée à la macro-région de la mer Baltique, je n’imagine pas que la Finlande s’oppose à une stratégie macro-régionale en Méditerranée. Il est intéressant que ce rapport ait été voté aujourd’hui parce qu’une opportunité s’ouvre avec la présidence espagnole de l’UE qui débute le 1er juillet prochain. L’Espagne, qui a une façade maritime méditerranéenne de première importance, pourrait, à condition d’être soutenue par les grands Etats concernés - France, Italie, Grèce… - être l’initiateur de cette mise en œuvre en posant par une déclaration cette demande à la Commission européenne. À ce moment-là, la machine serait lancée. Les régions concernées ont aussi un rôle à jouer. Personne n’ignore que ni Madrid, ni Paris ne sont des capitales méditerranéennes, c’est pourquoi la Corse, la Provence, l’Occitanie, la Catalogne, les Baléares, les grandes régions italiennes… doivent se retrouver sur cet objectif. Le Comité des régions a été amené à débattre favorablement là-dessus. Mon sentiment est que le consensus des régions sera peut-être plus rapide et plus spontané que celui des Etats, mais si tout le monde fait pression, je crois qu’on y arrivera.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Quelques chiffres clés en Méditerranée :

Photo CNI.
Photo CNI.
- 110 millions d’Européens vivent sur le pourtour méditerranéen.
- Le bassin méditerranéen se réchauffe 20 % plus vite que la moyenne mondiale et est exposé à la raréfaction des ressources en eau, à la perte de biodiversité et à des risques accrus de catastrophes, d’incendies, d’inondations et d’insécurité alimentaire.
- 730 tonnes de déchets plastiques y sont déversées chaque jour.
- La mer Méditerranée est la mer la plus surpêchée du monde et la région d’Europe qui possède la plus forte proportion d’habitats marins menacés. Le nombre de mammifères marins y a diminué de 41 % au cours des 50 dernières années et environ 80 % des stocks de poissons sont victimes de la surpêche.
- Le transport maritime en Méditerranée, qui assure 20 % du commerce mondial dans une zone qui ne représente que 1 % de l’océan mondial, est à l’origine du déversement de 100 000 à 200 000 tonnes d’hydrocarbures chaque année. La pollution au fioul lourd des navires cause plus de 1730 morts prématurées par an.
- La Méditerranée accueille 31 % du tourisme mondial sur moins de 6 % de la superficie mondiale. Un giga navire de croisière en escale émet autant de particules fines et d’oxyde d’azote qu’un million de voitures.