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La fréquentation touristique menace-t-elle les îles Lavezzi ?


Nicole Mari le Mercredi 7 Août 2013 à 22:28

Près de 180 000 visiteurs débarquent, chaque été, sur les îles Lavezzi, situées dans les Bouches de Bonifacio, la plus grande réserve naturelle de France métropolitaine. Ce milieu très protégé et, néanmoins, très fragile abrite plus d’un tiers des espèces remarquables de Méditerranée. La gageure pour l’Office de l'Environnement de la Corse (OEC), gestionnaire de la réserve, est de concilier l’essor de l’activité touristique et la protection de ce patrimoine naturel remarquable. Explications, pour Corse Net Infos, d’Olivier Bonnenfant, chargé de communication de la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio.



Olivier Bonnenfant, chargé de communication de la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio.
Olivier Bonnenfant, chargé de communication de la Réserve Naturelle des Bouches de Bonifacio.
 
- La surfréquentation estivale dans les îles Lavezzi est-elle source de problèmes ?
- Non. Il n’y a pas vraiment de problème, mais il faut être vigilant afin de ne pas en créer. L’île est petite, elle s’étend sur 60 hectares environ, et accueille, chaque année, plus de 200 000 visiteurs. Ces visites sont très concentrées sur les mois de juillet et d’août où près de 180 000 personnes débarquent sur l’île, avec des pics, souvent dans la semaine du 15 août, de 5000 personnes dans une seule journée. La fréquentation est en légère progression sur la saison estivale et augmente, depuis peu, en avant-saison où près de 50 000 personnes arrivent sur l’île entre avril et juin. 
 
- Cette concentration sur 2 mois n’a-t-elle pas d’impact écologique ? Ne cause-t-elle pas de dégradation ?
- Elle a un impact que nous mesurons, mais, pour l’instant, elle ne cause pas de dégradation. Nous le vérifions à l’aide d’indicateurs biologiques tels que les populations d’oiseaux qui nichent sur l’île et les populations de plantes qui y poussent. Nous surveillons ces indicateurs afin d’être sûrs que l’impact de la fréquentation est relativement maîtrisé. Néanmoins, si l’île ne se dégrade pas, nous atteignons, au niveau de la fréquentation estivale, le seuil de saturation. Nous n’avons pas encore assez de recul pour mesurer l’impact de l’augmentation de la fréquentation en avant-saison, notamment en ce qui concerne les espèces végétales qui sont, à ce moment-là, en fleur.
 
- Comment conciliez-vous le tourisme et la protection de l’environnement ?
- L’intérêt de l’île est, avant tout, d’abriter des espèces patrimoniales, pour la plupart, protégées. Ces espèces sont très bien suivies, pour certaines d’entre-elles, depuis plus de 30 ans. Nous avons, donc, une idée précise de l’évolution de leur population. Les populations d’oiseaux, comme le Puffin cendré ou le Cormoran huppé des marais, et de plantes, comme l’arum tue-mouche ou la Silène veloutée, vont bien. Pour l’instant, on peut, encore, concilier l’activité touristique, qui est une activité économique non négligeable pour la microrégion, et la protection de l’environnement qui est le cœur de métier d’une réserve naturelle.
 
- Toute l’île est-elle accessible ?
- Non. Nous demandons aux gens de rester sur les sentiers et les plages, de ne pas jeter leurs déchets et d’avoir un comportement exemplaire quand ils sont dans une réserve naturelle. La plupart respecte ces consignes, mais il y a toujours, malheureusement, certains qui passent à côté.
 
- Qu’est-il interdit de faire ?
- Sont interdits le camping, le bivouac, de jeter les déchets et de sortir des sentiers, c’est-à-dire de marcher dans les chaos rocheux. L’île est constituée à 60 % d’énormes chaos rocheux qui abritent des populations d’oiseaux, comme le Puffin cendré, qui nichent en dessous. Sont, également, interdites, toutes les formes de pêche et de chasse. On ne peut pas pratiquer de chasse sous-marine autour de l’île et on ne peut pas, non plus, pêcher avec une canne depuis l’île.
 
- On a beaucoup parlé de braconnage. Qu’en est-il réellement aujourd’hui ?
- Le braconnage dans les Bouches de Bonifacio a beaucoup diminué. A la création de la réserve, en 1999, on dressait une vingtaine de procès-verbaux pour braconnage par an. On en dresse, aujourd’hui, moins de 5 par an. Le braconnage étant principalement, soit la pêche par des moyens interdits, soit la pêche d’espèces protégées dans des zones interdites. La plupart du temps, il s’agit de chasse marine dans des zones où elle n’est pas autorisée. Le braconnage n’est plus aujourd’hui notre inquiétude principale parce que nous faisons un important effort de surveillance grâce à un service très structuré. 15 gardes commissionnés et assermentés et 10 bateaux patrouillent toute l’année, de jour, comme de nuit. Si nous arrêtions cet effort de surveillance, la lutte contre le braconnage redeviendrait une priorité.
 
- Saisissez-vous des bateaux ?
- Oui. En tant que réserve naturelle, nous disposons d’un pouvoir de police très intéressant qui est le pouvoir de saisie, c’est-à-dire qu’un agent assermenté peut saisir les moyens qui ont permis de commettre l’infraction et les moyens qui ont permis de se rendre sur les lieux de l’infraction. Pour les infractions les plus graves, on a déjà saisi des bateaux. Le dernier bateau saisi date de 2010 pour des faits de braconnage sur l’île des Moines. On avait affaire à des braconniers organisés qui disposaient d’une carte avec les zones de pêche marquées et qui avaient déjà fait nombre de prélèvements.
 
- La forte fréquentation plaisancière n’a-t-elle pas de répercussions négatives sur les fonds marins ?
- Les bateaux peuvent mouiller autour de l’île. Pour limiter, quand même, l’impact de cet ancrage, nous avons défini, avec la Préfecture maritime et la commune de Bonifacio, un plan de balisage qui réduit l’ancrage à 5 zones. Cette mesure, mise en œuvre depuis 2009, s’est avérée très efficace. En 4 ans, nous avons constaté une baisse significative des bateaux ancrés autour de l’île et surtout une baisse des grosses unités. Celles-ci, qui possèdent une ancre de grand diamètre, ont un impact très important sur les posidonies. Aujourd’hui, elles vont mouiller plus loin, dans des fonds essentiellement sableux. Ce qui, du coup, limite énormément l’impact négatif de l’ancrage du à la fréquentation plaisancière.
 
- Vous parlez de seuil de saturation atteint. Faudrait-il instaurer des quotas de fréquentation ?
- Nous sommes des gestionnaires. La 1ère chose à faire, c’est de mesurer le nombre de personnes qui arrivent sur l’île. Nous faisons un suivi de la fréquentation grâce à des systèmes mis en place tels que les écocompteurs, qui sont des dalles sur lesquelles les gens marchent. Elles nous permettent de mesurer les passages sur l’île. Si la fréquentation atteint un seuil critique, la question sera posée au Comité consultatif de la Réserve naturelle. Ce Comité réunit l’ensemble des acteurs institutionnels et économiques de la région qui, eux seuls, peuvent décider d’éventuelles mesures à prendre.
 
- Pensez-vous qu’il y a urgence ?
- Non. Pour l’instant, l’Office de l’environnement met beaucoup de moyens, notamment par l’emploi de saisonniers, pour canaliser l’impact de cette fréquentation. En plus des agents permanents assermentés pour dresser des procès-verbaux en cas d’infraction, une dizaine de jeunes saisonniers sont embauchés, l’été, uniquement pour accueillir les gens dès leur descente du bateau, les informer et patrouiller sur l’île. La présence de ces saisonniers limite beaucoup les dégradations observées les années précédentes.
 
- La situation dans les Bouches de Bonifacio est-elle similaire à celle des autres réserves naturelles de Corse ?
- Chaque réserve naturelle a son gestionnaire qui doit faire face à ses problématiques et qui dispose de moyens propres pour y répondre. Tout ce que je peux dire, c’est que notre gestionnaire, l’Office de l’environnement de la Corse, met les moyens pour convenablement protéger les Bouches de Bonifacio qui forment une très grande réserve naturelle. Avec 80 000 hectares, c’est même la plus grande réserve naturelle métropolitaine. Elle a, donc, une multitude de problématiques à gérer et elle a les moyens de les gérer.
 
Propos recueillis par Nicole MARI