Corse Net Infos - Pure player corse

Rencontre de l’Exécutif corse avec Jean-Michel Blanquer : Un dialogue de sourds ?


Nicole Mari le Lundi 1 Avril 2019 à 23:03

Une délégation corse, composée du président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, du président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, du conseiller exécutif en charge de la langue corse, Saveriu Luciani, et de la conseillère exécutive à la culture, Josepha Giacometti, ont été reçus, lundi après-midi à Paris, par le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, en présence de la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, et de la rectrice de l’Académie de Corse, Julie Benetti. Deux sujets majeurs sur la table : la langue corse et l'école rurale à travers le statut d’île-montagne. Une rencontre cordiale dans la forme, jugée sur le fond très ouverte et positive par la rectrice, mais peu convaincante pour les élus insulaires.



La délégation corse reçue par Jean-Michel Blanquer au ministère de l'Education.
La délégation corse reçue par Jean-Michel Blanquer au ministère de l'Education.
C’est ce qu’on appelle : un dialogue de sourds, ou tout au moins de malentendants, tant les deux parties face à face n’ont pas entendu la même chose. Lundi soir, une délégation d’élus nationalistes, portée par le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, a rencontré le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer. Une rencontre prévue de longue date, plusieurs fois retardée, sur deux sujets majeurs et sensibles : le soutien à l’école rurale dans le cadre du statut d’île montagne, et la politique linguistique et culturelle, plus précisément la langue corse dans le viseur de la réforme du baccalauréat. Il a également été question d’immersion, d’agrégation interne et externe du corse, de recrutement… Mais aussi du cadre normatif dérogatoire qui serait l’aboutissement d’une cohésion entre l’Etat et la Collectivité de Corse (CdC) sur l’éducation dans l’île. « Rien de ce que vous dites ne me choque », a dit le ministre aux élus corses, et pourtant !
 
Pas grand chose !
« Nous lui avons, d’abord, parlé de la nécessité d’appliquer la loi qui oblige tous les ans à ouvrir une négociation sur les moyens affectés à l’académie. Cette loi n’a jamais été appliquée depuis cinq ans », explique Gilles Simeoni. « On le fera », assure le ministre. « On ne sait pas ce que cela donnera », commente le président. « Le ministre est d’accord pour décliner une vision pluriannuelle dans le cadre d’une contractualisation avec l’Etat sur les moyens et pour décliner le statut d’île-montagne sur les critères, mais ne dit pas comment il les décline. Il n’a pas travaillé dessus. A ce stade, il n’y a pas de garantie ». Idem pour le soutien à l’enseignement immersif : « Il accepte de travailler, mais n’a pas pris d’engagement précis ». Concernant la remise en cause de la langue corse dans la réforme du baccalauréat : « On en discutera, mais je ne vois pas où est la difficulté », déclare Jean-Michel Blanquer. « Il nous a proposé d’organiser des groupes de travail pour savoir comment articuler la langue corse comme pivot vers les langues romanes, latines et autres. Il est d’accord pour généraliser les 3 heures d’enseignement du corse au collège », ajoute Gilles Simeoni. Pour lui, globalement, ce fut « Une rencontre cordiale, sympathique, mais, sur le fond, pas grand chose, pas de concrétisation évidente ».
 
Le soutien à l’école rurale
Ce n’est pas du tout l’avis de la rectrice Julie Benetti qui livre une autre lecture du discours ministériel : « Le ministre s’est montré très ouvert tout au long de l’échange pour envisager un certain nombre d’avancées ». Sur l’île-montagne ? « Il n’y a pas eu de divergence avec les élus. Le ministre a rappelé son volontarisme pour soutenir l’école rurale avec la création de 100 postes en deux ans, ce qui rapporté aux 254 écoles de l’académie de Corse est tout à fait considérable. L’existence de 7 collèges sur 29 collèges publics, qui comptent moins de 200 élèves avec un taux d’encadrement exceptionnel de 19 élèves en moyenne par classe, montre des efforts tout à fait significatifs pour maintenir et soutenir l’école et les collèges ruraux ». Sur l’immersion linguistique ? « Le ministre a souhaité qu’un bilan soit fait. Comme toute expérimentation, celle-ci doit conduire à une évaluation. Un nouvel appel à candidature sera lancé pour la rentrée prochaine afin que d’autres écoles puissent être candidates ».
 
Des avancées significatives
La langue corse dans la réforme du baccalauréat ? « Le ministre, très justement, a invité l’ensemble des élus présents à assurer la publicité de la spécialité « Langue corse » afin que nous puissions travailler ensemble à son succès. A ce jour, près d’une centaine d’élèves ont formulé le vœu de cette spécialité en classe de 1ère. Le ministre a proposé la mise en place très rapide d’un groupe de travail d’innovation pédagogique entre langue corse et langue romane. Nous souhaitons – et c’est un objectif partagé avec les élus de la Collectivité – créer des parcours « Langue romane » afin que la maîtrise de la langue corse soit un point d’entrée et d’ouverture à d’autres langues romanes et latines », affirme Julie Benetti. Pour elle, donc, rien que du positif ! « Les avancées sont très significatives. L’expression du ministre a été très concrète et très précise. On a pu, à la fois, dresser un état des lieux positif de l’académie, et surtout tracer des perspectives ».
 
Pas de réponses !
L’appréciation laisse perplexe Saveriu Luciani, conseiller exécutif en charge de la langue corse : « Ce fut un dialogue poli, mais sans réelle intention affichée de répondre aux aspirations du peuple corse. Sur le fond, on n’a pas de réponses ! Le seul point un peu optimiste est le soutien à l’école rurale avec la vision pluriannuelle que le ministre veut impulser. Sur tout le reste, rien ! Sur l’immersion, c’est bloqué ! Il parle d’évaluation, alors qu’en Aquitaine, il y a des classes publiques immersives depuis plusieurs années, donc un processus d’ouverture régulier. En Corse, lorsque l’on évoque un blocage, puisqu’il n’y a pas d’ouverture prévue à la prochaine rentrée, on nous parle d’une évaluation en cours. Il y a un décalage réel de traitement. Pourquoi ne parle t on pas de l’immersion dans la lettre-cadre de rentrée et pourquoi ne  poursuit-on pas le processus engagé depuis seulement un an ? À cette question, pas de réponse sur le terme... ». Pas mieux sur l’agrégation : « Je lui ai dit que si nous continuons sur cette voie, nous aurons des agrégés dans 30 ans… pas de réponse ! Nous voulons développer le concours de l’agrégation et mettre en place un CAPES bivalent permettant, à la fois, d’enseigner le corse et d’autres matières comme cela existe déjà en Bretagne, aux Pays-Bas et en Occitanie… ». Sur la réforme du Bac : « Le ministre dit que c’est une avancée, nous disons que c’est un recul fondamental ! Il cautionne un entonnoir qui, par un effet domino, va contrarier le peu d’élan qu’il y a dans le secondaire et, même un jour, casser la dynamique du primaire et des écoles bilingues ».
 
L’inquiétude demeure
Pour le reste, rien de particulier. « La convention tripartite Langue corse 2016-2021 et le contrat de plan 2015-2020 ne sont pas respectés et ne sont pas en consonance avec notre plan Lingua 2020. Nous sommes largement en-deçà en termes d’objectifs. Nous sommes très inquiets. Nous attendons des signes forts, nous n’en avons pas eu ! ». Saveriu Luciani concède un seul point vraiment positif : « Lors de cette discussion, nous avons véritablement pu exposer les grandes questions. Jean-Michel Blanquer a vu que nous étions prêts à discuter pour avancer sur certains points ». Quoiqu’il en soit, le ministre va formaliser et recenser l’ensemble des propositions qu’il a faites dans un courrier qui sera très rapidement envoyé aux élus. « Nous attendons cette lettre d’intention et un saut qualitatif. Nous verrons bien si ses intentions sont bonnes ou s’il s’agit d’un discours de façade, s’il va passer d’un esprit positif, comme il dit, à des faits positifs ». Pour le conseiller exécutif, le combat continue. « La semaine prochaine, le 8 avril, nous serons, de nouveau à Paris, cette fois devant le siège de l’UNESCO, pour manifester avec les autres représentants des langues régionales et redire, encore une fois, que la réforme du Baccalauréat les met en danger ».
 
N.M.