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Les brèves

Tribune - Pour le projet académique Scola 2030, un projet d’excellence qui va au-delà de la langue corse  12/11/2025

Jean Louis Moracchini, écrivain, docteur en sciences de l’éducation et responsable académique du Syndicat des inspecteurs de l’Éducation nationale affilié à l’UNSA Éducation, a fait parvenir à CNI cette tribune de soutien au recteur de l’Académie de Corse, Rémi-François Paolini, et au projet académique Scola 2030 :


« Le travail collectif engagé depuis un an pour transformer l’école corse dans le cadre du projet Scola 2030 suscite aujourd’hui des interrogations liées à un possible changement à la tête de l’académie de Corse. Une telle évolution pourrait fragiliser une démarche patiemment construite avec ses partenaires par l’ensemble de la communauté éducative et ralentir l’élan de celles et ceux qui la portent au quotidien.
 
Une dynamique née du terrain
La communauté éducative à laquelle j’appartiens a accueilli avec émotion et surprise la perspective d’un changement de gouvernance académique, alors même que le projet Scola 2030 a rassemblé autour de lui un large consensus au sein de la société corse. Les élus de l’Assemblée de Corse, toutes sensibilités confondues, y compris les élus libéraux modérés républicains, ont d’ailleurs exprimé leur attachement à la continuité de ce projet éducatif. Ce rare accord institutionnel témoigne de la portée collective d’une ambition qui dépasse les clivages politiques, celle d’une école corse ouverte, exigeante et pleinement républicaine.

Un projet issu d’une concertation sans précédent
Contrairement à certaines présentations réductrices, la politique conduite dans l’académie de Corse n’est pas le fruit d’une initiative individuelle. Le projet Scola 2030 – premier véritable cadre académique depuis plus de dix ans – est né d’une année entière de concertation. Tous les établissements, les équipes pédagogiques, les associations de parents, les élus, les acteurs culturels, économiques et scientifiques, ainsi que des services déconcentrés de l’État, y ont contribué.
De cette démarche a émergé une conviction partagée : l’école corse doit répondre à ses propres besoins dans le respect des valeurs de la République. Les six axes du projet Scola 2030, complémentaires et sans hiérarchie entre eux, traduisent cette ambition :
1. Lingua corsa – Instituer la langue corse en savoir scolaire fondamental, thème qui est ressorti en tête des occurrences et des remontées du terrain ;
2. Mathématiques & français – Améliorer le niveau de tous les élèves en mathématiques et en français ;
3. Bien-être – Garantir un climat scolaire serein et assurer le bien-être des élèves et des personnels ;
4. Scola in paese – Inscrire l’école rurale dans une dynamique partenariale d’excellence et d’ambition scolaires ;
5. Orientation & formations – Offrir des formations adaptées pour une orientation et un parcours professionnel réussis ;
6. Inclusion – Renforcer les dispositifs de l’école inclusive et améliorer leur coordination.

Une méthode demandée par les écoles elles-mêmes
La méthode immersive, parfois évoquée de manière caricaturale, n’a jamais été imposée. Elle est née du terrain : des enseignants, des directeurs, des parents et des élus ont, en de nombreux endroits, exprimé leur volonté de l’expérimenter. 
Cette demande, spontanée et locale, a été accompagnée dans le cadre institutionnel et laïque de l’école publique. Elle répond à un besoin réel de bilinguisme, souligné par un rapport sénatorial (Rapport d'information n° 31 (2025-2026), déposé le 15 octobre 2025, rappelant que la progression des effectifs en langue corse dans le 1er degré entre 2021 et 2023 est de +67%. Ce qui traduit la dynamique de toute une région, la Corse, pour la langue et la culture
Ce besoin de bilinguisme est aussi observé dans la croissance des écoles immersives hors contrat. Il serait paradoxal de laisser se développer des structures privées au nom de la liberté de l’enseignement pendant que l’école publique s’interdirait d’explorer ces méthodes.
En tant que cadre républicain, je suis convaincu que la place de la méthode immersive est dans l’école publique, où elle peut être encadrée, évaluée et partagée et ouverte à tous les enfants sans distinction. Elle est d’ailleurs autorisée et normée par la circulaire du 14 décembre 2021 sur les cultures et langues régionales publiée par le Ministère de l’Education nationale. 

Une dynamique collective à poursuivre
Depuis plusieurs années, la Corse progresse dans les classements nationaux pour les apprentissages fondamentaux. Les équipes innovent, les inspecteurs, les chefs d’établissement, les enseignants et les élus locaux s’engagent, les parents participent. Tous souhaitent continuer à travailler sereinement, à renforcer la cohésion entre les acteurs et à répondre aux attentes concrètes des familles.
L’objectif commun reste inchangé : lutter contre les déterminismes sociaux, réduire les inégalités territoriales et renforcer la confiance dans l’école publique. C’est dans cet esprit que les établissements élaborent aujourd’hui leurs nouveaux projets d’école.
Le recteur et ses équipes rectorales et départementales portent avec conviction ces très belles dynamiques.  Peut-on décemment réduire à une querelle linguistique qui, en Corse en tout cas, est un sujet récemment apaisé et désormais consensuel, l’effort collectif de centaines d’enseignants, d’inspecteurs, de parents et d’élus engagés pour la réussite des enfants ? Les tentatives de disqualification, qu’elles soient politiques ou médiatiques, seraient profondément préjudiciables à une dynamique rare et combien précieuse de travail collectif, d’écoute et de confiance.

Une conception du service public à préserver
Au-delà des personnes, c’est une conception du service public qui s’exprime ici : celle d’une République capable d’écouter les territoires et d’encourager l’initiative locale. Reconnaître la légitimité du travail accompli collectivement, c’est conforter une école corse qui se construit dans la coopération, la cohérence et la réussite pour tous.
Une île rassemblée autour de son école
La Corse n’a pas besoin d’une nouvelle fracture symbolique, mais d’une école stable, confiante et rassemblée. Depuis longtemps, une phrase fataliste hante sa mémoire : « Corsica, non avrai mai bene » — « Corse, tu ne connaîtras jamais le bonheur. » À nous de prouver le contraire, par le travail, la constance et la confiance. C’est dans les classes, dans la relation quotidienne entre élèves, enseignants et familles, que se joue la réconciliation de la Corse avec elle-même et avec la République
. »
 
A propos de l’auteur
Jean Louis Moracchini est écrivain et docteur en sciences de l’éducation. 
Il a dirigé la Mission académique à la formation des personnels de l’éducation nationale de Corse et l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM). Il a été responsable pédagogique de la licence et du Master Sciences de l’éducation à l’Université de Corte.
Il est responsable académique du Syndicat des inspecteurs de l’Éducation nationale affilié à l’UNSA Éducation
Il est également adjoint au maire chargé des affaires scolaires dans sa commune de résidence.
Depuis les années 1990, il contribue à la mise en œuvre des politiques éducatives en Corse.

(*Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que leur auteur, à titre personnel. *)