Corse Net Infos - Pure player corse

Urgences à l’hôpital de Bastia : "Dès avril, nous savions que la période estivale serait difficile"


David Ravier le Mercredi 23 Août 2023 à 19:43

Avec l’instauration de la loi Rist, effective depuis le mois d’avril, les médecins vacataires ont vu leur rémunération plafonnée dans l’hôpital public. Dès son application, syndicats et professionnels de santé alertaient sur les conséquences à court et à moyen terme pour ce secteur réputé pour son manque d’attractivité. Les médecins vacataires, très demandés par les établissements de santé, notamment pour assurer les relèves dans les services d’urgences, se sont détournés de l’hôpital public au profit du secteur privé. Christophe Arnould, le directeur du centre hospitalier de Bastia, revient sur les difficultés rencontrées par le service des urgences face à cette pénurie de médecins.



Christophe Arnould, le directeur du centre hospitalier de Bastia.
Christophe Arnould, le directeur du centre hospitalier de Bastia.
 

- Depuis le mois d’avril, syndicats et professionnels de santé prédisaient une période estivale compliquée à cause de la loi Rist. Comment s’est finalement déroulé l’été au service des urgences de Bastia?
- Nous avons pu tenir la mission, mais le personnel hospitalier a dépensé énormément d’énergie pour respecter nos engagements. Si nous avons pu maintenir notre mission et accueillir les patients qui se présentaient aux urgences, cela s’est quand même fait au détriment d’une implication sans précédent de nos médecins, qui ont dû se mobiliser et faire une quantité d’heures supplémentaires très importante pour pouvoir tenir les plannings.

 

- À quoi est dû cet engagement supplémentaire de la part des médecins?
- Il est lié au fait que nous avons perdu un certain nombre d’intervenants, des médecins vacataires ou des contractuels qui avaient parfois des contrats courts ou répétés. L’application de la loi Rist a fixé certains personnels médicaux dans d’autres établissements, donc ils ne viennent plus sur Bastia. Il faut dire que la quasi-totalité des médecins qui avaient ce type de statut venait du continent, et l’application de cette loi a changé les modalités de pratiques médicales. Malheureusement, ces médecins ont bien souvent trouvé des solutions plus proches de leur domicile et n’ont pas forcément poursuivi leurs missions dans les établissements insulaires.

 

- Ces médecins qui ne viennent plus en Corse représentaient une part importante des effectifs?
- Ce n’est pas tant le nombre de médecins qui importe que les équivalents temps plein qu’ils représentaient. Nous avions parfois des médecins qui venaient et faisaient deux ou trois plages horaires de douze heures, et d’autres qui réalisaient des volumes horaires très importants. Nous avions environ une soixantaine de médecins intérimaires qui venaient ponctuellement, et nous avons perdu quasiment les deux tiers d’entre eux. La loi Rist a très clairement causé des dommages à l’hôpital de Bastia, mais c’est le cas également pour l’hôpital public en général.

 

- La loi Rist a profondément changé la physionomie du service des urgences : quelle serait, pour vous, la marche à suivre pour inverser la situation?
- Pour nous, il y a deux éléments essentiels à prendre en compte: le diagnostic complet de la situation et le plan d’action que nous devons mener. Le diagnostic et le plan d’action qui en découle ne peuvent s’effectuer que sur une situation stable. Dès le mois d’avril, nous savions que la période estivale serait difficile avec l’application de la loi Rist. La période estivale est particulière pour notre établissement, avec un accroissement d’activité dû aux touristes. Si nous ne voulons pas nous tromper dans le diagnostic, il faut que nous retrouvions une certaine stabilité. Je pense qu’il y a des médecins que nous arriverons à accrocher et à fidéliser sur le centre hospitalier de Bastia, ce qui serait un bon point. Ensuite, cet automne, nous aurons une meilleure lecture des conséquences globales de l’application de la loi Rist, nous pourrons préciser le diagnostic pour avoir un plan d’action adapté.

 

 

- Deux tiers des médecins vacataires ont trouvé du travail ailleurs qu’au centre hospitalier de Bastia : comment pensez-vous compenser ce manque de médecins qui persistera dans le temps?
Notre premier objectif, c’est de soutenir et de préserver les équipes médicales en place, pour éviter que cette surcharge de travail conduise à du surmenage et à des départs. Même si nous avons eu beaucoup d’heures supplémentaires, nous n’avons pas déclenché le plan de gestion de crise pour préserver les congés payés et les jours de repos du personnel médical.

Ensuite, nous évoluons vers un nouveau plan de recrutement et de communication, mais la tâche sera compliquée, car tous les hôpitaux recrutent et il n’y a pas suffisamment de médecins sur le marché du travail pour tout le monde. Il faudra donc que nous développions des projets qui soient plus attractifs que les hôpitaux concurrents.   

 

- Avec cette baisse d’effectifs, la charge de travail pour les professionnels de santé des urgences est importante. Que peut-on faire pour la réduire?
- Il faut que la population comprenne que lorsque quelque chose arrive, le premier réflexe doit être d’aller chez le médecin traitant plutôt qu’au service des urgences qui ne doivent être utilisées que pour les cas d’urgence. Si la population est sensibilisée et respecte ces consignes, nous pourrons alléger la prise en charge au sein des urgences.

Il faut savoir qu’environ un tiers des passages quotidiens ne justifient pas d’aller aux urgences. Lorsque nous réalisons 150 passages dans une journée, cinquante d’entre eux pourraient se faire en médecine de ville. Pour nous, ça change considérablement la donne. Notre service des urgences a été construit pour avoir une capacité de 80 personnes environ, donc avec 150 personnes en moins dans le service, il est facile de comprendre que nous sommes saturés.