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Une motion adoptée par le conseil municipal d’Ajaccio pour condamner la violence


le Jeudi 13 Avril 2023 à 21:50

Après l'incendie criminel qui a touché la villa familiale de l'adjointe à la culture et au patrimoine, Simone Guerrini, dans la nuit de dimanche à lundi, lors de sa séance de jeudi soir, l'ensemble du conseil municipal a tenu à lui apporter son soutien. Une motion, présentée par la majorité, n'a en revanche par recueilli l'assentiment des élus des groupes d'opposition nationalistes, qui ont refusé de condamner l'acte, tout en marquant leur inquiétude face à une situation de plus en plus délétère.



Le maire d'Ajaccio, Stéphane Sbraggia, a déploré qu'une "étape de plus ait été franchie dans l’intolérable" (Photo : Archives Michel Luccioni)
Le maire d'Ajaccio, Stéphane Sbraggia, a déploré qu'une "étape de plus ait été franchie dans l’intolérable" (Photo : Archives Michel Luccioni)
Une femme « engagée », « de grande culture », « bienveillante », « courageuse », « droite », « qui s’est toujours donnée corps et âme dans les fonctions qu’elle a exercées ». À l’occasion du conseil municipal d’Ajaccio, ce jeudi soir, personne n’a tarit d’éloges sur les qualités de Simone Guerrin. Trois jours après l’incendie criminel qui a touché sa maison familiale, la majorité a, dès le début de la séance, entendu présenter une motion afin d’apporter un soutien inconditionnel à l’adjointe en charge de la culture et du patrimoine. « Mais ce texte a aussi un autre objet », pose le maire Stéphane Sbraggia, « Sans donner de leçon, cette motion vise à expliciter et à clarifier une position puisque, cela n’aura échappé à personne, nous condamnons fermement les faits qui se sont produits le week-end dernier, comme nous avons eu à le faire à d’autres occasions »
 
Affirmant ne pas vouloir opposer « ceux qui condamnent et ceux qui ne condamnent pas, car dans la vie tout est une affaire de choix », il déroule : « La différence c’est que quand nous condamnons, c’est expliqué et c’est justifié. Dans la non condamnation, on assiste aujourd’hui à un flottement avec plusieurs interprétations. Parmi ceux-là, il peut y avoir ceux qui assument et qui soutiennent ce qui s’est produit. Et puis après il y a des approximations. Cette ambiguïté participe à une confusion qui génère un grand malaise aujourd’hui ». Il souligne par ailleurs sa « grande inquiétude ». « Je pense que nous avons franchi une étape de plus dans l’intolérable », souffle-t-il, « Aujourd’hui, ce sont des Corses qui surveillent leur chantier ou leur maison, de peur d’être aussi victimes d’un attentat. La peur s’est généralisée. Ce qui s’est passé le week-end dernier c’est l’illustration de ce qui peut se produire pour tout le monde ». 
 
Faisant lecture de la motion, le maire dénonce dans ce droit fil « un acte insensé et insupportable » et martèle : « Les pressions et les intimidations contre les élus se multiplient et s’aggravent. Nous affirmons qu’il est désormais vital de faire front commun pour condamner ces actes inqualifiables, et mettre fin au sentiment d’indifférence et de banalisation de ces violences. La Corse et particulièrement Ajaccio et le Pays Ajaccien sont paralysés par cette spirale infernale. Nous interpellons également les pouvoirs publics compétents pour qu’ils prennent toutes les mesures nécessaires pour protéger les élus locaux, toujours plus exposés sur le terrain, ainsi que les bâtiments publics, mais aussi l’ensemble de nos concitoyens. Il s’agit de la seule issue possible pour rompre avec les sentiments d’insécurité et d’abandon ressentis par la population, et espérer recréer un lien de confiance entre les élus locaux et la justice ». 

" Nous n’avons jamais condamné personne,nous nous ne sentons pas l’âme d’un procureur "

Si l’essentiel du texte est partagé par l’ensemble des élus, comme cela avait été le cas à l’Assemblée de Corse lors du vote de la motion prise suite aux attentats contre les mairies d’Afa et Appietto, c’est sur la notion de « condamnation » de cet attentat que majorité et opposition s’accrochent.  Jean-François Casalta, de Pà Aiacciu, annonce ainsi d’emblée que les deux groupes d’opposition nationalistes s’abstiendront de voter cette motion et proposerons leur propre texte, tout en tenant à faire un point de sémantique « face au faux problème du terme condamnation, érigé par certains en ligne de partage du bien et du mal ». « Nous n’avons jamais condamné personne, jamais sollicité la condamnation de personne. Nous nous ne sentons pas l’âme d’un procureur, d’un magistrat ou d’un tribunal. Je n’ai pas condamné quand ma famille politique a été visée, quand mes amis ont été visés », explique le conseiller municipal d’opposition. Il précise toutefois : « Nous avons toujours milité pour une action politique exclusivement publique et démocratique. Depuis le début de mon action militante, j’ai toujours dit que la violence était la dernière et la plus mauvaise des solutions. Nous concernant il n’y a ni flottement ni approximation, nous n’avons pas changé de point de vue ». Du côté de l’autre groupe nationaliste, Jean-André Miniconi confirme ne pas vouloir employer « le verbe condamner qui relève du vocabulaire judiciaire », tout en marquant sa désapprobation de cet acte. « Je ne sais que trop bien ce que l’on peut ressentir en pareille situation », lance-t-il à l’adresse de Simone Guerrini, faisant référence aux actions qui ont plusieurs fois ciblé ses outils de travail.
 
 « Au-delà de l’émotion légitime et des formules un peu rhétoriques, nous ne pouvons faire l’économie d’une introspection collective », poursuit-il. « Il est facile de considérer les auteurs de cet attentat et de ceux qui l’ont précédé comme des fous dangereux, ou de simples criminels. Cependant, il est beaucoup plus douloureux d’y chercher ce que cela révèle sur l’état de notre société. Comment ne pas y déceler malgré l’incohérence des revendications et la confusion des propos, le malaise qu’éprouve une large part des Corses, et en particulier notre jeunesse », développe-t-il. « Nous rendons nous bien compte que de très nombreux Corses, qui vivent de plus en plus difficilement de leur travail, considèrent avec une colère croissante l’enrichissement rapide d’un petit nombre reposant sur la rente ou la spéculation et agissant souvent aux marges et parfois en dehors de la légalité », argue-t-il. Dans ce droit fil, face à des « prix des loyers de plus en plus prohibitifs », « une accession à la propriété devenue quasi impossible pour une majorité d’insulaires », « un sentiment de déferlement démographique incontrôlable », ou encore une bétonisation galopante et à des « atteintes irrémédiables à l’environnement », le conseiller d’Aiacciu Pà Tutti déplore : « Ne nous étonnons pas que certains, très minoritaires, considèrent qu’il n’y a plus d’autres solutions que le recours à la violence, qui se fait désormais de manière indifférenciée frappant parfois des familles corses qui ne comptent certainement pas parmi les pires spéculateurs ». « Comment ne pas comprendre le sentiment de révolte qui anime une partie de la jeunesse qui s’estime spolier de son patrimoine collectif. Arrivé à ce point, il me semble impossible d’ignorer la responsabilité collective du mouvement national qui a indiscutablement déçu les espoirs de cette jeunesse », concède-t-il encore pointant également que l’État « porte une responsabilité écrasante dans la situation actuelle par son refus systématique de la prise en compte de la volonté populaire issue des urnes ».

" J’ai peur que l’on arrive à l’irréparable "

Représentant Corsica Libera, Jean-Michel Simon lira pour sa part un communiqué du mouvement indépendantiste dans lequel il rappelle que la décision de dépôt des armes du FLNC en 2014 avait « ouvert des perspectives nouvelles ». « La responsabilité de la dégradation de la situation est à situer clairement du côté du blocage de l’État français et de l’inconséquence des responsables politiques actuellement en charge des affaires en Corse », fustige-t-il, « Le contexte troublé que chacun constate ouvre la porte aux provocations et autres manipulations de tous genres ainsi qu’à des logiques d’affrontements que nous ne saurions cautionner. En conséquence, nous réaffirmons que seule une démarche politique cohérente, structurée autour de la défense des droits du peuple corse sera en mesure de traiter au fond les maux dont souffre la Corse depuis des décennies, et donc de ramener la paix sur notre terre ».
 
Enfin, le député Laurent Marcangeli viendra à son tour afficher son inquiétude face à la situation. « La période que nous vivons est difficile, elle est confuse, elle est pénible et elle doit toutes et tous, dans la diversité de nos opinions nous interpeller, nous inquiéter », soulève-t-il. Demandant « le bannissement de ces comportements » il lance un appel « à ceux qui dirigent l’action publique de ce pays ». « Il ne faut pas prendre ce qui se passe ici à la légère. Au-delà de l’indignation, je le dis, j’ai peur de l’avenir. J’ai peur que des étapes supplémentaires soient franchies. J’ai peur que l’on arrive à l’irréparable, une maison on pourra la rebâtir, mais une vie on ne la ramène pas », instille-t-il en s’adressant également à la société insulaire : « Sortons de cette logique de conflit, essayons de construire une paix, ayons le courage d’assumer nos différences de manière démocratique et publique, cessons les attitudes clandestines, soutenons les victimes ». « Je vois un délitement, une détérioration de notre lien social et je crains ce qui pourrait se passer si les moyens ne sont pas mis sur la table pour s’attaquer aux sujets sociaux, économiques, d’aménagement du territoire, d’environnement ou de transports. Il a y aussi des sujets de justice avec des gens doivent être arrêtés, jugés, condamnés par rapport aux actes qu’ils commettent, car dans une démocratie digne de ce nom il ne saurait y avoir le règne de la clandestinité et de la destruction », énonce-t-il encore en instant sur le fait qu’il « ne doit pas y avoir d’impunité ». La motion a été adoptée avec la non-participation des groupes d’opposition.