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Un nouveau diplôme d'Etat de professeur de musique traditionnelle et chants corses


le Jeudi 21 Décembre 2023 à 10:35

Ce jeudi 21 décembre, les élus de l'Assemblée de Corse ont voté à l'unanimité ce que le monde culturel et patrimonial corse attendait depuis des années : la création d'une formation de trois ans préparant au Diplôme d'état de professeur de musique, spécialité musiques traditionnelles et chants corses. Une fois formés, ces futurs enseignants diplômés pourront garantir la transmission de ce patrimoine immatériel qu'il devenait urgent de sauvegarder.



Juste avant le vote à l'Assemblée de Corse, une partie de ceux qui ont oeuvré pour que cette formation voie le jour immortalisent l'instant.
Juste avant le vote à l'Assemblée de Corse, une partie de ceux qui ont oeuvré pour que cette formation voie le jour immortalisent l'instant.
"Quand quelqu'un tient une guitare dans les mains, il n'y a plus de place pour un pistolet." La musique adoucit les moeurs, qui étaient particulièrement dissolues en Corse ce jeudi matin, après l'homicide d'un homme à Eccica-Suarella. Dans ce contexte mortifère (deux règlements de compte en 48 heures), Gilles Simeoni se réjouissait d'autant plus de l'avènement de ce cursus très attendu : "La culture nous libère de nos démons."

Et si depuis le Riacquistu, d'importants progrès ont été accomplis pour remettre la langue corse sur le devant de la scène, la sauvegarde des chants et musiques traditionnels corses n'a pas bénéficié de la même dynamique. "On a pu sauver la paghjella et d'autres chants, nuance Nadine Nivaggioni, pour Fà Populu Inseme. Mais pas le lamentu, c'est vrai. Et il le ne faut pas oublier le chjama e rispondi, qui n'est pas un chant mais qui, en Sardaigne, est un élément utilisé dans les classes pour éveiller les enfants au sens de la poésie et de l'improvisation." Il y a quelques années, l'université de Corse avait ouvert une licence professionnelle en musique traditionnelle, qui n'existe plus aujourd'hui. Mais ce cursus ne préparait pas à un diplôme d'Etat pour enseigner en conservatoire. C'est cette préservation par le haut de notre patrimoine musical que va permettre cette formation, comme l'explique Rémi Mattei, directeur des ressources humaines du conservatoire Henri-Tomasi, nommé responsable du projet par Gilles Simeoni : "On n'a pas de professeur diplômé d'Etat en Corse, actuellement. Or il y a un vrai intérêt pour ce patrimoine, dans une problématique de transmission générationnelle. Disposer de professionnels formés sur les musiques traditionnelles permettra à toutes les structures d'enseignement de l'île de rattraper notre retard."

La formation sera dispensée à Corte

Le coût total de ce projet est de 852 639 €, dont 711 613 € pris en charge par la Collectivité de Corse. Elle permettra à une quinzaine d'étudiants d'intégrer en septembre 2024 ce cursus sur trois ans, qui dispensera 1 500 heures de formation. Membre fondateur de Canta U Populu Corsu, Christian Andreani, qui militait depuis des années pour la création d'un tel cursus, salue "un moment historique pour l'ensemble du monde culturel et pour la Corse". Ce projet n'aurait pas pu voir le jour sans le partenariat précieux de l'IESM, l'Institut d'enseignement supérieur de la musique basé à Aix-en-Provence. "Il fallait cette rencontre très forte avec l'IESM car les accréditations pour un diplôme d'Etat sont très difficiles à obtenir", confirme Rémi Mattei. Il a fallu ensuite trouver des locaux insonorisés et le choix s'est porté sur une aile de la caserne de Padoue à Corte, qui a été réaménagée.
 
Le parcours de formation théorique et pratique combinera les unités d’enseignement assurées par l’IESM Europe-Méditerranée et celles assurées par l’Université de Corse qui sont, pour l’essentiel, issues de deux formations existantes, à savoir la licence langue et culture corses et la licence arts du spectacle. Le parcours artistique sera axé sur un double apprentissage, vocal et instrumental. Il intègrera, par exemple, des modules consacrés à la direction de chœur et à la pratique d’un instrument d’accompagnement qui permettront aux étudiants de s’inscrire dans des projets d’éducation artistique et culturelle à destination des publics scolaires. En complément, la formation permettra d'accroître  le développement des savoirs scientifiques par la mise en œuvre de modules théoriques (ethnomusicologie, anthropologie, histoire de la musique...) et d’enseignements spécifiquement consacrés à la recherche. "De fait, le développement des départements Musiques traditionnelles au sein des conservatoires d’Aiacciu et de Bastia devrait se concrétiser dans les prochaines années, par la création d’emplois permanents d’enseignants et d’intervenants en milieu scolaire", énonce le rapport présenté aux élus de l'Assemblée de Corse.

Antonia Luciani, qui a porté le dossier pour l'exécutif, salue "un travail de longue haleine qui a débuté depuis plusieurs années, notamment lors de la précédente mandature". Saveriu Luciani, du groupe Avanzemu, applaudit des deux mains : "Si j'avais 20 ans, je me serais inscrit ! On vient d'un peuple qui a toujours chanté. Et dansé aussi. Nos pères, nos grands-pères n'ont jamais pensé qu'un jour notre langue allait mourir. On est sur un terrain qui pourrait permettre l'émancipation de cette culture insulaire." Josepha Giacometti-Piredda (Corsica Libera) a insisté sur la nécessité, "par le travail universitaire et l'enseignant, de faire reconnaître le caractère spécifique des musiques et chants corses. La question de l'académisation doit être inversée", estime l'élue qui est rejointe par Jean-Martin Mondoloni (Un Soffiu Novu) : "Le risque, c'est de muséifier une tradition. Que les jeunes s'emparent de cette tradition et l'inscrivent dans leur modernité. "

"Ce patrimoine immatériel est aujourd'hui sauvé"

"Ce projet est essentiel pour trois raisons", synthétise Gilles Simeoni. "On va former les formateurs, on va unifier dans une même personne les musiciens et artistes et formateurs. Enfin, on va graver les choses dans le marbre, parce qu'à travers ces quinze femmes et hommes que nous allons former, nous avons de quoi mailler l'ensemble du territoire de la Corse et sans doute au-delà. Nous avons désormais la garantie académique que ce patrimoine immatériel est aujourd'hui sauvé." Un patrimoine popularisé par des groupes aussi emblématiques que Canta U Populu Corsu, I Muvrini, A Filetta, I Chjami Aghjalesi, I Surghjenti ou Diana di l'Alba et des chanteurs de renommée internationale tels que Carlo Rocchi, Antone Ciosi, Petru Guelfucci, Ghjuvan Paulu Poletti ou Feli. Et dans la musique corse, il y a les artistes mais aussi les instruments de musique typiques tels que a caramusa, a pirula, a pivana et a cetera.

Et à l'issue de cette formation, qu'adviendra-t-il ? Rémi Mattei ouvre le champ des possibles : "Ce sera à nous de définir un périmètre plus large de pratique de musique traditionnelle dans la Méditerranée. On pourrait accueillir des étudiants sardes ou siciliens, tout en exportant l'enseignement des musiques et chants corses, ce qui pourra générer des projets transfrontaliers. On pourra aussi imaginer qu'un étudiant passionné par le violon, par exemple, pourra présenter à Corte un parcours de formation qui lui permettra d'être diplômé de musique traditionnelle corse, mais aussi dans sa spécialité musicale."