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Transports maritimes : L’Exécutif maintient le cap malgré les turbulences sanitaires


Nicole Mari le Vendredi 6 Novembre 2020 à 13:55

Toute une série de rapports sur le maritime ont été débattus et adoptés, jeudi après-midi à l’Assemblée de Corse, de l’urgence sanitaire à la prolongation de la Délégation de service public (DSP) pour 22 mois, repoussant d’autant la possible création d’une compagnie régionale. Si le groupe de droite, Per l’Avvene, s’est opposé à tout, même à la prise en compte financière de l’urgence sanitaire et des confinements, le reste de l’opposition a été plus nuancée et n’a achoppé que sur l’amendement de Corsica Libera réclamant la mise en œuvre de la compagnie corse au 1er janvier 2023.



Crédit photo CNI.
Crédit photo CNI.
Rien de bien nouveau sur les eaux toujours tumultueuses du transport maritime corse balloté depuis plusieurs mois, comme tout le secteur du transport mondial, par une tempête sanitaire qui bouleverse les équilibres et remet en cause calendriers et projets. Si le service public de bord à bord entre l’île et le continent a pu affronter les turbulences et être maintenu en temps de confinement, notamment au niveau du fret, c’est que la Collectivité de Corse a mis la main à la poche avec une facture assez lourde pour le budget territorial. Facture que l’Exécutif demande à l’Assemblée de Corse de ratifier par le biais de cinq avenants à la Délégation de service public (DSP) en cours. « Dans le cadre de l’urgence sanitaire, nous avons fait le choix de nous adapter en termes financiers à la demande en termes de desserte de fret, cinq jours sur sept, pour éviter la pénurie alimentaire. Il n’y avait pas de passagers transportés, sauf dérogation exceptionnelle, pendant la période Cœur COVID de mi-mars au 31 mai », explique Vanina Borromei, conseillère exécutive et président de l’Office des transports de la Corse (OTC).
 
Le coût du confinement
Ces avenants reflètent, pour l’Exécutif, la réalité du besoin de service public pendant cette crise. « Ils sont très lourds financièrement : 6,5 millions € sur les 5 ports insulaires de la DSP sur la période Cœur Covid. Un protocole transactionnel sur les cinq ports a également été passé du 1er mai au 31 décembre avec une prévision estimée à 15 millions €. Les comptes seront faits au réel en janvier 2021 avec les compagnies qui prennent à leur charge un aléa de 10%. Ce montant global de plus de 20 millions € sera pris sur la dotation de continuité territoriale », précise la présidente de l’OTC. « Cette crise vient malheureusement nous démontrer, une fois de plus, ce que représente le service public et ce qu’il coûte. C’est le prix de la desserte maritime quotidienne de la Corse. Nous nous réjouissons de pouvoir l’assumer grâce aux économies que nous avons réalisées ». Et de remarquer : « Sous OSP (Obligations de service public), un navire vide n’aurait pas navigué, cela aurait été pour l’île une catastrophe sanitaire et alimentaire ». Si la baisse du fret a atteint 30% pendant cette période, aucune perspective de chute ne se profile, pour l’instant, dans l’acte II du confinement.

Vanina Borromei. Photo Michel Luccioni.
Vanina Borromei. Photo Michel Luccioni.
Le diktat de Bruxelles
Dans la foulée de la session de septembre dernier qui avait validé le schéma d’une concession de gré à gré pendant un an pour la DSP en cours à compter du 1er janvier 2021, Bruxelles a demandé à la CdC de revoir sa copie. « L’Union européenne nous a fortement conseillé un appel d’offres ouvert. Ce n’était pas négociable, sous peine de sanction. Nous proposons, donc, une prolongation de deux mois jusqu’au 1er mars 2021 de la DSP existante pour tenir les délais très contraints qui rendent difficiles cette mise en œuvre ». Un délai imposé par le calendrier électoral avec des scrutins toujours maintenus en mars. « Nous avons déjà effectué un test marché flash d’une semaine au lieu des 4 semaines habituelles pour évaluer les perspectives dans une période où il y a très peu de visibilité eu égard à la situation sanitaire. Les différents acteurs – compagnies, transporteurs, CCI - y ont répondu ».

Un service public en sursis ?
La nouvelle DSP proposée s’étendra sur 22 mois, de mars 2021 à décembre 2022, « un délai raisonnable, agréé par l’Etat et l’UE, pour avoir la stabilité nécessaire pour passer cette crise. Tous les observateurs attendent un retour des marchés internationaux à partir de 2023 ». Dans ce contexte incertain, la mise en œuvre de la SEMOP et de la compagnie régionale sont reportées au 1er janvier 2023. L’Exécutif corse ne cache pas son inquiétude devant « le revirement » de Bruxelles sur l’intérêt du service public. « La Commission européenne continue de penser que des OSP seraient suffisantes. Mais, même compensées avec de l’aide sociale, les OSP ne correspondent pas aux besoins de la Corse. Il est encore assez incroyable de systématiquement démontrer que nous avons besoin de ce service public ! Les discussions ne sont pas simples, mais tout le monde est mobilisé, l’Etat est avec nous », ajoute Vanina Borromei.

Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Le sceau de la confusion
Le groupe de droite, Per L’Avvene, le seul de l’opposition à voter « parce que tout se tient » contre l’intégralité des rapports du maritime, tire, comme à son habitude, à boulets rouges sur la stratégie de l’Exécutif. « Nous ne sommes pas contre le service public, ni contre la DSP, mais contre votre gestion du dossier maritime. C’est un des marqueurs de votre mandature et il est frappé du sceau de la confusion. Vous avez pris le parti depuis 5 ans de surcompenser, de prolonger, de raccorder… On considère que vous tenez là les ingrédients du contentieux même si vous prétendez avoir l’aval de Bruxelles. La porte d’entrée en 2016 était de réduire au maximum les contentieux. Vous les aggravez. Vous critiquez les mandatures antérieures à l’envi, mais vous ne faites pas mieux, voire pire ! », fustige son président Jean-Martin Mondoloni. Il s’étonne de voir dans la DSP proposée « les passagers revenir en force sur toutes les lignes, le service complémentaire augmenter jusqu’à 120 traversées, l’apparition d’un service de passagers réguliers dédié aux étudiants, malades… dont la notion nous paraît floue ! ».
 
Un Non ferme
Toujours et encore dans son viseur, la SEMOP qu’il taxe de « société écran », de « tampon, qui évite à la CdC de gérer directement tout en ayant davantage la main que via une concession ». Le groupe de droite se dit, enfin, « soucieux de la trajectoire financière et, donc, des demandes de compensation. Le montant maximal de compensation est fixé à 170 millions € pour les 22 mois, soit 93 millions € sur 12 mois. Sachant que la dotation de continuité territoriale est figée à 186 millions € et que l'aérien mobilise 84 millions €, on arrive à 177 millions € ! Resteraient seulement 9 millions, on est loin du compte au niveau des reliquats que l’on voit fondre d’exercice en exercice ». La déspécialisation de l’enveloppe ne passe toujours pas : « Et de ces 9, si on retranche les 7 attribués au Comité de massif, il restera 2 millions pour les infrastructures de transports... Pour toutes ces raisons, risques de contentieux, trajectoire financière scabreuse et la perspective d’un service public en difficulté, il est inconcevable de vous accompagner. En conscience, nous vous disons NON ! »
 
Un Oui mais…
L’opposition est bien plus nuancée du côté des deux autres groupes d’opposition : la Corse dans la République et Anda Per Dumane qui, eux, n’achoppent que sur l’amendement de Corsica Libera, intégré au dernier rapport sur la future DSP de 22 mois. « Comme ce qui nous anime n’est pas l’idéologie, on peut se tromper », reconnait, d’emblée, Jean-Charles Orsucci. « Nous avons voté la DSP dont nous sommes les fervents défenseurs, et nous réaffirmons notre refus des OSP. Par contre, nous sommes opposés à l’aventure de la SEMOP, surtout en l’état de ce que nous connaissons du transport et des compagnies maritimes, il n’y a pas de raison d’aller vers une compagnie régionale ». S’il entend « faire preuve de prudence et d’une grande modestie parce que nous savons que l’exercice est difficile », il annonce « nous voterons ce rapport en l’état, mais s’il intègre l’amendement de Corsica Libera, nous voterons contreUne île, même indépendante, n’est pas obligée d’être propriétaire de sa compagnie maritime. Nous estimons que ce n’est pas opportun ».

Petru Anto Tomasi. Photo Michel Luccioni.
Petru Anto Tomasi. Photo Michel Luccioni.
L’amendement litigieux
L’amendement en question demande que l’Exécutif « réaffirme sa volonté que la compagnie corse de navigation contrôlée par la puissance publique, dont le principe a été acté à diverses reprises par l'Assemblée de Corse, soit opérationnelle à expiration desdites conventions, à savoir au 1er janvier 2023 ». Petru Anto Tomasi, président du groupe Corsica Libera, revendique une cohérence sur une position de fond « qui demeure inchangée, à savoir la création d'une véritable compagnie corse de navigation, contrôlée par la puissance publique, et plus précisément par la Collectivité de Corse ». Il rappelle deux postulats fondamentaux : « Le premier, c'est le refus du démantèlement du service public par la mise en place d'OSP comme Bruxelles semblait le préconiser le mois dernier. Nous prenons acte d'une évolution de la Commission européenne, mais restons prudents. En tout état de cause, il serait quand même étrange qu'au moment où Bruxelles accepte la nationalisation de la compagnie aérienne Alitalia, elle remette en cause le principe même de concessions de service public en Corse ». Le second point concerne « l'effectivité opérationnelle de la création de la compagnie maritime corse dans un délai raisonnable. Nous sommes disposés à accepter une dernière étape transitoire de 22 mois telle que vous nous la proposez, mais il n’est pas envisageable de reporter trop loin cette échéance, sans quoi nous prendrions le risque qu'une nouvelle DSP dite de raccordement ne devienne une DSP du renoncement ». L’amendement reformulé est adopté par les groupes de la majorité territoriale.

Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Une catastrophe évitée
Les autres groupes de la majorité vont monter au créneau pour remettre les pendules à l’heure. « Les avenants ont été rendus possibles grâce à la bonne santé financière de l’OTC qui peut, ainsi, dégager des excédents pour faire face à la crise sanitaire, tout en restant mobilisé pour le ferroviaire et la montagne. Je n’ose imaginer ce qu’il en aurait été avant notre arrivée aux responsabilités en 2015, lorsque l’OTC avait 30 millions € de déficit », commente Hyacinthe Vanni, président du groupe Femu a Corsica. « Si nous n’avions pas eu une gestion rigoureuse, Air Corsica serait en faillite et les transports maritimes dans une situation très compliquée. Ce serait une catastrophe ! Il n’y aurait plus rien ! Ni bateau, ni avion, ni train ! L’économie de la Corse ne se relèverait pas ! Derrière ces entreprises, il y a des centaines de familles corses. Alors oui, grâce à notre sérieux et à notre gestion, nous arrivons à limiter la casse. Nous pouvons dire aux entreprises corses que nous sommes leurs côtés ». Quand au retard dans la création de la compagnie régionale : « Comment ne pas le comprendre dans la période actuelle ! ».

Une analyse erronée
Vanina Borromei, elle, tire à boulets rouge sur le groupe Per l’Avvene : « Je remercie les groupes de Jean-Charles Orsucci et de Valérie Bozzi qui ont su distinguer les intérêts de la Corse en défendant le service public. C’est exactement ce que n’ont pas su faire Jean-Martin Mondoloni et son groupe, dans une logique comptable complètement dépassée en ce qui concerne les budgets. Je prend bonne note qu’ils votent contre le ravitaillement de l’île pendant cette période de crise, cela méritera des explications, pas pour nous, mais pour la population ». Et de pourfendre : « Vous parlez de « surcompensation » et c’est très grave, cela prouve vos lacunes sur ce dossier. Ce ne sont que de justes compensations. Vous ne réalisez pas la gravité de la crise et ses conséquences sur le service public, je trouve cela très inquiétant parce que vous êtes des élus de la Corse. Votre analyse est complètement erronée, volontairement ou pas, peu m’importe ! Vous parlez de passagers qui resurgissent, ce sont des usagers qui ont besoin de se déplacer pour des raisons médicales et des étudiants pour faire des études. Je laisse Jean-Martin Mondoloni et son groupe face à ses contradictions et face à l’opinion publique ».
 
Un manque de responsabilité
Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni fait, à son tour, part de son étonnement quand à la position du groupe Per l’Avvene. « Cet avenant organise une compensation prévue par le contrat de DSP, par le droit français et européen. Tous les délégataires de DSP ont été confrontés à une baisse de leur trafic. La compensation est due et si elle n’est pas versée, elle n’est plus à la charge de l’exploitant, elle conduit, soit à la diminution des rotations, alors que la Corse a besoin d’un service public en pleine crise COVID, soit à des licenciements. Vous ne pouvez pas sur un contrat en cours « parce que tout se tient » manquer de l’esprit de responsabilité et de cohérence dont vous vous prévalez, ici, à tort ». Et lui aussi de marteler : « Nous sommes pour un service public, nous pensons que le meilleur moyen de le sécuriser est une compagnie contrôlée par la puissance publique. Nous prenons acte que sous COVID, il faut différer la procédure concernant la SEMOP et adopter une solution de transition de 22 mois avant de mettre en œuvre notre projet de manière opérationnelle. Nous continuons à penser que ce chemin est le meilleur ».
 
N.M.