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Tourisme - César Filippi : "On soigne une maladie grave avec de l'aspirine !"


GAP le Mercredi 15 Juillet 2020 à 19:50

Le 8 juillet, le préfet de Corse, Franck Robine, a annoncé des "mesures fortes" pour lutter contre le paracommercialisme dans le secteur touristique et s'est engagé à faire la chasse aux fraudeurs. Dans son viseur : les meublés de tourisme non-déclarés dont les nuitées ont dépassé en 2019 celles des professionnels. Si ces derniers se sont mobilisés contre une concurrence jugée déloyale, ils ont accueilli les annonces préfectorales avec perplexité et scepticisme, comme l'explique César Filippi, hôtelier à Portivechju, qui dénonce une gangrène et réclame un vrai traitement.



Photo Michel Luccioni
Photo Michel Luccioni
Les récentes mesures, annoncées par le Préfet de Corse, Franck Robine, pour lutter contre l'économie parallèle liée au tourisme ont, certes, vocation à mettre un terme à certaines pratiques, mais à y regarder de plus près, ce chiffre de 85% de locations saisonnières non-déclarées à de quoi surprendre. Au regard de son ampleur, ce phénomène n'est, donc, pas récent, loin de là ! Pour César Filippi, hôtelier à Portivechju, et la Fédération di L'Uparaghji Di U Turismu Corsu, l'essentiel est de savoir si ces mesures fiscales, censées décourager les contrevenants, sont conjoncturelles ou bien alors, " et ce serait une très bonne chose, structurelle, c'est à dire qu'elles seraient décidées de manière formelle par Bercy qui, jusque-là, malgré nos fréquentes visites, s' y est toujours refusé ".

Une révélation !
Des mesures qui ne semblent pas convaincre le secteur hôtelier insulaire. César Filippi avoue sa perplexité : " Je pense que nous sommes là, plus dans la forme que dans le fond, et cela est dû au simple fait que d'un seul coup, l'Etat a eu une révélation ! Il est vrai que mieux vaut tard que jamais, mais quand même ! C'est un mal qui ne date pas d'hier !  A titre personnel, cela fait 18 ans que je dénonce cette maladie qui gangrène le tourisme corse. Tout cela est su au plus haut-niveau de l'Etat, à savoir le ministère compétent en la matière. Il n'y a pas eu jusqu'alors de réactions et si j'osais une métaphore : on est en train de soigner une maladie grave avec de l'aspirine ! Pour celles et ceux qui auraient tendance à avoir la mémoire courte, pareille volonté avait été affichée par le Préfet Mirman, le seul a avoir eu le courage de s'y pencher, voici 6 à 7 ans. Pour faire simple, le résultat avait été dérisoire. Une centaine d'infractions ont été relevées, en très grande majorité des gens résidant en Corse ".

Dans le mur
La Corse compte 92 000 résidences secondaires et 30 000 appartements qui ont bénéficié des lois Cellier, Pinel ou Duflot. Et pour le patron du Belvédère, quand on évoque les locations non-déclarées, " Il ne s'agit pas d'épingler le résident local à l'année qui, durant un mois, loue sa maison, à condition qu'il fasse cela dans les règles, pour payer son crédit, histoire de mettre un peu d'huile dans la soupe. Il s'agit de personnes qui font de la spéculation au mépris des lois en vigueur. Si l'on fait un rapide calcul avec une moyenne basse de trois personnes par unité d'habitation, entre les 92 000 résidences secondaires et les 30 00 appartements, on dépasse la population actuelle de la Corse ". D'où, selon lui, l'urgence de prendre de vraies mesures pour lutter contre ces pratiques. " Si cet effort n'est pas fait, nous allons dans le mur, car se profile une crise sociale majeure qui va impacter toute l'économie insulaire qui dépend majoritairement du tourisme ".

Un tourisme plus durable
Cette concurrence déloyale a, déjà, eu voici quelques années, des incidences très significatives pour César Filippi. Il rappelle qu'en 2013, : " les établissements à forte valeur ajoutée faisant partie du Cercle des Grandes Maisons sont repassés à la saisonnalité. Ce qui a engendré le licenciement de 220 personnes en CDI. C'est une conséquence directe de cette concurrence déloyale, mais au-delà, cela met en danger les petites structures hôtelières qui composent la très grande majorité de l'offre réceptive en Corse. Les conséquences sont lourdes ! ".  Pour lui, si l'on veut, vraiment, inverser la donne, il convient de se pencher sur le fond du problème, à savoir : " Quel tourisme veut-on pour cette terre ? Le nœud du problème est là. Cela fait des années que je milite pour une structuration en profondeur du secteur touristique ". Et d'évoquer un point très simple qu'il juge significatif : " Nous sommes une région touristique, mais nous n'avons pas d'école hôtelière digne de ce nom qui serait en prise directe avec nos besoins dans ce domaine. Je ne parle pas de savoir faire la macédoine de légumes, mais bien de formation de haut niveau à laquelle les professionnels, que nous sommes, doivent être associés. Ce manque de formation de haut niveau impacte, dans le même temps, la jeunesse locale. C'est là un aspect social très important avec des conséquences logiques au niveau de la précarité. Si nous voulons aller de l'avant, il y a un concept éculé auquel il faut mettre un terme : c'est celui du tout-tourisme ".

Des mesure phares
César Filippi enchaîne sur cinq points qu'il juge essentiels et qui pourraient être la base de départ d'une refondation sur le long terme : " Avant toute chose et c'est un préalable important, si nous voulons un tourisme durable, il faut à tout prix mettre en adéquation l'exploitation de nos sites en évitant la surfréquentation. A ce prix-là, nous préserverons la beauté et l'intégrité de nos paysages qui sont notre bien le plus précieux. Ensuite, en termes de mesures, il faut que tous ceux qui vivent du tourisme se regroupent. Il nous faut stopper, de suite, le tourisme au noir en ne mélangeant pas les genres ! A savoir que les résidents corses, qui respectent les règles, qui s'acquittent des différentes taxes et impôts, puissent participer à l'offre locative. Le troisième point concerne la sécurisation de l'offre réceptive des petites structures. En Corse, sur 460 établissements, 398 possèdent moins de 22 chambres. Cela représente 80% de l'offre professionnelle. Il faut permettre à ce secteur de se renouveler pour perdurer. Il me semble, ensuite, indispensable de créer une Chambre des métiers du tourisme, car pour l'heure, ce secteur n'est pas représenté à la juste valeur de ce qu'il apporte à la Corse. Enfin, rien ne se fera sans les générations à venir, mais pour relever le pari du long terme, il est primordial que nous soyons en capacité de relever le pari de la formation en nous appuyant sur le tissu local et en lui offrant des perspectives d'avenir. Pour l'heure, ce n'est pas le cas. Nous avons, déjà, perdu trop de temps. il y a, plus que jamais, urgence à agir ".