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Spéculation foncière en Corse : Des chiffres accablants et une union politique !


Laurina Padovani le Vendredi 26 Juillet 2019 à 20:20

En Corse, le prix du foncier grimpe, la spéculation galope et cette avancée infernale ne semble pas prête de s’arrêter. Plus de 138% de progression foncière et immobilière en 7 ans ! Un chiffre incontestable qui ressort d’une étude effectuée par l’Agence de l’urbanisme de la Corse (AUE) et présentée lors de la session de l’Assemblée de Corse, le 25 juillet. Un constat accablant, mais uniment partagé. Une fois n’est pas coutume sur ce sujet brûlant, l’ensemble de l’hémicycle s’est déclaré en faveur de la mise en place de solutions pour lutter contre ce fléau qui impacte lourdement les foyers corses.



La commune de Bunifaziu dans l'Extrême Sud st au coeur de la spéculation immobilière qui sévit en Corse.
La commune de Bunifaziu dans l'Extrême Sud st au coeur de la spéculation immobilière qui sévit en Corse.
Un débat long et constructif face à un constat unanime : la spéculation immobilière en Corse est une réalité et elle doit cesser. Une problématique qui prive les insulaires de leur « Terre » comme le rappelle le président de l’agence de l’urbanisme (AUE), Jean Biancucci. Une terre dont le prix du m2 ne cesse de flamber. Des chiffres édifiants ! Le rapport de l’observatoire des marchés fonciers et immobilier, créé en 2017 dans le cadre du PADDUC, démontre que, pendant que les prix des terrains augmentaient en Corse de 23 % entre 2006 et 2017, ils diminuaient de 28 % sur le continent. Mais surtout, le marché immobilier a crû de 138 % ! Un chiffre plus de 2 fois supérieur aux 68% du continent. Un contraste vertigineux ! Ces chiffres, comme le rappelle le président de l’AUE, résultent du croisement des données du GIRTEC, du Conservatoire du littoral et de l’INSEE. L’accumulation de toutes ces données lui permet de répondre à « la perplexité des professionnels du secteurs ». Dans la polémique sur l’effet de rattrapage lancé dans les médias la semaine passée par la Fédération nationale de l'immobilier (FNAIM), le président régional, Pierre-Paul Carette, expliquait, en effet, cette séquence d’augmentation des prix par la stagnation des constructions des 15 dernières années. Une « atonie totale » serait la cause de cette flambée des prix.

Des communes dans le rouge

Quelques soient les raisons de cette flambée, elle affecte, sans surprise, différemment les deux départements et surtout les communes, selon que celles-ci soient situées sur le littoral ou à l’intérieur. Les chiffre sont sans ambigüité : 48 communes assurent 80 % des ventes. Elles sont en premier lieu situées dans la région ajaccienne, l’Extrême Sud, le littoral de la Balagna et la région bastiaise. 10 % des communes du littoral concentrent la majorité de la pression foncière. Dans la zone rouge, devant Bunifaziu et Lecci, le village d’Albitrecca où une maison de type T4 se vend entre 580 000 € et 700 000 €. Ce village se trouve sur la commune de Porticciu, commune de la région ajaccienne où la problématique de l’urbanisation du littoral et celle de la baie en particulier sont une réalité criante. Alors que dans le Centre Corse le prix médian d’une maison T4 est de l’ordre de 127 950 €, il s’élève dans le Pays Ajaccien à près de 350 500 €. Dans la course également, Ajaccio qui absorbe, à elle seule, 29 % des ventes d’appartements. Bastia, Portivechju et Calvi concentre un quart du marché à elles trois. Le reste se répartit principalement entre les périphéries d’Aiacciu et de Bastia, une partie du littoral Balanin et Corti. Un marché total de plus de 2,8 milliards € pour les ventes de maisons et de 3,8 milliards € pour les ventes d’appartements. 17 communes concentrent 80 % des transactions.

Une des cartes les plus parlantes de l’étude démontre que les communes accessibles aux jeunes ménages se trouvent essentiellement dans l’intérieur.
Une des cartes les plus parlantes de l’étude démontre que les communes accessibles aux jeunes ménages se trouvent essentiellement dans l’intérieur.


Un nécessaire statut de résident

« Un marché de dingue », réagit Rosa Prosperi qui, après être revenue sur le combat des Nationalistes pour protéger la terre corse, a appelé les élus à prendre conscience de l’urgence de la situation. Pour l’élue de Corsica Libera, en accord avec la préconisation faite par l’AUE d’agir sur le prix du foncier plus que sur celui du logement, l’Assemblée doit aller plus loin, notamment sur la question constitutionnelle. « Notre terre aujourd’hui, 95 % des Corses ne peuvent plus l’acquérir. Le prix du foncier ne peut pas continuer à augmenter. Qui achète aujourd’hui ? Certainement pas les Corses ! Dans le contexte économique que nous connaissons, les Corses ne peuvent pas acheter. Et malheureusement, le Corse, qui possède, vend ». Pour elle, une réponse s’impose : le statut de résident. « Le statut de résident n’est pas une impossibilité. Il a été mis en place ailleurs. Il relève d’une volonté politique qui doit aller au-delà des divisions. Le temps n’est plus aux interrogations. Il faut agir pour que le prochain rapport de l’AUE ne soit pas encore plus catastrophique ! ». Une position partagée sans surprise par les autres groupes de la majorité territoriale. « Ce statut permettrait de lutter contre une violence sociale et économique » estime Romain Colonna. Dans une intervention virulente, l’élu de Femu a Corsica assure que « ces chiffres peuvent pousser à la révolte ». Pour son collègue du PNC, l’avocat Jean-François Casalta, la cause essentielle de cette situation viendrait de l’extérieur. « 47 % des habitations sont actuellement des résidences secondaires, soit plus du double qu’en Côte d’Azur ! La population insulaire va se retrouver à devoir acheter des habitations bas de gamme. Et bien sûr, nous devrons faire face à un effet de réserve ».

Le Bail Réel Solidaire

Si l’opposition partage ce constat accablant qui ne surprend personne dans l’hémicycle, elle diffère sur les causes du mal et les remèdes à apporter. « Cette étude est-elle faite au niveau national et est-ce qu’on compare des territoires similaires ? », demande Marie-Anne Pieri, notaire en Plaine Orientale et élue du groupe Per L’Avvene. « Le président Talamoni a eu des mots très forts hier, mais il faut se poser les bonnes questions. N’est-ce pas la rareté qui fait le prix ? ». Pour elle, « Les difficultés d’accession à la propriété viennent aussi de l’indivision et des biens à l’abandon qui permettraient aux familles et aux jeunes de disposer de ces biens. Cela n’est pas évoqué dans le rapport. Pourtant, dans chaque famille, c’est une réalité ». La proposition de Jean-François Casalta d’une supertaxe sur les résidences secondaires ne lui semble pas une bonne idée : « Distinguer les biens purs de ceux d’origine successorale, je ne vois pas comment ça pourrait se faire… ». Elle remet en selle sa proposition d’accession à la propriété via le Bail Réel Solidaire. « Une étude devait être faite et rendue par l’Office Foncier. Je n’arrive pas à comprendre qu’il n’y ait pas d’études alors que c’est une partie de la solution, notamment dans les 42 communes dites non accessibles. Les mairies peuvent et doivent être encouragées à réaliser des opérations immobilières en réservant la propriété à des primo-accédant ». Elle affirme qu’il est urgent d’agir : « Sur ces 42 communes tendues, il serait bon que l’Office foncier, dont c’est la vocation, concentre ses opérations de portage ».

Des mesures pragmatiques

A sa suite, le président du groupe, Jean-Martin Mondoloni, s’interroge, aussi, sur les solutions : « Personne n’est insensible à ce constat. On peut même avoir l’humilité de reconnaître qu’il y a eu des visionnaires. Il y a plusieurs solutions parce qu’il y a plusieurs causes. La majorité aspire au statut de résident alors que nous, non. Même si ça devait se faire, ça ne sera pas demain matin ! Il existe des mesures pragmatiques et mobilisables à cadre réglementaire constant qui fonctionnent ailleurs. Bon nombre des communes agissent déjà sans attendre le statut de résident ». Il juge utile de se poser la question « de façon dépassionnée, de qui vend, et pas seulement de qui achète. Les ravages, dont on parle, ne se sont pas construits par défaut de réponse constitutionnelle, mais se sont organisés autour de l’équilibre entre l’offre et la demande. Il n’y a pas les vertueux dans un camp, et les mauvais dans l’autre ».

Les maires en première ligne

Le rapport de l’AUE démontre que les zones situées entre 0 et 500 mètres du littoral sont les plus touchées par l’explosion des ventes immobilières. 60 % d’entre elles sont concentrées sur le bord de mer. Avec un impact considérable sur l’accès à la propriété pour les jeunes ménages. Ces derniers sont obligés de s’installer dans le rural avec les contraintes d’isolement et d’accessibilité. Mais la problématique du logement n’épargne pas les communes de l’intérieur. Le maire de San Giuliano et conseiller territorial du groupe d’opposition La Corse dans la République, François Xavier Ceccoli, se fait écho des difficultés rencontrées par les maires et des problèmes juridiques auxquels ils sont confrontés pour construire des logements et permettre aux gens de s’installer dans les villages. Le maire de Bunifaziu et président du groupe Anda Per Dumane, Jean-Charles Orsucci, se défend du fait que sa commune soit dans le rouge et qu’elle affiche un très fort taux de résidences secondaires. S’il est d’accord pour lutter contre la spéculation et qu’il a, en son temps, voté le statut de résident qu’il ne renie pas, il en trace les limites : « Le statut de résident sera compliqué à élaborer ». Il lance : « Les ventes sur Sperone sont-elles néfastes ? Je n’étais pas maire quand les décisions urbanistiques ont été prises. Quels moyens avons-nous pour lutter contre cette situation ? ».

Une logique d’apartheid

C’est finalement le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, qui va résumer, en quelques phrases fortes, toute la dramatique du problème auquel est confrontée la Corse. Pour lui, le document fera date. Mais surtout, il revient sur l’échec de la précédente mandature qui, huit ans auparavant, avait déjà fait état de cette situation, sans se donner les moyens d’arrêter l’hémorragie. Il parle d’ « une logique d’apartheid qui découle mécaniquement de la loi du marché. Dans toutes les villes et quartiers, des pauvres n’accèdent pas aux logements. Cette règle dominante est un fait. Mais, aujourd’hui, nous identifions qu’en Corse, ce sont des communes et des régions entières qui ne peuvent plus accéder à la propriété. Cette situation risque encore de s’aggraver. Ajouté aux autres inégalités sociales et économiques, cela va être une plaie pour la société corse ». Cette étude n’est qu’un début. D’autres travaux viendront compléter le tableau, notamment sur l’augmentation des délivrances des permis des construire depuis l’établissement du PADDUC en 2017. Leur publication est prévue d’ici à la fin de l’année.