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Processus de Beauvau : Un rapport qui démontre la faisabilité de l’autonomie et balaye les lignes rouges


Nicole Mari le Mardi 6 Juin 2023 à 19:57

La Commission des compétences législatives et règlementaires de l’Assemblée de Corse, mandatée pour clarifier la notion d’autonomie, a remis, mardi matin à Bastia, son rapport intitulé « Vers un statut d’autonomie pour la Corse ». Le document, qui pose les contours et les enjeux de l’autonomie dans le cadre de l’insularité, balaye les lignes rouges du gouvernement et affirme que l’autonomie est compatible avec la Constitution française. Il démontre que l’autonomie est un processus certes complexe, mais tout à fait réalisable.



Le Président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, le Président de la Commission des compétences législatives et règlementaires de l’Assemblée de Corse, Romain Colonna, et la Présidente de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis. Photo CNI.
Le Président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, le Président de la Commission des compétences législatives et règlementaires de l’Assemblée de Corse, Romain Colonna, et la Présidente de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette Maupertuis. Photo CNI.
Le timing n’est pas neutre et l’acte loin d’être symbolique. La remise, moins de 24 heures avant le quatrième comité stratégique sur l’avenir de la Corse qui se tiendra, mercredi matin, à partir de 9 heures à l’hôtel Beauvau, du rapport de la Commission des compétences législatives et règlementaires intitulé « Vers l’autonomie de la Corse », est un pavé lancé dans la mare des positions arrêtées et des préjugés gouvernementaux sur l’infaisabilité et l’inconstitutionnalité d’un statut d’autonomie pour la Corse. En une centaine de pages, le document dessine les contours de l’autonomie, démontre non seulement qu’elle est la règle en Europe, mais surtout qu’elle est réalisable en France et compatible avec la Constitution française. Les lignes rouges imposées par le gouvernement et le principe d’équité citoyenne, qu’il brandit systématiquement, ne résistent pas à l’analyse des situations particulières de l’ensemble national et européen. Un document donc, que le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, n’hésite pas à qualifier « d’important », de « précieux », « qui fera date dans l'histoire de notre institution », et qui « constitue une réponse incontestable à ceux qui font semblant de ne pas savoir ce qu'est l'autonomie ». Et de préciser : « Il a vocation à être enrichi et à nourrir les échanges qui auront lieu fin juin à l'Assemblée de Corse avec la présentation d'un rapport, concerté avec les autres groupes nationalistes et les forces politiques qui souhaitent s'y associer, en vue de formaliser nos propositions dans le cadre du processus de Beauvau ».
 
Une exception française
Ce rapport, remis par le président de la Commission, Romain Colonna, est le troisième en date, après le rapport Mastor sur l'évolution institutionnelle de l'île en octobre 2021 et le rapport de la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, sur le lien entre degré d’autonomie et bien-être économique et social. Il avait été commandé en janvier dernier par la Conférence de coordination, instance de l’Assemblée de Corse réunissant l’ensemble des présidents de groupes politiques et présidents de commissions, sur proposition du Président Simeoni et de la Présidente Maupertuis. « Nous avons procédé à 15 auditions d’experts universitaires spécialistes de Constitution, de fonctionnaires qui éprouvent au quotidien les statuts d’autonomie en Europe et des acteurs politiques de premier plan, des présidents et vice-présidents d’assemblée délibérante sous statut d’autonomie depuis maintenant plusieurs décennies. Ces trois groupes d’acteurs nous ont véritablement permis de faire un tour de l’autonomie au niveau français. On nous a souvent fait le reproche notamment du côté du gouvernement de brandir l'autonomie tel un slogan, je crois que ce rapport vient invalider un certain nombre de choses, dégager un certain nombre de perspectives. Il était important, à partir de l'analyse à la fois technique, juridique et constitutionnelle, de s'inscrire dans le processus politique et de montrer ce qu'il était possible de faire et les évolutions envisageables » explique Romain Colonna. L’apport majeur du rapport est, donc, de démontrer que l'autonomie existe dans le cadre français et dans le cadre insulaire. « On pense à minima à la Polynésie française et à maxima à la Nouvelle-Calédonie. Nous avons aussi pu faire un tour des insularités au niveau méditerranéen et des autonomies au niveau européen. Il en ressort que l’autonomie améliore le quotidien des habitants et des peuples et qu’elle est possible au niveau constitutionnel français. Donc, ce n’est pas une chimère ! Elle est la règle de toutes les îles européennes, à part la Crête. La Corse, comme île, et la France, comme Etat, font figure d’exception au niveau méditerranéen. Il faut remédier à cela, d’autant plus que l’autonomie correspond aux aspirations politiques validées démocratiquement par le peuple corse », ajoute-t-il.

Une négociation permanente
Dans cette méthode d’auditions croisées réside, pour Nanette Maupertuis, tout l’intérêt du rapport, elle permet de tirer deux enseignements. « Le premier est que l’autonomie est non seulement possible d’un point de vue théorique dans la Constitution française, mais qu’en pratique, il n’y a jamais de retour en arrière. Au contraire, c’est un processus permanent. Au Val d’Aoste ou au Trentino Alto Adige (ou Sud Tyrol), l’autonomie existe depuis parfois 75 ans, depuis 1948 pour le Val-d’Aoste et la Sardaigne. Or, ces régions sont toujours en train de négocier avec l’État central. Cela signifie que du point de vue du processus historique dans lequel nous nous sommes engagés, où de nombreux aléas ont pesé, comme dans tout processus, il y a la possibilité d’envisager, non seulement des discussions de nature constitutionnelle et sectorielle en termes de transfert de compétences, mais aussi un processus d’apprentissage et une négociation qui sera permanente avec l’État central. Cela s’est passé comme ça dans tous les processus d’autonomie en Europe ».

Des lignes rouges balayées
Le second est de balayer, arguments à l’appui, les lignes rouges brandies par le Président de la République au mois de mars 2022 et sans cesse agitées sur la langue, la citoyenneté, le statut de résident… « Dans la Constitution française, les lignes rouges ont déjà été franchies, en particulier pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Dans le contexte européen, que ce soit au Trentino Alto Adige - où il y a deux provinces et deux communautés, l’une de langue allemande et l’autre de langue italienne - ou au Val-d’Aoste, les lignes rouges ont été remises en cause et sont passées du rouge au vert pendant le processus. On a vu qu’il était possible de constitutionnaliser certaines revendications au cours du temps par la négociation politique ». Pour cela, déclare la présidente Maupertuis, il faut commencer « par reconnaître qu’il existe un conflit et que tout le monde veut s’engager dans la construction d’une solution globale à ce conflit. Cela part d'un principe méthodologique de base ». Elle cite l’exemple du Portugal, pays unitaire. « Le Portugal, qui n’est pas un État régional comme l’Italie ou l’Espagne, a reconnu le peuple des Açores, l’açorialité bien spécifique à la terre et à la mer, et les Açores ont fait valoir leurs droits. Par la discussion et la déconstruction de certains à-priori, de certaines postures politiques et la mise en œuvre d’un travail de nature politique et constitutionnel, il a été possible de faire avancer les positions et de trouver une solution politique globale aux problèmes de ce type de régions ».
 
Le modèle calédonien
La reconnaissance du conflit est la première et la plus importante des multiples préconisations du rapport qui trace un certain nombre de pistes dans le champ du possible. « Une chose extrêmement importante qui ressort des auditions, c’est surtout ne pas avoir une approche exclusivement technique de l’autonomie. La modification constitutionnelle et la loi organique ne sont que la traduction juridique d’un conflit. L’accord politique doit reconnaitre le conflit et les raisons du conflit en Corse. De cet accord politique débouchera une traduction juridique qui serait la révision de la Constitution pour consacrer, à travers un titre dédié, une Corse autonome », affirme Romain Colonna.  Autre recommandation : se prémunir du risque d’un statut sans réel pouvoir. « On a vu dans le cadre français et au travers d’exemples européens que parfois il y a une reconnaissance dans un texte juridique d’une autonomie, mais vidée de toute sa substance, parce que sans aucun transfert de moyens, ni humains, ni financiers. Comme par exemple, Saint-Barthélemy qui n’est pas du tout autonome au sens où on l’entend, au sens calédonien. Or, il ne saurait y avoir d'exercice de la compétence sans ressources budgétaires et humaine. Dans tous les statuts d’autonomie, on voit que le transfert de compétences ne veut pas dire la fin des aides exceptionnelles ou des plans structurants pour le territoire. L’un ne va pas sans l’autre ».
 

Pas de mur infranchissable
Ce rapport ne cache pas sa prédilection pour le modèle calédonien avec l’inscription de la Corse pas seulement dans un article, mais dans un titre de la Constitution : « L’exemple calédonien montre un transfert de compétences qui a tout à fait fonctionné, puisque le congrès de Calédonie a pris, depuis maintenant plus de 20 ans, 259 lois, seules 5 ont été invalidées par le juge constitutionnel. C’est dire à quel point ce transfert a réussi et est probant ! », estime Romain Colonna. « Il est préférable pour la Corse, d’avoir un titre et une autonomie à maxima, qui correspond à la situation de la Nouvelle-Calédonie, avec un transfert irréversible de compétences. Un statut d’autonomie est conforme aux règles internationales et à la Constitution dans laquelle il est inscrit. Un territoire autonome ne peut pas faire ce qu’il veut, quand il veut, il y a toujours des instances de contrôle, notamment, au niveau où se place l’autonomie de la Corse, le Conseil constitutionnel ». Une façon de dire que les barrières sont plus idéologiques que constitutionnelle : « Nous avons essayé au sein de la Commission de démontrer que finalement si l'opposition devait demeurer, elle demeurait de nature politique et pas d'un point de vue technique, juridique ou constitutionnel. C’est tout l’enjeu de la négociation. Nous avons essayé de faire la démonstration qu’il n'y avait pas un mur infranchissable et que nous pouvions, comparativement à ce qui se fait déjà dans le cadre constitutionnel français ou plus généralement dans les îles méditerranéennes et en Europe, aller vers un statut d'autonomie. C’est tout à fait possible ! ».
 
Une réunion sous tension
Reste à le faire entendre à un gouvernement spécialiste des rétropédalages qui fait la sourde oreille et s’ingénie, avant chaque réunion, à réitérer les gestes négatifs. Celle de ce mercredi s’annonce tendue. « On verra dès demain quel est le ton de la réunion et comment le processus, qui est bloqué pour différentes raisons depuis le 24 février, va repartir. Il y a eu beaucoup d'aléas, mais nous ne nous sommes pas arrêtés puisque l’Assemblée de Corse s’est réunie à travers la Commission des compétences législatives et réglementaires à plusieurs reprises. J’espère que nous aurons en face des partenaires prêts à trouver des solutions idoines aux problèmes qui sont posés », commente la présidente Maupertuis. « Il est important que la réunion de demain à Paris vienne confirmer l’état d’esprit qui était celui annoncé par le ministre Darmanin, au nom du Président de la République et de l’État, au début du processus, c’est-à-dire la volonté de donner à ce processus une véritable dimension historique », lance Gilles Simeoni. Même si le scepticisme et l’inquiétude dominent, le président corse reste déterminé : « Il faut réussir, mais pour réussir, il faut être deux. Du côté de la Corse et des Corses, nous sommes prêts. Nous arrivons avec nos arguments, notre légitimité avec des rapports et des propositions que nous avons reçu mandat de soutenir. Si le gouvernement et l’État veulent réussir, c’est à eux d'apporter la réponse ».
 
N.M.