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Pierre Leccia : « La dernière saison de Mafiosa, c’est la réalité en pire ! »


Nicole Mari le Dimanche 13 Avril 2014 à 20:45

L’ultime saison de Mafiosa, série phare de Canal+, est programmée à partir du 14 avril. Un documentaire sur le tournage, réalisé en Haute-Corse, sera diffusé le 18 avril sur FR3 Via Stella. Cette saison 5 plus centrée sur les femmes et plus sentimentale, avec l’arrivée d’Asia Argento, est aussi plus noire, plus tragique et plus violente. Pierre Leccia, scénariste et réalisateur, la qualifie « de tous les excès » ! Il se livre, pour Corse Net Infos, à quelques confidences sur son travail dans la série.



Pierre Leccia, scénariste et réalisateur de Mafiosa.
Pierre Leccia, scénariste et réalisateur de Mafiosa.
- Pourquoi avez-vous décidé d’arrêter la série à la saison 5 ?
- C’est la dernière saison. Le voyage s’arrête. C’est une décision commune que nous avons prise avec Canal+ et la production. Cette aventure dure depuis 8 ans, il faut savoir ne pas faire le combat de trop.
 
- Que se passe-t-il lors de cette dernière saison ?
- Il se passe plein de choses qui, j’espère, vont intéresser les gens. Pour un scénariste, la dernière saison est celle où tout est possible, où tous les excès, tous les coups les plus tordus sont permis. Nous avons essayé de faire un feu d’artifices ! A un moment, nous avons cru que les personnages étaient allés au bout de leur histoire, mais nous avons encore reculé les limites ! La dernière saison de Mafiosa, c’est la réalité en pire !
 
- Pourtant, la fin n'est pas aussi dramatique qu’on pourrait s’y attendre dans ce type de fiction ?
- Je ne vais pas vous révéler la fin, sinon il n’y aurait plus aucun intérêt pour les téléspectateurs à regarder la série ! Il n’y aurait plus d’émotion. Le travail d’un scénariste est d’écrire des séquences qui déstabilisent ou déroutent le spectateur, de l’emmener là où il ne s’attend pas à aller, de toujours le guider et, de temps en temps, le perdre… Et, puis, ce qui est dramatique pour certains, ne l’est pas forcément pour d’autres !
 
- En quoi votre arrivée en tant que scénariste a-t-elle changé la face de la série ?
- La série n’a pas changé ! Au début, il y avait un malentendu entre Mafiosa et les Corses qui ne se reconnaissaient pas dans les voyous qui étaient montrés dans la saison 1. Lorsqu’avec le réalisateur de l’époque, Eric Rochant, nous avons commencé à écrire la saison 2, notre travail a été de réconcilier Mafiosa et la Corse. Nous l’avons poursuivi sur les saisons 3 et 4. Je l’ai achevé avec Aurélie Teisseire sur la saison 5. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, les Corses et Mafiosa ont fait la paix.
 
- Avez-vous plongé dans la réalité corse pour donner plus de vérité à l’histoire ?
- Oui ! Nous avons plongé dans la réalité corse et ramener un peu de Corse et des Corses dans la série. J’y suis moi-même rentré. Au fil des saisons, Mafiosa a senti de plus en plus la Corse !
 
- Ecrire ce type de rôle, traditionnellement masculin, pour une femme, est-ce un challenge ?
- Oui… L’aspect, totalement fictionnel et romanesque de Mafiosa, est que le chef d’un clan de voyous est une femme alors qu’on sait que ça n’existe pas en Corse ! Mais, le vrai challenge a été de prendre le train en marche. J’étais absent de la saison 1. Je suis arrivé comme scénariste à la saison 2 et je suis, en plus, devenu réalisateur à la saison 4.
 
- N’avez-vous pas eu quelques difficultés à rendre le personnage de Sandra vraisemblable ?
- Ce n’était pas une difficulté. Je pense même qu’au départ, ça a été un atout ! On est tellement habitué à ce que le chef soit un homme et commande d’autres hommes. Là, c’est une femme… qui s’est imposée petit à petit, comme le personnage de Sandra Paoli et la comédienne Hélènes Filières dans la série. Plus le temps passait, plus le personnage, totalement fictionnel et romanesque, devenait crédible et réaliste. Son évolution est allée de pair avec l’évolution de la comédienne. Aujourd’hui, on a l’impression que Sandra Paoli existe, qu’elle peut exister quelque part ! Ce n’est plus une femme, c’est un chef. Elle est devenue le boss. Elle parle aux gens qui travaillent avec elle comme si elle était un homme. Le fait qu’elle soit une femme était la problématique initiale, aujourd’hui, Sandra a une problématique de chef !

- Qu’avez-vous ressenti en écrivant ces scénarii ?
- Un plaisir absolu ! Lorsqu’on vit du métier qu’on aime et, qu’en plus, on raconte une histoire qu’on aime et qu’on a envie de raconter, c’est le jackpot absolu ! C’est le cas avec Mafiosa. La série permet de faire évoluer les personnages. Canal+ et la production me demandaient, à chaque fois, de nouveaux challenges.
 
- Est-ce dur d’arrêter ?
- Non ! Quand j’ai terminé le mixage, j’ai eu un petit coup de blues parce que Sandra, Tony, Manu, les hommes de main, les flics qui sont très importants dans la saison 5… Ce sont, tous, des gens auxquels je me suis attaché. C’est une famille que tout à coup je quitte, non sans un pincement au cœur. Mon tour de manège a duré sept ans. Ce n’est pas rien ! C’est quand même un sacré voyage ! Ces sept ans ont été sept ans de bonheur pour moi, pour la série, pour les acteurs… Nous avons, tous, évolué en même temps. Phareelle Onoyan avait 14 ans quand elle a commencé la série, elle en a, aujourd’hui, 22, elle a grandi avec Mafiosa. Les personnages de Tony et de Manu, qui sont arrivés à la saison 2, étaient des rôles secondaires et sont devenus très importants dans les saisons 4 et 5.
 
- Frédéric Graziani, qui incarnait Manu, est décédé en mars 2013. Pourquoi avez-vous décidé de conserver le personnage ?
- La disparition de Fred Graziani, qui faisait partie de la famille et a tellement apporté au personnage de Manu, met un bémol à ce bonheur. Ce fut un coup dur parce que Manu et lui ne faisaient qu’un. Je n’ai pas voulu me séparer du personnage. Je me disais que si Fred était là, il m’aurait dit de ne pas virer le personnage qu’il a créé et à qui il a tout donné. Je l’ai gardé par amour et par respect pour lui. Même si Fred est irremplaçable, il fallait qu’un autre acteur prenne sa place. Philippe Cortichiato est, ainsi, rentré dans la famille. Il a été volontaire, disponible et généreux. Ce n’est pas simple pour un comédien de reprendre un rôle après le décès de celui qui l’a créé. Philippe incarne un autre Manu, un peu différent… mais ce n’est pas pour autant que nous oublions le premier.

- Avez-vous d’autres projets en cours ?
- Pour l’instant, non. Avant, j’écrivais 2, 3 ou 4 scénarii par an. Comme scénariste et réalisateur, Mafiosa m’a pris tout mon temps. J’attends que la fusée Mafiosa atterrisse pour réfléchir à la suite. Bien évidemment, j’ai d’autres projets qui tournent autour de la Corse. J’espère pouvoir continuer à raconter d’autres choses qui m’intéressent.
 
- Une série ou un film de cinéma ?
- Si je peux, les deux ! J’aimerais bien réaliser un long métrage en Corse et, aussi, une autre série en Corse.
 
- La Corse est-elle, pour vous, un vivier d’histoires ?
- Le communautarisme est une espèce de vivier d’histoires. Lorsque dans ce communautarisme, une partie de la population prend des chemins de traverse et ne fait pas ce qu’on attend d’elle, cela devient très intéressant pour un scénariste. Mafiosa, ce n’est pas la Corse, d’abord parce qu’il n’y a pas de mafia en Corse, c’est une histoire de voyous comme il y en a à Marseille, à Grenoble ou à Paris. J’ai des choses à raconter sur ceux qui ont des vies extraordinaires, sortent des sentiers battus et sont dans la marginalité.
 
- Pourquoi ces destins hors-normes vous attirent-ils ?
- Tout le monde a plus ou moins les mêmes idéaux et les mêmes rêves, c’est-à-dire être heureux, rendre heureux les gens autour de soi, être en bonne santé, gagner de l’argent… Bizarrement, les voyous ont des destinées pas communes. Ils savent qu’ils peuvent mourir à 40 ans, passer 20 ans en prison et vivent avec ça. Cette double épée de Damoclés, la mort et la prison, qui pèse au dessus de leur tête, ne change pas vraiment leur vie. Il y a, chez eux, une espèce de fatalité qui est une matière intéressante. Alors que nous essayons tous de vivre le plus longtemps possible et que nous avons aucune envie d’aller en prison, eux se disent : « Si je meurs, je meurs ! Si je vais en prison, je vais en prison ! ». S’il faut y aller, ils y vont !
 
- La Corse fourmille de matière romanesque, autre que celle des voyous, notamment, des histoires politiques. Cela ne vous inspire-t-il pas ?
- Les histoires politiques en Corse tournent autour des Nationalistes et du FLNC. Nous l’avons un peu abordé dans Mafiosa. Ce côté-là m’intéresse, surtout la guerre fratricide entre les Nationalistes, mais on ne peut pas tout dire en une seule fois. J’espère raconter d’autres choses. L’immense majorité de la population, c’est-à-dire 99,99% sont des gens qui travaillent et qui « straziu » comme tout le monde. On peut faire des films sur ces gens-là, faire des films extraordinaires sur des gens ordinaires… ce n’est pas l’angle d’attaque que j’ai pris. Mais, effectivement, il y a plein de choses à raconter sur la Corse.
 
Propos recueillis par Nicole MARI
 

Pierre Leccia, entouré de l'équipe de la série Mafiosa.
Pierre Leccia, entouré de l'équipe de la série Mafiosa.