Corse Net Infos - Pure player corse

Linguizzetta cultive son histoire


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Lundi 18 Avril 2022 à 18:03

Attaché à son histoire, Linguizzetta cherche à préserver son patrimoine. Il y a quelques semaines, la municipalité a fait mettre en place de nouveaux panneaux de localisation, aboutissement d’un travail de récolement des toponymes anciens du village réalisé il y a quelques années et intégralement mis à disposition des habitants sur CD-Rom. Une opération longue et complexe



Crédit photo agence So de Vintiseri
Crédit photo agence So de Vintiseri
Un toponyme, qu’est-ce que c’est ? C’est un mot savant pour désigner tous ces noms de lieux, officiels ou connus seulement des plus anciens, qui nous racontent, quand on sait les décrypter, l’histoire d’un territoire : qu’ils soient en lien avec les activités humaines, les particularités géographiques ou même d’anciennes familles et occupants des lieux…
 
Si l’imagination de nos ancêtres avait toute liberté de les créer voire de les modifier, l’administration d’aujourd’hui a ses exigences. « En ce qui concerne les toponymes, explique le maire Séverin Medori, nous sommes tenus par des obligations légales : en premier lieu les services de secours, les pompiers ; mais aussi la Poste, avec ses propres normes ; la fibre qui est en train d’arriver… Il faut tout rentrer dans une banque de données nationale, pour que ces services disposent des mêmes adresses, quels que soient les organismes. Aussi, la question qui se posait à nous était : est-ce qu’on essaie de sauver tout de suite un maximum de ces noms ? Ou est-ce qu’on attend encore pour tenter de les sauver tous ? »

Car s’il est une richesse à Linguizzetta, c’est bien celle de ses toponymes : ils sont bien plus nombreux que ce que l’on pourrait imaginer.

Une opération coûteuse
Il fallait trouver un point d’équilibre. L’opération qui a été menée n’est donc pas totalement exhaustive. D’autant que ce travail d’adressage, pour lequel la plus grande précision est requise, a un coût : « Il faut prévoir un budget conséquent, complète le maire. Nous l’avons réparti sur 2021 et 2022. » 
Il était temps ! « Nous étions en train de perdre la route des Petraghje, par exemple, qu’on appelait également “route du curé” parce qu’au temps de ma jeunesse, le curé habitait là-bas ! » De la même façon, la route du village était devenue la route de la SOMIVAC. L’objectif était de redonner des noms qui correspondent à l’histoire du village : « que ces lieux-dits reviennent dans le langage courant d’où ils avaient disparu ! » Et si la totalité des toponymes n’a pas encore été officialisée, que l’on se rassure : il sera toujours possible de compléter la base ainsi initiée. 

Bercaghja ou Barchaia ?
Pour des raisons économiques, et parce que l’histoire se construit aussi au fil de notre présent, il a fallu également garder les noms de marques commerciales. Ainsi, l’ancienne route Dicepone a-t-elle vu son nom associé à celui de Bagheera. 
Enfin, une dernière difficulté – et de taille ! – a dû faire grincer bien des dents, comme en témoigne le souillage, il y a peu, de l’un des panneaux : le choix de la “bonne” orthographe ! « Nous avons fait quelques erreurs qu’il nous faudra rectifier », reconnaît Séverin Medori. Car au fil du temps, surtout dans notre culture de tradition orale, la façon d’écrire les noms a changé : « Pour beaucoup de lieux-dits, nous avons trouvé trois ou quatre écritures différentes, que ce soit dans les documents officiels de la mairie, ou dans des écrits vieux de 70 ou 80 ans ». 
Ainsi, le lieu-dit Bercaghja, là où se trouvait l’ancien port de Bravone, s’orthographie également Barchaia. C’est là que se trouve un baptistère antique, reconstruit vers la fin du IVe siècle, près de l’ancienne chapelle préromane de Santa Maria. L’occupation de ce site où l’on trouve nombre de sépultures en tuiles, d’origine apparemment romaines, semble être particulièrement ancienne. 
 
 

Une histoire ancienne qui a laissé de nombreuses traces sur la commune

La chapelle de Saint-Pancrace
La chapelle de Saint-Pancrace
 
Geneviève Maracchini-Mazel, spécialiste de l’architecture paléochrétienne et romane en Corse, a répertorié l’édifice, « mais aucune fouille n’a jamais été réalisée », regrette Hubert Visani, originaire du hameau de Monte, qui a multiplié les recherches sur l’histoire de Linguizzetta et en parle avec passion : « il existait un village, peut-être plus ancien, en contrebas, autour d’une chapelle romane : San Paulu. Ses habitants auraient migré par la suite vers le village actuel où se trouvait une église San Petru Vecchju ».
C’est en 1627 qu’a été construite l’église que l’on voit aujourd’hui, récupérant les vocables de San Petru et San Paulu. Le couvent franciscain et capucin, bâti en 1646, occuperait le site de l’ancienne Villa del Conti de Mazzamucchiu, estime Hubert Visani. Fermé à la révolution, il sera réactivé durant quelques années, à l’époque du Royaume Anglo-corse, avant d’être transformé en maison d’habitation. 


Du comte fou… au roi de Corse
Au-dessus du village, se trouvent également les ruines d’un château qui daterait du Xe siècle : le Castellu du conte pazzo, le “comte fou”. Une légende, rapportée déjà au XVIIe siècle, racontait que c’était la résidence d’été de Berlinghiero, roi de Corse et de Sardaigne, le site d’I Palazzi, juste sous le village, étant sa résidence d’hiver. 
Ce dernier site, d’époque romaine, est proche de l’église paléochrétienne d’I San Lorenzi, sur laquelle a travaillé également Geneviève Moracchini-Mazel : la FAGEC – Fédération d'associations et groupements pour les études corses qu’elle avait fondée – y a organisé, en 2008, un chantier de jeunes bénévoles pour dégager les ruines de la végétation et stabiliser les vestiges : un gros travail qui a permis de sauver tout un pan de l’histoire de Linguizzetta. « Geneviève Moracchini-Mazel a fait beaucoup pour la commune, constate le maire. Jusqu’à nous conseiller pour l’élaboration du PLU, en 2009, afin de préserver les zones sensibles au niveau archéologique. »
L’école de Bravone a été baptisée école Geneviève Moracchini-Mazel en son honneur, pour son apport à la commune.