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Le bâtonnier Jean-Sébastien De Casalta s’explique sur le feuilleton judiciaire qui l’oppose à Me Paul Sollacaro


Nicole Mari le Mercredi 2 Août 2017 à 22:10

C’est une affaire inédite dans les annales des barreaux corses ! Le contentieux, qui oppose le bâtonnier de Bastia, Me Jean-Sébastien De Casalta, à son confrère, Me Paul Sollacaro, dans l’exercice de leurs fonctions, a pris les allures d’un feuilleton judiciaire à multiples rebondissements. Parti d’un différend professionnel sur la défense de leurs clients respectifs, la querelle professionnelle a viré au règlement de comptes personnels sur fond de déchainement médiatique. C’est ce que dénonce le bâtonnier De Casalta, qui mis en cause par la partie adverse, mais blanchi par l’enquête, a décidé de s’expliquer. Il donne, également, à Corse Net Infos, son avis sur trois sujets d’actualité : la loi de moralisation de la vie publique, la loi de sécurité intérieure et le jugement Ferracci.



Me Jean-Sébastien De Casalta, bâtonnier du barreau de Bastia.
Me Jean-Sébastien De Casalta, bâtonnier du barreau de Bastia.
- Qu’en est-il de ce contentieux qui vous oppose à Me Paul Sollacaro et qui ressemble à un mauvais feuilleton ?
- Je suis, dans cette affaire, le conseil d’une avocate dont le frère a été tué et brûlé par Paul Fabiano, lequel a ensuite jeté les maigres restes de sa victime dans la nature. Après avoir été  condamné par la justice, Paul Fabiano, qui est défendu par Me Paul Sollacaro, a exécuté une partie de sa peine. Le Tribunal d’application des peines lui a, ensuite, accordé une mesure de libération conditionnelle. Le Ministère Public ayant formé recours de cette décision, la Chambre d’application des peines de la Cour d’appel de Bastia a été saisie. Lors de l’audience qui s’est déroulée devant ladite juridiction, un incident m’a opposé à Me Sollacaro en raison de son comportement irrespectueux que je n’ai pas manqué de fustiger. Mon confrère a réagi en quittant la barre et en abandonnant son client qu’il a laissé sans assistance ! Qu’il est cruel de rappeler que, selon l’usage du temps, l’avocat doit accompagner son client jusqu’au pied de l’échafaud alors que Me Sollacaro a déserté la défense à la première réprimande d’un confrère !
 
- L’affaire n’en est visiblement pas restée là ?
- Non ! A la sortie de la salle d’audience, j’ai été pris à partie par le père du condamné, Laurent Fabiano, qui m’a empoigné. J’ai été, ensuite, insulté par mon confrère. Me refusant à aggraver ce contentieux qui prenait un tour particulièrement agressif, j’ai invité, par écrit, Me Sollacaro à me faire ses excuses, ce qu’il a refusé, ajoutant que c’était à moi qu’il revenait de les lui adresser et qu’il n’entendait pas en rester là. Il a délibérément choisi l’offense et le déni à la bienséance la plus élémentaire, celle-ci lui étant manifestement étrangère ! Ce manquement flagrant à nos règles déontologiques – et c’est un doux euphémisme ! - a conduit à la saisine du Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Nice, dont Me Sollacaro dépend, aux fins de sanction disciplinaire. Dans le même temps, Me Sollacaro s’employait à médiatiser abondamment l’affaire, dans un quotidien bien connu, pour tenter, notamment, de s’exonérer de ses errements. Ce, d’autant que la juridiction d’appel avait décidé de réincarcérer son client.
 
- Comment tout cela a-t-il pu déboucher sur un dépôt de plainte contre vous ?
- Quelques semaines après ces faits, j’apprends que Laurent Fabiano m’accusait d’être l’auteur de menaces et de chantage à son encontre par le truchement d’un intermédiaire, et que mon confrère, se faisant le relais malveillant de ses dénonciations insensées, avait saisi le Procureur de la République de Bastia afin que des poursuites pénales soient engagées contre moi ! Une enquête a été effectuée par la police qui a entendu tous les protagonistes et a conclu qu’il ne pouvait m’être reproché le moindre commencement d’infraction. Et pour cause, puisque les faits, qui m’étaient imputés, n’existaient pas ! Néanmoins, après cette décision de classement sans suite, le même organe de presse a cru devoir publier les allégations mensongères et calomnieuses de Laurent Fabiano dans lesquelles il persistait à me présenter comme une personne indigne d’être avocat et utilisant des méthodes de voyou.
 
- Comment avez-vous, alors, réagi ?
- J’ai été meurtri par ces accusations diffamatoires portant atteinte à mon honneur et à ma dignité d’avocat, des accusations rehaussées par la publicité qui leur était faite. J’ai reçu le soutien des barreaux de Bastia et d’Ajaccio, de l’Union des jeunes avocats, et de nombreux bâtonniers et avocats sur le continent. N’acceptant pas d’être sali de la sorte, j’ai fait savoir publiquement  – à l’occasion d’une conférence de presse que seul le quotidien en question a refusé de couvrir ! – que je demandais à mon confrère et ami, le Bâtonnier Me Dominique Mattei, d’entreprendre, au soutien de mes droits, toute action judiciaire nécessaire. J’ai exclu, par principe, de déposer une plainte au pénal contre Laurent Fabiano et Me Sollacaro, dont les excès me peinent et me consternent. Je n’engagerai aucune action en justice contre mon confrère.
 
- Pourtant eux ne s’en privent pas ?
- Non ! J’ai encore, appris, il y a quelques jours, toujours par le même organe de presse, que Me Sollacaro, dont les penchants outranciers et procéduriers ne faiblissent pas, avait déposé une nouvelle plainte contre X pour escroquerie au jugement. Cette plainte concerne en réalité, sans les viser expressément, les parties civiles, leurs conseils dont je fais partie, et même la juridiction ayant rendu la décision contre laquelle Me Sollacaro n’a pas estimé entreprendre de pourvoi en cassation. Cette nouvelle action judiciaire, tout aussi délirante que la première, par delà la mise en cause de mes deux confrères intervenus à mes côtés et dont je veux rappeler la parfaite probité, fait beaucoup de tort à ma consœur, partie civile, qui, marquée à jamais par la perte de son frère dans des circonstances horribles, se voit injustement quereller.
 
- Comment expliquez-vous cet acharnement ?
- Me Sollacaro a cédé, une fois de plus, avec cynisme et indécence, à la pulsion de la chicane de la plus mauvaise foi qui, décidemment, l’aveugle au point qu’il est sans doute devenu le plaignant le plus créatif et productif de la profession : magistrats, enquêteurs, avocats ont déjà été visés par ses frénésies belliqueuses. Qui sera le prochain ? Un autre magistrat ou confrère, peut-être encore ma modeste personne, un expert, un témoin, un juré, voire un justiciable susceptible de lui déplaire… Il pourrait, d’ailleurs, songer à éditer ses plaintes dans un recueil intitulé « Les infortunes de mon imaginaire judiciaire » ! Il serait temps qu’il cesse de nourrir, dans un gonflement quasi-pathologique, ce conflit ! Je l’exhorte à vaincre ses abus qui blessent la profession d’avocat et la discréditent aux yeux de l’opinion publique. Quoiqu’il en soit, s’il n’aura ni mon animosité, ni ma rancœur, mon empathie lui est acquise !
 

- Venons-en à des questions plus générales vous concernant en tant que bâtonnier. Que pensez-vous de la loi de moralisation de la vie publique qui vient d’être votée en première lecture par l’Assemblée Nationale ?
- Cette loi comprend un large éventail de mesures : de l’interdiction de l’emploi de collaborateurs de sa famille à la suppression de l’enveloppe pour frais de mandat, en passant par la prévention des conflits d’intérêts et le financement de la vie politique. Certains considèrent que ce texte n’est pas allé assez loin et ne s’est pas suffisamment attaqué au poids de l’argent dans la sphère politique. D’autres, au contraire, estiment qu’il contribue à la stigmatisation des parlementaires et qu’il comporte des manques ou des reculs. Pour ma part, je considère que cette loi emblématique, dont l’esprit se résume à la volonté de renouer la confiance entre élus et citoyens et qui a été adoptée à une très large majorité en première lecture par l’Assemblée Nationale, est plutôt équilibrée. Même si je déplore que ce dispositif ait été conçu dans l’urgence, ce que du reste a souligné le Président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Sans doute une réflexion plus approfondie aurait été utile.
 
- Que vous inspire le projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme en cours d’examen parlementaire ?
- Le terrorisme, ainsi que le disent tous les spécialistes, s’est installé pour des années. Il ne peut être combattu efficacement que par des réponses de long terme, s’attaquant en profondeur aux causes qui le nourrissent et y répondant dans la durée. C’est dire que la restriction des libertés publiques fondamentales ne peut être une réponse au terrorisme ! Etre attaché et plus encore fier de ses valeurs et de ses libertés, c’est aussi rappeler le caractère nécessairement exceptionnel et provisoire des mesures relevant de l’urgence. Aujourd’hui, l’état d’urgence ne sert plus à rien ! En sortir est une nécessité, mais cela ne doit pas se faire dans la précipitation en inscrivant pareilles dispositions dérogatoires dans le marbre du droit commun. Or, l’Etat de droit est mis à mal dans ce projet de loi !
 
- De quelle manière ?
- Par les pouvoirs de police exorbitants attribués aux autorités administratives qui excèdent les principes de nécessité et de proportionnalité. Ce, en matière d’assignations à résidence, de visites et saisies, d’atteintes aux libertés d’expression, de manifestation et de réunion, et de fermeture des lieux de culte. Ce n’est plus l’interdit pénal qui légitime le prononcé de telles mesures, mais le simple soupçon et cela n’est pas acceptable !
 
- Ces pouvoirs ne sont-ils pas encadrés ?
- Ils le sont insuffisamment, dès lors que les garanties prévues n’assurent pas une conciliation équilibrée entre la prévention des actes terroristes et le respect des libertés individuelles. Le motif justifiant l’exercice des dits pouvoirs est trop extensif et subjectif. Le contrôle exercé sur eux s’avère en pratique difficile à effectuer, avec notamment l’usage par les autorités administratives des notes blanches émanant des services de renseignements.
 
- Redoutez-vous un usage abusif de ces mesures ?
- Oui ! D’autant que de telles dérives ont pu être constatées dans le cadre de l’état d’urgence. Ce dispositif législatif risque d’aggraver la stigmatisation d’une partie de la population qui se sent déjà visée, menaçant ainsi le pacte social. Il obère notre régime des libertés et droits fondamentaux, issu d’une longue construction historique. Aussi est-il inefficace et contreproductif !
 
- Dans l’affaire très polémique des villas Ferracci sur le site remarquable de la Rundinara, vous avez apporté votre soutien à Jean-Charles Orsucci. Pourquoi ?
- Les Corses sont animés par le souci aigu de la protection de leur environnement et ils ont parfaitement raison. Les associations de défense de notre terre, et plus particulièrement de notre littoral, font un travail remarquable. Mais U Levante ne peut agiter, en même temps, dans une main, le drapeau du respect de la loi et, dans un autre, le mépris d’une décision de justice en exigeant la démolition des villas Feracci. La justice demeure saisie, il faut attendre sereinement qu’elle juge de manière définitive. Quant à la querelle faite au maire de Bonifacio, Jean Charles Orsucci, elle est totalement injustifiée ! Il n’est en rien comptable du permis octroyé par la Cour administrative d’appel de Marseille à Mr Ferracci et de la construction de ces maisons. Ce, d’autant qu’il avait alerté, en son temps, l’autorité judiciaire. Chacun sait qu’il est un honnête homme et un excellent maire avec une haute conception de l’intérêt public et je veux lui apporter mon entier soutien.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.