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Le Parquet d'Ajaccio veut "lutter contre le pourrissement de la société et de la jeunesse corse"


Naël Makhzoum le Lundi 13 Février 2023 à 17:04

A l'occasion de l'audience solennelle de rentrée du tribunal judiciaire d'Ajaccio, lundi 13 février au matin, Nicolas Septe, est revenu sur l'année écoulée. Entre faits marquants et lutte acharnée contre la criminalité organisée et les violences intrafamiliales, le procureur de la République d'Ajaccio espère désormais poursuivre son travail en relation avec différents acteurs. Entretien avec celui qui est arrivé il y a un an et demi en Corse.



Nicolas Septe. Photo Michel Luccioni
Nicolas Septe. Photo Michel Luccioni
- Quel bilan tirer de cette année 2022 mouvementée, ponctuée par certains drames marquants ?
- Ç'a été une année riche, émaillée à bien des égards par des évènements marquants. D'abord, bien sûr, les violentes manifestations des mois de mars et avril à l'égard desquelles nous avons essuyé un incendie criminel, dans la nuit 9 au 10 mars. Ç'a été pour nous, à la fois une atteinte à notre outil de travail et au symbole de la République. Notre objectif a été de reprendre le plus rapidement possible notre travail pour assurer aux Corses une justice civile et pénale qui puisse fonctionner.
D'autres évènements ont marqué l'année, bien sûr l'assassinat de Jean-Christophe Mocchi, ou le dernier homicide conjugal que nous avons subi sur Ajaccio en fin d'année. Enfin, les violences occultes qui ont repris sous l'égide du GCC depuis le début de l'été.

- Dans vos réquisitions devant le tribunal judiciaire à l'occasion de sa rentrée solennelle, vous avez résumé 2022 à un mot : violences. Cette nouvelle organisation clandestine qu'est le GCC (Ghjuventù Clandestina Corsa) fait-elle craindre le retour d'une contestation armée en Corse ?
- Je ne fais pas de politique, ce n'est pas mon domaine. Je ne sais pas si on peut craindre un retour de la violence armée. Je pense qu'on est plutôt sur un discours porté traditionnel, nationaliste, qui tourne autour de la propriété aux Corses. A titre personnel, je n'en pense rien, je dis que c'est un constat de discours porté par des mouvements nationalistes depuis très longtemps.
Pour le reste, l'action judiciaire a été d'appréhender ce nouveau mouvement et d'y apporter la meilleure solution en termes d'enquêtes et d'investigation. C'est pour cela que le parquet national antiterroriste a souhaité s'en saisir. 

- Les incendies criminels se multiplient depuis plusieurs mois. Comment lutter contre ce phénomène ?
- Par la systématisation du travail d'enquête, technique. Des enquêtes sont en cours et systématisées sur chaque fait. Pour nous, il s'agit de rester vigilants par rapport à ces dégradations et de donner toutes les informations nécessaires au parquet national antiterroriste, avec lequel nous aurons d'ailleurs un échange dans les prochains jours.

- Pour cela, il faut une Police judiciaire (PJ) efficace. En Corse, celle-ci a chiffré a une trentaine le nombre de personnes nécessaires pour avoir des effectifs à la hauteur. C'est aussi une problématique rencontrée par la justice insulaire. Ce manque de moyens a forcément un impact sur la qualité du travail mené...
- En tout cas, dans mon discours, je ne veux pas être négatif. Je me veux optimiste. Je sais que le Ministre porte un budget inédit, en augmentation constante. Il nous est annoncé des recrutements donc la seule préoccupation que nous avons avec le président de la juridiction, c'est d'assurer que ces arbitrages seront favorables aux juridictions corses, notamment à celle d'Ajaccio. 
Bien évidemment, je l'ai souligné dans mes réquisitions, ce tribunal m'apparaît aujourd'hui sous-dimensionné par rapport à la technicité des contentieux. Il faut une PJ active, dynamique et c'est le cas. La justice doit répondre à ces attentes et être bien dimensionnée par rapport à la réalité concrète du terrain, pas simplement en rapport au nombre d'habitants par département, qui a moins de sens ici.

14 000 procès verbaux reçus par le parquet

- De grosses opérations ont été menées l'an dernier concernant le trafic de stupéfiants. Début janvier, 100 000€ ont été saisis chez un individu en pays ajaccien. Là aussi, il faut intensifier cette lutte ?
- Rien n'est dû au hasard. C'est d'abord une volonté de l'ensemble des membres du parquet et de la juridiction de lutter intensément contre le trafic de stupéfiants. On jette toutes nos forces dans cette lutte. Nous savons aujourd'hui que la Corse n'est pas épargnée par la consommation de produits stupéfiants.
Il y a eu une période où c'était une consommation plutôt touristique. Mais ce qui m'effare aujourd'hui, c'est de voir que la jeunesse corse cède comme sur le continent à une consommation festive. Après, on se retrouve avec de jeunes adultes qui deviennent complètement dépendants aux produits. Mon objectif est de lutter le plus tôt et le plus efficacement possible contre cette consommation de produits stupéfiants. 

Qui dit stupéfiants dit aussi alimentation des trafics. Il y a encore beaucoup d'autres enquêtes en cours, qui amèneront à des interpellations. J'ai noté 40 détentions provisoires, un chiffre conséquent pour un département comme celui de la Corse-du-Sud.
Nous menons aussi une lutte acharnée contre les points de deal, avec des comparutions immédiates. La prochaine aura lieu ce vendredi, nous jugerons un individu qui avait près de 100 000€ de produits stupéfiants chez lui.
Je veux lutter contre le pourrissement de la société et de la jeunesse corse. Comme sur le continent, je trouve que c'est une catastrophe sur le plan sanitaire et du développement personnel. 

- Au-delà de ces 40 détentions provisoires, quels sont les chiffres marquants de votre action aujourd'hui ?
- L'augmentation de l'activité pénale : on est passés de 9 000 procès verbaux par an reçus au parquet à 14 000. Nous aurons l'occasion avec M. le Préfet d'annoncer les chiffres de l'état de la délinquance dans le département lors de l'état major de sécurité. Nous repartons sur un schéma antérieur à celui de covid, avec des chiffres qui s'apparentent à une période d'avant-crise sanitaire. 
Il y a des tendances qu'il faudra analyser finement : la délinquance routière, les atteintes aux biens, les cambriolages, etc. La tendance est plutôt à la hausse, y compris sur les violences conjugales. Nous continuerons à mener une action très offensive. 

- Justement, vous avez notamment expliqué que les violences conjugales étaient davantage révélées aujourd'hui en Corse, avec un nombre de plaintes en hausse. Le travail doit continuer pour améliorer la prise en charge des victimes comme des auteurs...
- Il faut améliorer encore l'accueil des victimes, même s'il est déjà bien meilleur que celui que nous avons connu puisque des officiers de police judiciaire sont désormais formés à l'accueil de victimes de violences conjugales. Nous avons des structures d'accueil : l'unité médico-judiciaire au centre hospitalier, la cellule d'audition pour mineurs victimes que nous allons lancer au 1er semestre 2023 pour les mineurs victimes d'infractions pénales et donner à la Corse-du-Sud l'équivalent de ce qui se fait ailleurs. En termes d'accueil, de prise en charge et de réponse pénale rapide pour les victimes. 

- Pour cette année 2023, qu'espérez-vous ?
- J'attends que nos projets aboutissent. Ceux pour la prise en charge des victimes, notamment. Que nous puissions continuer à tisser des partenariats avec les associations. La présentation de la nouvelle circulaire de politique pénale territoriale mettra en avant de nouveaux objectifs, notamment en termes de préservation de l'environnement et de l'urbanisme. 
Et puis, les priorités d'action publique : les stupéfiants, les violences intrafamiliales et la criminalité organisée. Nous avons déjà tissé des relations de proximité avec tous nos partenaires et nous essayons de continuer à aller vers les associations. Je lance d'ailleurs un appel du pied à ces associations pour leur dire que ma porte est ouverte et que je souhaiterais les rencontrer pour créer ces partenariats.