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La Cour des Comptes épingle les dépenses de fonctionnement et les politiques publiques


Nicole Mari le Mercredi 3 Avril 2013 à 17:56

La Chambre régionale des comptes de Corse a tenu son audience solennelle de rentrée, mercredi, à Bastia, en présence de Didier Migaud, premier président de la Cour, et de nombreux élus et parlementaires insulaires. L'occasion pour cette institution, qui fête ses 30 ans d'existence, de faire le point sur l'évolution de ses missions. La chambre régionale, en sous-effectif, a procédé à l'installation de Brigitte Roman, administratrice territoriale, comme 1er Conseiller et devrait recruter un nouveau magistrat en juin. Invité à inaugurer la salle d'audience Philippe-Seguin, Didier Migaud rappelle, à Corse Net Infos, les missions de ces institutions financières de contrôle, vigies de la bonne gestion des deniers publics. Il tacle les frais de fonctionnement trop élevés et les politiques publiques mal ciblées, qui freinent l’investissement.



La Cour des Comptes épingle les dépenses de fonctionnement et les politiques publiques
- Que demande-t-on aujourd’hui aux Chambres des comptes ?
- La loi nous donne mission de contrôler, d’évaluer et de certifier les comptes de l’Etat, de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales, non seulement leur régularité et leur probité, mais également l’efficacité de l’action publique. Elle prévoit aussi qu’à partir de nos constats, nous devons formuler des recommandations et avertir les citoyens de nos travaux. La Cour peut alerter, mais ne décide rien, le dernier mot appartient aux élus.
 
- Que se passe-t-il si les élus ignorent votre rapport et vos recommandations ?
- Nous faisons des piqures de rappel. Nous apportons un suivi à nos recommandations. Le Parlement a insisté pour que les contrôlés puissent informer des suites qu’ils apportent aux recommandations des chambres régionales. Lorsque des choses nous apparaissent anormales, nous avons aussi la possibilité de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière et même de transmettre au Parquet de l’ordre judiciaire. Nous ne sommes pas sans moyen par rapport à nos missions, mais nous n’avons pas la capacité de nous substituer aux élus. Dans une démocratie, c’est heureux !
 
- La chambre corse souffre de rotations importantes et de sous-effectif. Que faites-vous pour y remédier ?
- Je dois être attentif à ce qu’elle ait les moyens de fonctionner. Depuis quelques mois, cette chambre était en sous-effectif. Nous avons donc trouvé des solutions pour y remédier. Nous venons d’installer un nouveau magistrat, un autre viendra compléter l’équipe en juin. Nous regardons, aussi, la possibilité d’avoir sur place un procureur financier. Nous nous mobilisons pour que l’ensemble des personnels travaille le plus efficacement. Nous serons désormais attentifs à ce qu’il n’y ait plus de période de vacance entre deux mutations. Nous avons vu avec le président Heuga comment partager un certain nombre de compétences entre la Cour et les Chambres régionales et comment travailler ensemble pour vérifier le bon usage des deniers publics. Nous ne faillirons pas à notre mission.
 
- L’une de vos missions est la lutte contre la criminalité et les dérives mafieuses, prégnantes dans l’île. Allez-vous vous impliquer davantage dans le dispositif de lutte ? 
- La chambre régionale fait déjà ce travail. Nous avons convenu d’être encore plus en contact avec nos collègues de l’ordre judiciaire pour partager nos observations et constats et échanger nos informations. La Chambre s’inscrit dans cette action à partir du moment où celle-ci correspond à son cœur de métier, c’est-à-dire pouvoir contrôler s’il n’y a pas d’usage inapproprié des deniers publics. Je souhaite être en mesure de conforter ce rôle et nous examinerons avec la plus grande attention et compréhension le besoin de moyens complémentaires car le contrôle est un élément essentiel dans le fonctionnement d’une démocratie.
 
- Vous examinez la fragilité financière des collectivités. Quelle est la spécificité insulaire ?
- Les dépenses de frais de personnels en Corse sont très largement supérieures à la moyenne nationale. Or, les dépenses de fonctionnement sont très rigides, si elles continuent d’augmenter de façon sensible, elles réduisent d’autant les marges de manœuvre des collectivités territoriales à investir. Il faut, donc, appeler à un meilleur équilibre.
 
- Avec la crise budgétaire, avez-vous noté une aggravation de la gestion des fonds publics ?
- La situation nationale est devenue préoccupante à partir du moment où les déficits se sont accumulés et l’endettement a explosé. La cause de l’endettement n’est absolument pas un effort supplémentaire pour l’investissement ou les dépenses chargées de mieux préparer l’avenir. C’est le résultat de déficits successifs des dépenses de fonctionnement. A partir du moment où les finances publiques et l’endettement ne sont plus maîtrisés, finit par se poser un problème de souveraineté pour l’Etat qui se trouve dans cette situation. Nous avons invité au redressement des comptes publics. L’effort a été engagé en 2011 et s’est poursuivi en 2012. Un effort important est prévu en 2013. Il faut trouver le bon équilibre pour éviter que ces mesures de redressement ne pèsent sur l’activité et empêchent le retour de la croissance. Des marges de manœuvre existent en matière de dépense.
 
- C’est-à-dire ?
- Trop de politiques publiques sont mal ciblées, mal pilotées et, du coup, ne répondent pas aux objectifs définis par les responsables politiques. Beaucoup d’entre-elles engendrent des effets d’aubaine. Pour arroser quelques parterres de fleurs dans le ciblage d’une politique, on arrose tout un jardin avec des crédits publics qui ne sont pas suffisamment ciblés. Nous appelons à faire la chasse à ces effets d’aubaine ou à cet argent mal utilisé ou pas utilisé comme les objectifs d’une politique publique le prévoient.
 
- Que sont concrètement les parterres de fleurs et les effets d’aubaine ?
- On nous a reproché ce type de constat, mais, par exemple, les buralistes qui bénéficient d’un dispositif de soutien et d’aide publique, compte tenu de l’augmentation du prix du tabac. Ils ont obtenu des compensations de la part de l’Etat quand ce prix provoquait une diminution de leur rémunération. Or, on constate que la plupart d’entre eux ne subissent pas de grande diminution de leur rémunération. C’est ce qu’on appelle des effets d’aubaine. Que l’Etat aide les buralistes qui en ont besoin, oui ! Que l’Etat aide des buralistes qui ont vu leur pouvoir d’achat sensiblement augmenter, l’argent public peut, là, ne pas être correctement utilisé. Je pourrais multiplier les exemples. Il faut cibler les politiques afin que l’argent public aille là où il est nécessaire, où il doit être effectivement utilisé.
 
- Craignez-vous une dégradation des finances locales ?
- Non. Nous constatons que la situation des finances locales est globalement saine. Une règle empêche les collectivités territoriales d’emprunter pour leurs dépenses de fonctionnement. Elles ne peuvent le faire que pour des dépenses d’investissement. Cela dit, toute dépense d’investissement n’est pas obligatoirement pertinente au regard de l’efficacité de l’action publique. Le dernier rapport annuel observe que deux gares de TGV à 20 kilomètres de distance ou deux stations d’épurations côte à côte ne sont pas obligatoirement très pertinentes. Des économies sont possibles. La France peut-elle continuer, sans risque, à voir ses déficits et sa dette augmenter ? La sensibilité au taux d’intérêt est très forte. Actuellement la France emprunte à des taux très bas, 2% à 10 ans et un peu plus de 3% à 30 ans. Une augmentation de 1% représente 2,5 milliards dès la première année, 8 milliards dans 5 ans, 12 milliards au bout de dix ans. Et le risque de perdre toutes ses marges de manœuvre ! Il faut faire attention. Maîtriser les finances publiques revient à rester maître de sa souveraineté.
 
- La CGT vous accuse d’être responsable de la politique d’austérité et de son impact sur les populations les plus fragiles. Comprenez-vous ces accusations ?
- Non. J’invite ceux, qui ont manifesté, à mieux lire nos rapports. La Cour des Comptes ne prône pas l’arrêt ou la réduction des indemnités chômage dans le cadre du rapport sur le marché de travail. Nous avons recommandé une certaine dégressivité à partir d’un certain niveau d’indemnités. Le marché du travail ne fonctionne pas très bien. De moins en moins de chômeurs sont indemnisés. 600 000 chômeurs sont, d’ailleurs, complètement sortis du système d’indemnisation et de solidarité. Nous avons pointé les insuffisances d’un certain nombre de dispositifs comme le chômage partiel en les comparant avec les dispositifs allemands utilisés plus efficacement.
 
- Vous êtes-vous prononcés pour la suppression des Conseils généraux ?
- Non. Nous avons proposé une clarification des compétences entre les collectivités territoriales et appeler à une plus grande mutualisation, notamment au niveau du bloc communes-intercommunalité, pour réaliser des économies d’échelle. 2012 représente 1118 milliards € de dépenses publiques, toutes administrations confondues. Un chiffre en progression constante, mais moins forte depuis deux ans. Il y a donc un début de maîtrise des dépenses publiques. L’efficacité de l’action publique ne se mesure pas toujours à travers des crédits supplémentaires, mais par une question de moyens ou d’organisation. La Cour insiste là-dessus. L’efficacité des finances publiques n’est pas à la hauteur des crédits versés. La France a un des niveaux de crédits les plus élevés. A-t-elle une action publique à la hauteur des crédits consacrés ?
 
- Pouvez-vous donner des exemples ?
- La France consacre plus de crédits dans le domaine de l’éducation que la moyenne des pays de l’OCDE. Or, ses résultats, sur le classement, sont, depuis un certain nombre d’années, en régression. C’est la même chose en matière de logement, de santé ou de formation professionnelle. Nous appelons à multiplier les évaluations des politiques publiques pour apprécier si les objectifs sont bien observés, si l’argent public est bien utilisé et s’il y a une bonne accointance entre les résultats et les moyens consacrés.
 
- Quelle est votre position sur la suppression des sous-préfectures ? Y êtes-vous favorable ?
- Nous avons mis les pieds dans le plat. Nous avons invité les pouvoirs publics à s’interroger sur l’utilité d’une organisation qui ne correspond plus, aujourd’hui, à l’administration qu’il faut mettre en place au niveau d’un territoire. Nous n’avons pas dit qu’il fallait faire la chasse à toutes les sous-préfectures et les sous-préfets. Pour certaines, oui. Nous invitons, à chaque fois, à évaluer l’action publique. Nous désirons qu’elle soit transparente et la plus efficace possible.
 ropos recueillis par Nicole MARI