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Jean-Baptiste Arena : « Notre vision de l’agriculture se fonde sur un véritable projet de société pour demain »


Nicole Mari le Dimanche 12 Janvier 2025 à 18:31

Pour son meeting de clôture qui s’est tenu dimanche après-midi à l’université de Corti, Jean-Baptiste Arena et sa liste « A l’iniziu, una terra », ont réaffirmé l’enjeu des élections de la Chambre territoriale d’agriculture de Corse qui se tiendront du 15 au 31 janvier. A trois jours du début du scrutin, dans un amphithéâtre comble, chaque filière a rappelé les urgences. Jean-Baptiste Arena a, ensuite, défendu sa vision d’une agriculture basée sur le triptyque des priorités communes : foncier, eau, problèmes sanitaires. Un discours politique et militant où il martèle que la survie de l’agriculture est intimement liée à celle du peuple corse sur sa terre et qu’elle a besoin d’une union sacrée, au-delà des partis, d’une synergie englobant les différentes institutions et secteurs économiques. Jean-Baptiste Arena explique à Corse Net Infos qu’il est confiant et que sa liste est en tête dans toutes les pieves de Corse.



Jean-Baptiste Arena, vigneron, maire de Patrimoniu et conseiller territorial, est candidat à la présidence de la Chambre d’agriculture de Corse avec sa liste « A l’iniziu, una terra ».. Photo Christian Andreani.
Jean-Baptiste Arena, vigneron, maire de Patrimoniu et conseiller territorial, est candidat à la présidence de la Chambre d’agriculture de Corse avec sa liste « A l’iniziu, una terra ».. Photo Christian Andreani.
- Vous avez baptisé votre liste « A l’iniziu, una terra ». Quelle vision exprime ce slogan très politique ?
- Il exprime une réalité. Nous sommes tous issus d’une société agropastorale qui est en train de mourir, qui est la pierre angulaire de la société civile corse, qui l’était en tous cas depuis 4000 ans. Après avoir fait le tour de tous les territoires de l’île pour cette campagne électorale, nous nous sommes aperçus avec mes colistiers, qu’au-delà du fait que l’agriculture corse se porte très mal, le malaise va bien au-delà. Nous avons senti à quel point nous pouvons, en même temps que l’agriculture, disparaître en tant que peuple. Nous en avons pris conscience dans des pieve, des rughjoni très reculés, qui ont beaucoup apporté à cette terre et à ce peuple. Nous pensons que ce peuple a aussi beaucoup à leur apporter d’un point de vue économique pour aider ces villages à vivre et à survivre. Si aujourd’hui, il y a encore quelques cheminées qui fument dans ces villages de l’Intérieur, mis à part les retraités, c’est grâce aux agriculteurs, notamment aux éleveurs et aux castanéiculteurs qui ont énormément de mérite à y vivre et à y travailler. Au-delà de l’agriculture, c’est notre ADN qu’il faut sauver. C’est pourquoi notre vision se fonde sur un véritable projet de société pour demain.
 
- Ce combat pour sauver l’agriculture corse s’inscrit-il dans le combat politique que vous menez depuis des années ?
- En toile de fond, c’est certain, c’est un véritable combat pour la Corse, mais ce combat de sauvegarde de notre terre dépasse les clivages politiques. Comme je l’ai toujours dit, il concerne des gens issus de tous bords, ghjente chi anu sempre stu stintu paisanu, stu stintu campagnolu, stu stintu chi ava un ritruvemu più altro. Il y a des gens de droite, des gens de gauche, des autonomistes, des indépendantistes qui se réunissent et se fédèrent autour d’un projet parce qu’ils ne veulent pas la mort de leur pieve, de leur village, et surtout, ils veulent transmettre aux générations futures ce que leurs anciens leur ont légué, cume dicenu i suttanaccia, cio chi li maio l’anu transmessu. C’est, à la fois, un espoir magnifique à entrevoir et un travail très dur, très laborieux qu’il va falloir inscrire sur une génération, c’est-à-dire un quart de siècle, 25 à 30 ans. A partir du moment où nous aurons décidé de nous mettre véritablement autour d’une table, il faudra fédérer le maximum de personnes, d’agriculteurs, y compris des gens qui, aujourd’hui, ne sont pas avec nous sur cette liste, mais qui ont vocation à travailler avec nous, dans les mois et les années qui viennent.
 
- Diriez-vous que rien n’a été fait jusqu’à présent sous les mandatures précédentes pour porter cette vision et enrayer ce déclin de l’agriculture ?
- Nous ne pouvons pas dire que rien n’a été fait. Nous avons deux siècles et demi de retard. Le travail est immense. On ne pouvait pas achever un tel travail en 15 ans, mais il est certain qu’énormément de choses auraient pu être faites et ne l’ont pas été. Il va falloir rapidement les mettre en œuvre avec nos partenaires privilégiés que sont la Collectivité de Corse, les communes, les intercommunalités, les socioprofessionnels aussi, notamment les autres Chambres consulaires, que ce soit la Chambre de commerce et d’industrie ou la Chambre des métiers. C’est très important de créer des synergies, des transversalités pour relever ensemble le défi. L’Agence de tourisme de la Corse (ATC) doit également être partie prenante parce que le tourisme et l’agriculture ne peuvent pas être deux forces antinomiques, mais doivent se nourrir l’une de l’autre. Nous avons besoin de définir quel type de tourisme nous voulons pour la Corse et surtout étendre la saisonnalité de manière à ce qu’un agriculteur puisse vendre ces produits l’hiver, comme il le fait en plein mois de juillet ou d’août. Nous proposerons une discussion avec les professionnels du tourisme, l’ATC, l’ODARC, l’Office hydraulique, également l’Office de l’Environnement qui doit aussi accompagner une partie du projet. Je pense aux problèmes sanitaires que posent les cervidés, notamment dans l’Alta Rocca et le Fiumorbu, où il va falloir réguler leur population. On ne peut pas demander aux agriculteurs de cohabiter avec des populations de cerfs sans pouvoir les réguler parce que celles-ci commencent à impacter l’économie de nombreuses exploitations, autant au niveau animal que végétal.

En meeting à Corti.
En meeting à Corti.
- Lors de votre discours, vous avez décliné trois priorités comme socle de votre action, quelles sont-elles ?
- Nos priorités, c’est le triptyque qui tient l’agriculture partout sur la planète. Le premier pilier, c’est bien entendu le socle, c’est-à-dire la défense de la terre, du foncier. Le second est le combat pour l’eau qui a toujours été vitale pour développer l’agriculture, mais qui l’est encore plus de nos jours avec le dérèglement climatique. Le troisième est de se prémunir contre les problèmes sanitaires. Nous sommes aujourd’hui confrontés à de graves problématiques, que ce soit dans le végétal comme dans l’animal. On ne va pas revenir sur le frelon asiatique, la fièvre catarrhale, la peste porcine, la xylella fastidiosa qui menace la vigne et les oliveraies, le cynips qui a ravagé nos châtaigneraies... Sans oublier les fourmis qui deviennent un problème pour tous les agriculteurs et impactent même au-delà du monde agricole. A un moment, il faudra avec une discussion avec les services de l’Etat et avec l’Europe pour mettre en place de véritables barrières sanitaires et de véritables quarantaines, comme l’a fait l’île de la Réunion ou comme l’ont fait des îles continents comme l’Australie. On ne peut plus accepter qu’en tant qu’île, avec la barrière naturelle qu’est la Méditerranée, la Corse puisse continuer à être confrontée à ces fléaux.
 
- Que proposez-vous pour le foncier ?
- Au-delà de l’action que peut avoir la SAFER, il y a énormément de pistes que j’avais déjà évoquées au sein du Conseil d’administration de l’ODARC. La Chambre d’agriculture avec l’ODARC et l’Office foncier pourraient, par exemple, aider les petites communes à rechercher les biens sans maître. Ces biens constituent une manne, une réserve foncière pour chaque commune ou intercommunalité. C’est important parce que cette réserve viendrait en appui à l’action de la SAFER. L’Office foncier, grâce aux moyens que lui donne la Collectivité de Corse, peut aider, à la fois, les communes à acquérir certains biens, mais surtout à mettre en œuvre l’ingénierie nécessaire pour aller les chercher. En plus, ses biens sans maître ne coûteraient rien aux communes. C’est une des actions que nous pouvons rapidement entreprendre.
 
- Pour l’eau, vous avez également proposé des pistes d’actions. Lesquelles par exemple ?
- C’est une évidence de dire que l’eau est nécessaire à toute forme de vie. Tout agriculteur en a besoin que ce soit dans le domaine végétal ou animal. Il y a deux axes d’actions à mettre en œuvre en amont et en aval. Il faudra, en amont, construire de nouvelles infrastructures beaucoup plus petites que celles que l’on a construites dans les années 60 à 90. Il faut privilégier des retenues collinaires qui ont beaucoup moins d’impact sur l’environnement. Il faut aussi travailler en aval et apporter aux agriculteurs une technicité que la Chambre d’agriculture peut développer avec l’ensemble de ses services et en collaboration avec l’Office hydraulique. Il faut faire de la pédagogie auprès de l’agriculteur afin que sa consommation d’eau soit beaucoup plus vertueuse en attendant les futures infrastructures qui ne sortiront de terre que dans 15 ou 20 ans. Malheureusement, aujourd’hui même au Niolu, pour l’exploitation d’une châtaigneraie, nous allons avoir besoin d’irrigation. Ce triptyque - foncier, eau, sanitaire - est fondamental et transversal à toutes les filières et à tous types d’agriculture, que ce soit en plaine ou en montagne.
 
- L’agriculture est impactée de plein fouet par la crise économique qui sévit en France et en Europe et qui touche cruellement la Corse. Comment y faire face ?
- Nous savons bien que sur tout ce travail que nous devons faire pour sauver notre agriculture vient se greffer un handicap majeur, une crise économique mondiale qui n’épargne pas la Corse et qui impacte malheureusement fortement le monde agricole. Pour ne prendre l’exemple que de ma propre filière, la viticulture a mangé son pain blanc. Elle va être confrontée dans les mois qui viennent à une grave crise. Aujourd’hui, des milliers d’hectares sont arrachés dans le Bordelais et dans le Sud de la France. On parle même d’arracher les vignes en Champagne, en tout cas dans la Champagne pouilleuse autour de Troyes. Les années qui viennent vont être très noires pour l’économie mondiale et donc malheureusement pour l’économie corse. C’est pour cela que la transversalité devient nécessaire. Il va donc falloir rapidement se mettre autour d’une table avec les autres Chambres consulaires et l’ATC pour définir cette politique de tourisme que l’on veut mettre en place pour la Corse, en partenariat avec le monde agricole. Tout le monde doit faire des efforts et travailler en concertation avec les socioprofessionnels, notamment les hôteliers et les restaurateurs, pour faire ce qu’on n’a pas fait jusqu’à présent, à savoir mettre en place des bases de prix afin que le consommateur soit moins impacté. La Corse souffre d’un surplus de coût lié au prix du transport, mais le prix est aussi fortement grevé par le coefficient que pratiquent les intermédiaires, les grossistes et certains commerçants. C’est un travail de fond à faire de manière intelligente, tous ensemble, pour savoir où mettre le curseur à ce niveau-là, parce que sinon tout le monde sera perdant, à la fois les socioprofessionnels, les commerçants et les agriculteurs. Il faut jouer gagnant-gagnant pour que chacun puisse y trouver son compte en termes économiques.
 
- Pour revenir à votre liste, comment l’avez-vous composée ?
- J’ai voulu composer ma liste de manière antérieure à l’administration française, telle que nous la connaissons depuis Napoléon Bonaparte. À savoir revenir aux Pieve, sortir du clivage Nord-Sud et faire ce que nos anciens ont toujours fait, retisser les liens, la communication entre les différentes Pieve d’Est en Ouest. À partir de ce moment-là, j’ai fait en sorte que, Pieve par Pieve, de la mer à la montagne, il y ait un représentant de la mer de chaque Pieve et un représentant de la montagne de chaque Pieve. Le meilleur exemple peut être l’Alta Rocca, où il y a des représentants de Figari et des représentants de Levie pour la Haute-vallée. Nous voulons que la plaine puisse demain apporter à la montagne, ce que la montagne lui a amené pendant des siècles, voire des millénaires. Les femmes et les hommes qui composent cette liste sont des gens qui se lèvent tôt, qui n’ont pas peur de travailler, qui partagent des valeurs communes et qui sont en capacité d’accéder à des responsabilités administratives si importantes aujourd’hui. Un agriculteur est devenu un entrepreneur, chacun à son niveau. On parle désormais beaucoup d’agriculture entrepreneuriale. C’est un concept que Jacques Abbatucci a développé, il y a 25 ans, il a été un précurseur en la matière. Aujourd’hui, un agriculteur doit être un entrepreneur paysan proche de sa terre, mais un entrepreneur.
 
- A trois jours du début du scrutin, êtes-vous confiant ? Pensez-vous gagner cette élection ?
- Oui ! Les retours, que nous avons sur le terrain sont plus que positifs. Cumè si dice in corsu, a vuciata dice chi simu piazziati più che bè ! Nous sommes placés pratiquement en tête dans toutes les Pieve de Corse. Je sais très bien en tant que politique que c’est à la fin d’une élection que l’on paye les musiciens ! Et comme le disait le regretté Jean-Paul de Rocca Serra, nul n’est jamais mort d’une indigestion de voix ! Jusqu’à la dernière minute, nous nous battrons pour aller chercher la moindre voix, pour obtenir le maximum de sièges dans la future Chambre territoriale d’agriculture.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Jean-Baptiste Arena, leader de la liste « A l’iniziu, una terra » et quelques colistiers en meeting de clôture à l’université de Corti, pour les élections de la Chambre territoriale d’agriculture de Corse qui se tiendront du 15 au 31 janvier 2025.
Jean-Baptiste Arena, leader de la liste « A l’iniziu, una terra » et quelques colistiers en meeting de clôture à l’université de Corti, pour les élections de la Chambre territoriale d’agriculture de Corse qui se tiendront du 15 au 31 janvier 2025.