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Jean-Baptiste Arena : "C’est en restant nous-mêmes que l’on trouvera les ressources et les moyens d’avancer"


Nicole Mari le Mardi 23 Janvier 2024 à 13:25

Autonomie de la Corse, relations entre nationalistes, immigration, laïcité… En cette rentrée politique 2024, Jean-Baptiste Arena, conseiller territorial Core in Fronte, maire de Patrimoniu, revient pour Corse Net Infos sur les débats qui agitent la société corse et les grands défis à relever cette année. Pour l’élu indépendantiste, il n’y a pas d’autre chemin que l’union entre les quatre partis nationalistes et la nécessité de réaffirmer face aux dérives et aux polémiques les fondamentaux et les valeurs ancestrales de la Corse.



Jean-Baptiste Arena, conseiller territorial du groupe Core in Fronte et maire de Patrimoniu. Photo Paule Santoni.
Jean-Baptiste Arena, conseiller territorial du groupe Core in Fronte et maire de Patrimoniu. Photo Paule Santoni.
- Cette année s’annonce politiquement chargée, notamment avec le processus d’autonomie. Comment analysez-vous la situation ?
- C’est une année charnière. Certains rétorqueront que tous les 10 ans, il y a une année charnière pour la Corse, à part qu’aujourd’hui, nous sommes conscients de la problématique démographique. Nous n’aurons plus l’occasion dans les décennies qui viennent d’espérer de nouveaux statuts. Un statut d’autonomie peut contribuer à stopper cette hémorragie démographique qui, si elle se poursuit, programme la mort du peuple corse. A partir de là, 2024  sera une année très importante pour la Corse. Nous l’avons dit et répété : il est hors de question de descendre sous la délibération du 5 juillet 2023 qui a fait l’unanimité dans le mouvement national, sans avoir - il est vrai - la voix de Josepha Giacometti, qui ne s’y est pas opposée pour autant. Nous avons réussi à agréger Pierre Ghionga qui représente un courant de pensée encore vivace en Corse. Pour toutes ces raisons, nous sommes confiants en interne, que ce soit avec les nationalistes et le courant incarné par Pierre Ghionga. 
 
- Un nouveau gouvernement est en place sous la direction de Gabriel Attal. Ne craigniez-vous pas que cela change la donne au niveau du processus ?
- Le ministre de l’Intérieur a été reconduit. Le Premier ministre ne semble pas réticent à une évolution institutionnelle. Il semble se situer dans une ligne progressiste. Pour le moment, nous ne sommes pas inquiets pour l’évolution de la question du processus dans les mois qui viennent. 
 
- Le président Simeoni affirme qu’il faut trouver un accord entre tous les partis politiques d’ici à la fin du mois, ou au plus tard en février. N’est-ce pas un peu court comme timing ?
- C’est effectivement court, surtout qu’à droite, il y a encore des récalcitrants qui rejettent la délibération du 5 juillet. Cette délibération représente à peu près 75 % de l’électorat corse. Il y aura de toute manière, en fin de processus, un référendum où le peuple décidera. Ce qui veut dire que le peuple restera souverain. Donc, le consensus, oui ! Mais il doit se faire autour de la famille nationaliste, et pas au rabais pour contenter 25 % de l’électorat qui aurait refusé une telle avancée. Je le répète : il est inconcevable pour nous d’aller en-deçà de cette délibération ! En tant qu’indépendantistes, nous avons déjà fait des compromis. Nous ne pourrions pas envisager d’en faire de nouveaux, sachant que cela reste un véritable statut d’autonomie, mais pas plus que ça, comme le connaissent, par exemple les Açores. Tout le monde convient que ce statut permettrait à la Corse, à la fois d’obtenir une émancipation économique et sociale, et d’agréger un éventuel statut de résident pour nous protéger, d’un point de vue démographique, de la dilution de notre identité insulaire. Si on rapporte le chiffre à l’échelle de la France, cela représenterait 25 millions de nouveaux arrivants en un quart de siècle. Aucun pays sur la planète n’aurait pu absorber ce flux ! Nous l’avons fait, mais nous ne pouvons pas continuer dans les prochaines décennies à le faire, avant même d’avoir assimiler toutes ces personnes-là. La Corse aujourd’hui peut encore fabriquer des Corses, mais nous ne pouvons pas continuer à subir une telle agression démographique. 
 
- Certains vous accusent d’éluder cette question et d’avoir baissé les bras. Que leur répondez-vous ?
- Il me semble que nous y répondons au quotidien sur le terrain par notre présence aux côtés des Corses. Nous sommes conscients qu’il y a un problème sociétal qui nous touche et qu’aujourd’hui la machine à fabriquer des Corses est en passe de s’enrayer. Il revient à nous politiques, notamment la famille indépendantiste et autonomiste de savoir remettre au centre du jeu cette problématique. Il ne faut pas avoir peur d’aborder certains sujets comme l’immigration qui est un sujet complexe et vaste. Comme le disait déjà Edmond lors de la campagne des territoriales de 1992, nous sommes prêts à accepter quiconque se montre désireux de partager nos joies et nos peines tout en respectant nos us et coutumes. Que ces personnes viennent du Nord de l’Europe, de l’Est, de l’Ouest ou du Sud de la Méditerranée, pour nous, c’est la même chose. Il n’y a pas une bonne ou une mauvaise immigration. La corsitude, c’est d’abord un état d’esprit. Par contre il serait inconcevable qu’on se laisse imposer une culture qui n’est pas la nôtre, d’où qu’elle vienne. Face aux choix sociétaux auxquels la Corse est confrontée, il faut qu’on reste nous-mêmes parce que c’est en restant nous-mêmes que l’on trouvera les ressources et les moyens d’avancer. Et rester nous-mêmes comporte beaucoup de paramètres, y compris, de ne pas avoir honte de qui nous sommes.
 
- Qu’entendez-vous par là ?
- Il ne faut pas tout confondre. Certains problèmes, qui sont soulevés, existent. Ceci dit, on peut lutter contre ces problèmes et les résoudre de manière différente. Je suis convaincu aujourd’hui que c’est en assumant ce que nous sommes. Nous n’avons pas à nous calquer sur l’exemple français qui, depuis 50 ans, n’a pas su anticiper certains problèmes sociétaux, et sous prétexte d’une laïcité qui est devenue elle-même une religion à part entière, a tué un socle commun culturel millénaire qui était, entre autres, fondé sur la religion chrétienne. La Corse, malgré le fait qu’elle assume ses racines, a su aussi être ouverte sur les autres cultures et les autres cultes. C’est d’ailleurs pour cela que les Juifs ont eu cette liberté à la fois citoyenne, économique et religieuse dès le XVIII siècle et que d’autres l’ont eu par la suite. Pascal Paoli discutait notamment avec le dey d’Alger. Nous devons assumer cette mixité sans tomber dans une laïcité à la française, mais en réinventant notre propre laïcité. 

C’est-à-dire ? 
- Il ne faut pas que la laïcité soit elle-même une religion qui interdit l’expression des autres. Il faut mieux écouter les paroles du pape et de notre Evêque le Cardinal François Bustillo qui parle d’une « laïcité heureuse ». Il ne faut surtout pas oublier nos racines franciscaines qui ont été à la base des révolutions de Corse, des franciscains très proches du peuple qui prônaient « a terra di u cumunu », le dialogue interreligieux à une époque où le catholicisme intégriste pratiquait l’Inquisition. Au final, que ce soit l’islamisme, l’obscurantisme, un certain intégrisme catholique ultraconservateur, cela revient au même !
 
- Pour revenir à l’union que vous prônez entre les partis nationalistes, il y a le processus d’autonomie, mais aussi des échéances électorales comme les municipales. L’union s’avère compliquée ?
- Pour nous, militants Core in Fronte du Nebbiu, - je me limite au Nebbiu parce que, pour l’instant, il n’y a pas eu de discussion nationale - il serait inconcevable de partir en 2026 chacun de son côté sur une commune ou une intercommunalité et que nous puissions assumer seuls les responsabilités ou échouer à cause d’une éventuelle division. Nous allons entamer des discussions avec les représentants des trois autres structures nationalistes dans le Nebbiu, à savoir Femu a Corsica, le PNC et Corsica Libera. Une plate-forme commune pourrait se dégager sur de nombreuses problématiques car plus de choses nous rassemblent que nous divisent. Dès 2007 déjà à travers u cumitatu naziunalistu di u Nebbiu et en 2011 à travers notre candidature avec Sylvie Casalta aux cantonales, nous avions rassemblé l’intégralité de la famille nationaliste derrière nos idées. Nous nous inscrivons dans cette continuité. Nous l’avons fait en 2015 quand U Rinnovu n’avait pas été associé à la démarche d’unité nationale qui a mené à la victoire des territoriales. Aujourd’hui, je l’ai dit au président de l’Exécutif, à la présidente de l’assemblée de Corse, aux différents chefs de groupe à l’assemblée ou ailleurs, ce serait quasi-suicidaire de ne pas partir tous ensemble pour les municipales, voire les territoriales selon le résultat des négociations et du référendum. Dans ce cas, un nouveau scrutin pourrait intervenir rapidement fin 2025 ou début 2026. Ce serait la suite logique du référendum. Là aussi pour moi, il est inconcevable que l’on fasse des meetings chacun de notre côté. Il faudra associer Corsica Libera à ce processus de manière claire et précise, chose qui n’a pas été faite jusqu’à présent de notre part. Après, c’est aussi à Corsica Libera de faire un pas vers nous. Suite à ce processus et, je l’espère, à une avancée institutionnelle, il serait tout autant inconcevable que lors d’un second ou troisième tour, les quatre structures nationalistes ne soient pas unies.
 
- Cette méthode, que vous appliquez dans le Nebbiu, peut-elle vraiment s’étendre à tout le territoire ?
- Nous avons toujours dit que le Nebbiu était un laboratoire pour le reste de la Corse d’un point de vue agricole, tourisme équilibré, artisanat, le tout appuyé à une culture forte. Que le tourisme et l’agriculture notamment ne soient plus des forces antinomiques, mais que l’une puisse se nourrir de l’autre. Si nous arrivons à relever ce challenge politique, bien sûr, nous aimerions que le Nebbiu donne l’exemple à tous les autres territoires de l’île. Un autre souhait, c’est que lors des prochaines échéances électorales, nous puissions avoir des unions sur toutes les communes et intercommunalités de l’île.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.