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Hélène Davo : « Ma nomination en Corse n’est pas politique, c’est un choix de cœur »


Nicole Mari le Samedi 24 Septembre 2022 à 07:24

La nouvelle première présidente de la Cour d’appel de Bastia, Hélène Davo, a pris officiellement ses fonctions, le 23 septembre, lors d’une séance d’installation à laquelle assistaient, ce qui est fort inhabituel, trois ministres - le Garde des Sceaux, Éric Dupont Moretti, qui a calé sa visite en Corse sur cet évènement, mais aussi son prédécesseur, Nicole Belloubet, et Charlotte Cobel, secrétaire d’Etat chargée de l’enfance - et tout un parterre de magistrats parisiens venus spécialement pour l’occasion, dont l’ancien procureur de Bastia, Nicolas Bessone. Cette ancienne conseillère Justice du président Macron en charge des dossiers sensibles, dont la nomination fut controversée, a tenu un discours très politique autour d’un maitre-mot : le dialogue. Elle explique, à Corse Net Infos, les raisons qui l’ont poussée à quitter l’Elysée pour venir officier dans la plus petite juridiction d’appel de France.



Hélène Davo, première présidente de la Cour d’appel de Bastia. Photo CNI.
Hélène Davo, première présidente de la Cour d’appel de Bastia. Photo CNI.
- Votre nomination n’a pas plu à tout le monde. On a parlé d’une nomination politique. Dans quel état d’esprit prenez-vous vos fonctions ?
- Je suis dans un état d’esprit extrêmement serein pour une raison simple : j’ai été très bien accueillie par l’ensemble de mes collègues. De nomination politique, il n’y en a pas ! Je suis la seule Conseillère Justice d’un Président de la République à n’avoir rien demandé au président. Je suis revenue devant mes pairs, devant le Conseil national de la magistrature qui est un organe constitutionnel indépendant et qui m’a nommée. Je laisse les polémiques à d’autres, à ceux qui ont voulu instrumentaliser ma nomination.
 
- Pourquoi avoir choisi Bastia ?
- C’est un véritable choix de cœur. J’ai choisi la Corse qui est une île fascinante à bien des égards avec de vrais enjeux judiciaires, où il y a beaucoup à faire et, comme je l’ai dit, j’avais une forte envie d’arriver sur le terrain.
 
- Comment passe-t-on de l’Élysée à une cour d’appel qui est la plus petite de France ?
- A l’Élysée, j’étais dans un poste de pilotage assez extraordinaire, mais j’ai la conviction qu’il faut savoir sortir de ses fonctions et revenir sur le terrain. J’ai rejoint ma famille judiciaire, puisque je suis magistrate. Comme je l’ai dit, j’ai appris que réformer était difficile, et que les réformes ne sont belles que quand elles sont utiles sur le terrain. Quand on occupe des fonctions qui peuvent être considérées comme prestigieuses et qui sont de conseils au plus haut niveau de l’État, il y a le risque de rester enfermé dans ses fonctions, de ne pas vouloir en sortir, or il faut savoir revenir sur le terrain, échanger avec les collègues, reprendre des audiences. Trois jours après mon arrivée, j’étais très heureuse de présider une audience de référé. Je vais reprendre les audiences. Ce qui m’intéresse, c’est précisément ce changement, le fait de passer d’une chose à l’autre.

Les trois ministres. Photo CNI.
Les trois ministres. Photo CNI.
- Vous étiez très entourée lors de cette séance d’installation avec la présence de trois ministres. C’est inhabituel ?
- Le Garde des Sceaux aime beaucoup la Corse qu’il connait bien. Il a été très heureux de faire ce déplacement. Il a tenu à venir à Ajaccio pour porter son soutien à tous les magistrats, les fonctionnaires, les greffiers dans un Palais de justice qui a subi des dégradations au mois de mars. Il leur avait déjà exprimé son soutien par visioconférence, mais il n’avait pas eu l’occasion de se déplacer, ce qu’il a fait hier. Il a prononcé des paroles fortes et montré aussi l’engagement de l’État pour les travaux. Il a eu aussi des échanges humains pour expliquer sa politique, ce qu’il a refait ce matin au tribunal judiciaire et à la cour d’appel de Bastia en rencontrant tous les collègues. Il m’a effectivement fait l’honneur d’assister à ma séance d’installation, ce qui pour moi est une marque de fidélité puisque nous étions compagnons de route dans mes fonctions antérieures. De la même façon, il y avait son prédécesseur, Nicole Belloubet, la secrétaire d’État à l’enfance, Charlotte Cobel, et un certain nombre de mes collègues parisiens. Je me sens aujourd’hui enveloppée par mes collègues d’ici, mais aussi par mes compagnons de route de ces cinq dernières années pendant lesquelles j’ai beaucoup œuvré pour la justice dans d’autres fonctions.
 
- Vous avez prononcé un discours très politique, ce qui est aussi très inhabituel dans une enceinte judiciaire. Votre nomination n’est-elle pas aussi le choix du Chef de l’Etat ?
- Le chef de l’État n’a rien à voir là-dedans tout simplement parce que je ne suis pas une politique. Dans mes fonctions antérieures, j’ai conseillé des politiques parce que quand nos politiques travaillent sur la justice, ils ont toujours à leur côté des professionnels, des magistrats, et c’est fort heureux, pour les conseiller. J’ai toujours conseillé le Chef de l’État, et antérieurement Nicole Belloubet, en toute indépendance comme magistrat. Je ne sais pas ce que vous entendez par le fait de dire que j’ai fait un discours politique. Quand on dit les choses avec force et conviction, que l’on sort des langages administratifs, c’est faire de la politique ? Je ne suis pas une politique, je suis la première présidente de la Cour d’appel. J’ai une forte volonté, de l’enthousiasme et une envie de faire. Je crois que c’est ça qu’il faut retenir essentiellement.
 
- Vous êtes la première femme à occuper la présidence d’une cour d’appel corse. Comment le vivez-vous ?
- Etre la première femme à occuper cette fonction en Corse, c’est évidemment un très grand honneur dont j’espère être digne et dont je ferais tout pour être digne. Comme je le disais aussi, la Corse, ce n’est pas n’importe quel territoire, c’est un territoire très riche, complexe, singulier, c’est ça qui m’attire. Je l’ai choisi résolument, j’y viens avec beaucoup de détermination et de volonté. J’ai fait des choses compliquées dans ma vie, dans ma carrière, je suis quelqu’un qui aime les défis. J’étais très attirée par cette île et j’ai envie de m’y installer d’un point de vue personnel et de m’y investir avec beaucoup de force au niveau professionnel.

Hélène Davo, lors de sa séance d'installation comme première présidente de la Cour d’appel de Bastia. Photo CNI.
Hélène Davo, lors de sa séance d'installation comme première présidente de la Cour d’appel de Bastia. Photo CNI.
- Dans votre discours, vous avez pointé du doigt la violence en Corse et prôné la « tolérance zéro ». Quelle sera votre politique ?
- C’est un discours que j’ai fait avec le cœur en disant un certain nombre de choses. En même temps, j’ai dit que je n’avais pas de programme parce que je suis dans une démarche d’humilité. Concernant la violence et la criminalité organisée, cela me semblait une évidence d’en parler parce que la justice a un rôle majeur à jouer dans ce domaine et que c’est attendu par tous nos concitoyens corses. J’ai parlé de tolérance zéro en disant que, dans les fonctions qui sont dorénavant les miennes, je ferai tout pour que la justice ait les moyens de combattre cette violence. Mais ce n’est pas seulement une question de moyens et de quantité, il faut aussi savoir comment les dispatcher. Je viens d’arriver, il faut que je fasse un petit bilan pour regarder comment les choses fonctionnent. Comme l’a dit le Garde des Sceaux, la Cour fonctionne de façon très satisfaisante. Il y a ensuite la question du partage de compétences avec la JIRS de Marseille sur la criminalité organisée.
 
- Justement, les collectifs parlent de « mafia », mais vous n’avez pas utilisé ce terme. Pourquoi ?
- Je n’ai pas utilisé le terme « mafia », mais le terme « dérive mafieuse ». Je dirais, comme le Garde des Sceaux, peu importe les définitions, les termes qu’on utilise. Ensuite, pour utiliser les bons termes, il faut les bonnes définitions. Quand on prend la définition de ce qu’est la mafia, je pense que le terme « dérive mafieuse » peut parfaitement être appliqué ici.
 
- Vous avez annoncé la création d'un Conseil régional de politique judiciaire. De quoi s'agit-il ?
- Je souhaite introduire un peu plus de transversalité et que cette cour d’appel s’ouvre. La justice souffre, elle est mal connue de nos concitoyens, les justiciables s’en méfient, ils ont sans doute raison, il faut ouvrir les portes et les fenêtres. Je ne peux pas le faire seule, je dois le faire avec toute la famille judiciaire au sens large du terme. Ce ne sont pas seulement les magistrats, mais aussi les avocats, les notaires… Il faut que tout le monde se mette autour de la table, comme cela existe dans d’autres cours d’appel, pour réfléchir à un cap, définir des priorités au travers d’une vraie politique judiciaire. C’est nécessaire pour les justiciables.
 
- La Corse se distingue par des affaires politiques. Est-ce une juridiction plus délicate qu’ailleurs ?
- C’est une cour singulière, c’est ça qui est intéressant, mais pas seulement au pénal ! Je pense qu’on commettrait une erreur de ne parler que du pénal. C’est une cour qui a des spécificités en matière civile aussi : il y a le sujet foncier, le problème d’indivision, les spécificités en matière de propriété... J’ai accompagné, jeudi, le Garde des Sceaux au GIRTEC. Après, il y a effectivement des spécificités en matière pénale avec des affaires d’envergure, des affaires liées à la probité. C’est un des seuls endroits de France avec Nanterre où il reste un pôle économique et financier au Parquet avec des affaires importantes en matière économique et financière qui vont ensuite être rattrapées par la JIRS de Marseille. C’est ce qui fait aussi la spécificité et la richesse de cette cour que vous qualifier de petite et vous avez raison parce que c’est une cour où il n’y a que deux tribunaux judiciaires, mais c’est une cour formidable parce qu’elle recèle de spécificités majeures avec des enjeux. Et quand on est magistrat, ce challenge-là, c’est formidable !
 
- Vous mettez en avant vos origines espagnoles, cela vous permettra-t-il de mieux comprendre la mentalité corse ?
- Ce que j’ai voulu dire par-là, c’est que nous sommes ici en Méditerranée, et je le perçois déjà dans mes premiers contacts avec les Corses. Je suis une méditerranéenne, je connais très bien l’Espagne puisque je suis fille et petite-fille d’exilés républicains espagnols. Dans le contact humain, je retrouve cette simplicité, la chaleur humaine, tous les codes méditerranéens. Je suis attirée, et je pense que, du coup, la compréhension réciproque sera plus simple.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

La nouvelle première présidente de la Cour d’appel de Bastia, Hélène Davo, entourée du Garde des Sceaux, Eric Dupony-Moretti, et des magistrats du Siège et du Parquet. Photo CNI.
La nouvelle première présidente de la Cour d’appel de Bastia, Hélène Davo, entourée du Garde des Sceaux, Eric Dupony-Moretti, et des magistrats du Siège et du Parquet. Photo CNI.