- Que défendez-vous en priorité auprès des instances européennes ?
- Plusieurs choses. La première, qui part d’un constat, est que les agriculteurs européens doivent pouvoir vivre de leur métier. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas ! Donc, nous avons fait plusieurs propositions, notamment pour une meilleure répartition des aides. Je rappelle que 3% des agriculteurs touchent 50% des aides européennes, ce qui est complètement disproportionné ! Près de 80% des fonds européens vont à 20% des agriculteurs !
- Sont–ce les grosses exploitations qui raflent le gros lot ?
- Souvent ! C’est le cas parce que le système a été pensé comme cela. La PAC a été créée pour nourrir l’Europe. Elle a très bien joué son rôle pendant quelques dizaines d’années. Aujourd’hui, elle est face à une nouvelle dynamique où les consommateurs européens veulent avoir une autre relation à l’agriculture et, surtout, à l’alimentation, et où la qualité de la production est un atout à jouer. Il faut réellement changer de paradigme. Il s’agit de parvenir à une agriculture qui permet aux agriculteurs de vivre et qui participe clairement à la lutte contre le changement climatique. Pour ce faire, la PAC doit justement rester commune et européenne. Les propositions de la Commission européenne, que nous avons amendées au Comité des régions, comportent un risque fort de renationalisation.
- En quoi la renationalisation des fonds est-elle un risque ?
- Il y aura moins d’argent puisqu’on part du principe de baisser le budget de la PAC. Ce qui est absurde ! C’est un choix ! On aurait pu décider que, comme la PAC est une politique importante pour les Etats et l’UE, elle doit rester européenne et que son budget doit être maintenu. On aurait pu trouver de nouvelles ressources financières par de nouvelles taxes ou par une augmentation de la participation des Etats. Baisser le budget, cela veut dire qu’il y aura moins de co-financement. Il faudra, donc, que les Etats ou les régions rajoutent de l’argent. Certaines régions et certains Etats auront cette volonté d’être vertueux pour leurs agriculteurs, feront ce pari de développer une agriculture familiale, de proximité à forte valeur ajoutée, respectueuse de l’environnement et qui fait vivre les paysans. C’est cette agriculture-là que nous défendons au Comité des régions. Mais d’autres régions et d’autres pays ne le feront pas. Cela va générer une concurrence entre les pays et entre les régions. Et là, il y a un vrai danger !
- Ce danger, l’Europe peut-elle réellement l’éviter ?
- Oui ! A condition que le financement reste géré en régions, mais on n’en prend pas le chemin ! Le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), au moins sur sa partie développement rural, est géré par les régions avec une vraie proximité. Il pourrait être, à nouveau, géré au niveau national avec le risque d’une déconnexion des territoires. Les citoyens trouvent déjà que l’Europe est loin, mais là, ce sera encore pire ! Il y a un vrai enjeu à ce niveau. C’est pour cela qu’il faut un cadre européen solide permettant une certaine souplesse au niveau des régions et des Etats. C’est pour cela aussi que nous avons formulé des objectifs globaux très précis. Par exemple : doubler la surface de BIO d’ici à 2027, réduire de 30% les pesticides, affecter 40% de l’enveloppe du 1er pilier aux enjeux environnementaux... Je crois beaucoup au 2ème pilier, celui du développement rural, pour maintenir les territoires ruraux vivants.
- Pourtant, la Commission européenne propose aussi de retirer aux régions l’élaboration des plans de développement rural ?
- Oui ! Elle propose de les remplacer par des plans stratégiques nationaux. Elle nous présente cela comme une simplification puisque, de fait, il n’y aura que 27 plans, un par pays, alors qu’aujourd’hui, il y a plus de 200 plans régionaux. Mais c’est une perte de richesse ! Avec un plan régional, l’argent européen va là où il doit aller et bénéficie d’une gestion politique. En tant qu’autorité de gestion, la région gère des fonds en fonction de ses choix politiques et développe des programmes sur mesure adaptés aux réalités du terrain, tout en restant dans un cadre défini au niveau européen. Cette proximité est beaucoup plus efficace ! En Occitanie, sur la dernière période de 6-7 ans, près d’1,9 milliard € ont été ainsi investis. C’est énorme ! J’ai bien peur que cette perte d’autonomie des régions et l’abandon des plans régionaux ne soient préjudiciables aux spécificités locales. D’autant qu’il y a une suppression assez claire de tout ce qui concerne le développement rural qui sera, semble-t-il, le plus touché. La perte serait de l’ordre de 25% à 28%. C’est énorme !
- Y-a-t-il un risque d’engendrer encore plus de déséquilibre au détriment des régions plus petites comme la Corse ?
- Oui ! Dans certaines régions, la perte serait encore plus grande. Le risque existe de voir les fonds phagocyter par le premier pilier et moins d’argent sur le second qui profite, justement, aux territoires, notamment à la Corse. L’agriculture classique absorbe beaucoup de financement, c’est pourquoi nous proposons de plafonner les aides pour mieux les répartir sur l’ensemble des territoires et favoriser la petite agriculture familiale de qualité. Nous proposons qu’un maximum de 30 % des aides soient affectés à la redistribution. L’enjeu est surtout à ce niveau-là.
- Plusieurs choses. La première, qui part d’un constat, est que les agriculteurs européens doivent pouvoir vivre de leur métier. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas ! Donc, nous avons fait plusieurs propositions, notamment pour une meilleure répartition des aides. Je rappelle que 3% des agriculteurs touchent 50% des aides européennes, ce qui est complètement disproportionné ! Près de 80% des fonds européens vont à 20% des agriculteurs !
- Sont–ce les grosses exploitations qui raflent le gros lot ?
- Souvent ! C’est le cas parce que le système a été pensé comme cela. La PAC a été créée pour nourrir l’Europe. Elle a très bien joué son rôle pendant quelques dizaines d’années. Aujourd’hui, elle est face à une nouvelle dynamique où les consommateurs européens veulent avoir une autre relation à l’agriculture et, surtout, à l’alimentation, et où la qualité de la production est un atout à jouer. Il faut réellement changer de paradigme. Il s’agit de parvenir à une agriculture qui permet aux agriculteurs de vivre et qui participe clairement à la lutte contre le changement climatique. Pour ce faire, la PAC doit justement rester commune et européenne. Les propositions de la Commission européenne, que nous avons amendées au Comité des régions, comportent un risque fort de renationalisation.
- En quoi la renationalisation des fonds est-elle un risque ?
- Il y aura moins d’argent puisqu’on part du principe de baisser le budget de la PAC. Ce qui est absurde ! C’est un choix ! On aurait pu décider que, comme la PAC est une politique importante pour les Etats et l’UE, elle doit rester européenne et que son budget doit être maintenu. On aurait pu trouver de nouvelles ressources financières par de nouvelles taxes ou par une augmentation de la participation des Etats. Baisser le budget, cela veut dire qu’il y aura moins de co-financement. Il faudra, donc, que les Etats ou les régions rajoutent de l’argent. Certaines régions et certains Etats auront cette volonté d’être vertueux pour leurs agriculteurs, feront ce pari de développer une agriculture familiale, de proximité à forte valeur ajoutée, respectueuse de l’environnement et qui fait vivre les paysans. C’est cette agriculture-là que nous défendons au Comité des régions. Mais d’autres régions et d’autres pays ne le feront pas. Cela va générer une concurrence entre les pays et entre les régions. Et là, il y a un vrai danger !
- Ce danger, l’Europe peut-elle réellement l’éviter ?
- Oui ! A condition que le financement reste géré en régions, mais on n’en prend pas le chemin ! Le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural), au moins sur sa partie développement rural, est géré par les régions avec une vraie proximité. Il pourrait être, à nouveau, géré au niveau national avec le risque d’une déconnexion des territoires. Les citoyens trouvent déjà que l’Europe est loin, mais là, ce sera encore pire ! Il y a un vrai enjeu à ce niveau. C’est pour cela qu’il faut un cadre européen solide permettant une certaine souplesse au niveau des régions et des Etats. C’est pour cela aussi que nous avons formulé des objectifs globaux très précis. Par exemple : doubler la surface de BIO d’ici à 2027, réduire de 30% les pesticides, affecter 40% de l’enveloppe du 1er pilier aux enjeux environnementaux... Je crois beaucoup au 2ème pilier, celui du développement rural, pour maintenir les territoires ruraux vivants.
- Pourtant, la Commission européenne propose aussi de retirer aux régions l’élaboration des plans de développement rural ?
- Oui ! Elle propose de les remplacer par des plans stratégiques nationaux. Elle nous présente cela comme une simplification puisque, de fait, il n’y aura que 27 plans, un par pays, alors qu’aujourd’hui, il y a plus de 200 plans régionaux. Mais c’est une perte de richesse ! Avec un plan régional, l’argent européen va là où il doit aller et bénéficie d’une gestion politique. En tant qu’autorité de gestion, la région gère des fonds en fonction de ses choix politiques et développe des programmes sur mesure adaptés aux réalités du terrain, tout en restant dans un cadre défini au niveau européen. Cette proximité est beaucoup plus efficace ! En Occitanie, sur la dernière période de 6-7 ans, près d’1,9 milliard € ont été ainsi investis. C’est énorme ! J’ai bien peur que cette perte d’autonomie des régions et l’abandon des plans régionaux ne soient préjudiciables aux spécificités locales. D’autant qu’il y a une suppression assez claire de tout ce qui concerne le développement rural qui sera, semble-t-il, le plus touché. La perte serait de l’ordre de 25% à 28%. C’est énorme !
- Y-a-t-il un risque d’engendrer encore plus de déséquilibre au détriment des régions plus petites comme la Corse ?
- Oui ! Dans certaines régions, la perte serait encore plus grande. Le risque existe de voir les fonds phagocyter par le premier pilier et moins d’argent sur le second qui profite, justement, aux territoires, notamment à la Corse. L’agriculture classique absorbe beaucoup de financement, c’est pourquoi nous proposons de plafonner les aides pour mieux les répartir sur l’ensemble des territoires et favoriser la petite agriculture familiale de qualité. Nous proposons qu’un maximum de 30 % des aides soient affectés à la redistribution. L’enjeu est surtout à ce niveau-là.
Guillaume Cros, Vice-président de la Région Occitanie, membre (PSE, Parti socialiste européen) du Comité européen des régions (COR) et rapporteur d'un avis sur le futur de la Politique agricole commune (PAC) post-2020.
- Vous parlez d’une déconnexion des territoires. Craignez-vous un nouveau terreau anti-européen ?
- Oui ! La désertification des campagnes et le sentiment d’isolement engendrent une réaction eurosceptique, très populiste, voire plus… J’habite un département rural, le Tarn, où les votes populistes d’Extrême-droite sont extrêmement importants. Je ne dis pas que c’est la faute de la PAC, ce serait absurde, mais c’est un tout : il n’y a plus de services publics, moins d’accès à la culture, il est difficile de se déplacer dans les campagnes… Ce sentiment d’être délaissé génère la montée en puissance des populismes. C’est pour cela que la décision concernant la PAC n’est pas anodine et peut avoir des conséquences importantes. Et c’est pourquoi nous appelons vraiment à se mobiliser et à se battre pour que la PAC continue à jouer réellement son rôle, d’une part pour l’agriculture, d’autre part pour le développement rural.
- Quelle est la position des Etats-membres ?
- Disons clairement les choses : si la Commission a sorti cette proposition, c’est que les Etats ne sont pas en désaccord avec. On n’est pas naïf ! Les Etats prennent en compte le fait qu’il y aura moins de financement avec la sortie de la Grande-Bretagne, - on ne sait toujours pas combien va coûter le Brexit -, et la mise en avant de nouvelles priorités qu’il faudra financer avec le même argent ! Au Comité de régions, nous demandons que les Etats mettent plus d’argent au panier. Certains pays plus eurosceptiques ne veulent pas. Mais soyons clair, il faut plus d’Europe, pas moins d’Europe ! A partir du moment où on se dit Européen, on doit aussi pouvoir dire qu’au lieu de mettre 1%, on peut mettre 1,3% du PIB. Et, puis, il y a la possibilité de mettre des taxes sur les grandes entreprises d’Internet, ou de mettre, enfin, en place la fameuse taxe Tobin sur les transactions financières. Ou encore une taxe carbone européenne qui permettrait de protéger nos agriculteurs et certains de nos industriels quand ils s’efforcent d’être vertueux sur des produits qui, ailleurs, polluent la planète.
- Pourtant, les agriculteurs vocifèrent volontiers contre l’Europe. Comment l’expliquez-vous ?
- Les agriculteurs ont conscience que sans PAC, ils seraient, pour la plupart, morts ! Par contre, ils considèrent, avec raison, que la PAC devrait être différente de ce qu’elle est. Mais les avis divergent. Les agriculteurs de la FNSEA et ceux de la Confédération paysanne ont une vision assez différente de ce que devrait être la PAC. Cette dichotomie se retrouve au Comité des régions, entre pays, entre régions et même entre agriculteurs. Il y a les adeptes d’une agriculture compétitive au niveau international, gérée par satellites, qui rafle le maximum d’aides et produit le moins cher possible parce qu’on considère que les consommateurs n’ont pas les moyens ou ne souhaitent pas payer les produits plus cher. Et il y a ceux qui sont pour une agriculture durable qui doit jouer son rôle dans la structuration des territoires, nourrir la population avec des produits de qualité et de proximité. On sent quand même que les choses évoluent dans ce sens.
- L’un des arguments du Brexit était « l’Europe, c’est trop de normes ». Cet argument, l’entendez-vous ?
- Oui ! Mais il faut relativiser. Il y a beaucoup de normes, mais les Etats ont aussi beaucoup tendance à faire des déclinaisons parfois un peu absurdes des normes européennes. Je vais prendre un exemple assez ancien, mais significatif : l’Europe avait soi-disant imposé que pour vendre les fromages sur les marchés, il fallait à tous prix des chambres réfrigérées. C’était vrai, mais c’est une déclinaison française de la norme, dans d’autres pays européens, la norme n’a pas été déclinée de la même façon. Ceci dit, il faut des normes. Heureusement qu’il y a l’Europe pour lutter contre le changement climatique, moins polluer, ne pas faire n’importe quoi en matière d’irrigation… C’est la loi européenne sur l’eau qui permettra d’assainir les cours d’eau, de retrouver la meilleure qualité possible.
- L’objectif de 30% de Bio à l’horizon 2030 est-ce réalisable ?
- Oui ! La demande citoyenne va être de plus en plus importante. Même si près de 70% des gens font leurs courses dans les hypermarchés, ils font de plus en plus attention à ce qu’ils achètent. La préoccupation alimentaire va s’accroître, elle n’est pas réservée qu’au BOBOS, j’en suis convaincu. L’agriculture doit produire des aliments de qualité, pas nécessairement Bio, mais en utilisant le moins de glyphosate possible. On sait que c’est possible ! On peut faire sans glyphosate ! La PAC doit entrainer ce mouvement-là. Les agriculteurs ne sont pas idiots ! Ils iront vers ces nouveaux modes de culture. La plupart sont étranglés par les crédits, forcés d’utiliser certains produits qui sont employés de l’autre côté de la frontière parce que sinon, cela crée des distorsions de concurrence. C’est le fameux exemple de l’insecticide sur les cerises qui peut être utilisé en Espagne, mais pas en France. Dans ce cas, l’Europe doit pouvoir donner les outils pour le faire. Quand nous disons qu’il faut réduire les pesticides de 30% , il faut un accompagnement, y compris sur les prix. Vendre au juste prix plutôt qu’à perte, cela aussi est important. Les agriculteurs vendront au juste prix si les produits sont de qualité, si la valeur ajoutée est bien répartie sur l’ensemble de la chaine et qu’ils puissent en bénéficier.
- Pensez-vous vraiment arriver à maintenir le budget de la PAC ?
- On peut y arriver si l’Europe en a vraiment la volonté. Même si je sais que ça va être très compliqué, j’espère que le projet du Parlement européen aura la possibilité de jouer sur ces leviers-là. A condition de considérer que l’agriculture et l’alimentation sont importantes, que le monde agricole et rural doit vivre en harmonie avec le milieu urbain et le secteur des industries de pointe… on peut très bien décider de maintenir le budget de la PAC. La question du budget est un faux débat ! C’est une vision uniquement comptable de l’Europe, du robinet financier qu’on ouvre et qu’on ferme. Si les Etats se regardaient moins le nombril et avaient une vision globale et réellement collective de ce que doit être l’Europe, on ne se poserait pas ces questions-là.
- Etes-vous confiant ou sceptiques sur l’issue des négociations avec le Parlement et la Commission ?
- Ce qui semble clair, c’est qu’on ne parviendra pas à un accord sur une nouvelle PAC d’ici aux élections européennes. Cela veut dire qu’il faut attendre le résultat des élections avec, très probablement, la nomination d’un nouveau commissaire chargé de l’agriculture. Les cartes seront, alors, certainement un peu rebattues, et fonction aussi de l’évolution des gouvernements européens. Les choses évoluent. Evolueront-elles assez pour que nous obtenions une PAC juste, solidaire, durable ? Ce sera compliqué, mais je ne désespère pas, sinon je n’aurais pas fait tout ce travail et je ne me battrais pas pour qu’il y ait une majorité progressiste au Parlement européen en mai 2019.
Propos recueillis par Nicole MARI.
- Oui ! La désertification des campagnes et le sentiment d’isolement engendrent une réaction eurosceptique, très populiste, voire plus… J’habite un département rural, le Tarn, où les votes populistes d’Extrême-droite sont extrêmement importants. Je ne dis pas que c’est la faute de la PAC, ce serait absurde, mais c’est un tout : il n’y a plus de services publics, moins d’accès à la culture, il est difficile de se déplacer dans les campagnes… Ce sentiment d’être délaissé génère la montée en puissance des populismes. C’est pour cela que la décision concernant la PAC n’est pas anodine et peut avoir des conséquences importantes. Et c’est pourquoi nous appelons vraiment à se mobiliser et à se battre pour que la PAC continue à jouer réellement son rôle, d’une part pour l’agriculture, d’autre part pour le développement rural.
- Quelle est la position des Etats-membres ?
- Disons clairement les choses : si la Commission a sorti cette proposition, c’est que les Etats ne sont pas en désaccord avec. On n’est pas naïf ! Les Etats prennent en compte le fait qu’il y aura moins de financement avec la sortie de la Grande-Bretagne, - on ne sait toujours pas combien va coûter le Brexit -, et la mise en avant de nouvelles priorités qu’il faudra financer avec le même argent ! Au Comité de régions, nous demandons que les Etats mettent plus d’argent au panier. Certains pays plus eurosceptiques ne veulent pas. Mais soyons clair, il faut plus d’Europe, pas moins d’Europe ! A partir du moment où on se dit Européen, on doit aussi pouvoir dire qu’au lieu de mettre 1%, on peut mettre 1,3% du PIB. Et, puis, il y a la possibilité de mettre des taxes sur les grandes entreprises d’Internet, ou de mettre, enfin, en place la fameuse taxe Tobin sur les transactions financières. Ou encore une taxe carbone européenne qui permettrait de protéger nos agriculteurs et certains de nos industriels quand ils s’efforcent d’être vertueux sur des produits qui, ailleurs, polluent la planète.
- Pourtant, les agriculteurs vocifèrent volontiers contre l’Europe. Comment l’expliquez-vous ?
- Les agriculteurs ont conscience que sans PAC, ils seraient, pour la plupart, morts ! Par contre, ils considèrent, avec raison, que la PAC devrait être différente de ce qu’elle est. Mais les avis divergent. Les agriculteurs de la FNSEA et ceux de la Confédération paysanne ont une vision assez différente de ce que devrait être la PAC. Cette dichotomie se retrouve au Comité des régions, entre pays, entre régions et même entre agriculteurs. Il y a les adeptes d’une agriculture compétitive au niveau international, gérée par satellites, qui rafle le maximum d’aides et produit le moins cher possible parce qu’on considère que les consommateurs n’ont pas les moyens ou ne souhaitent pas payer les produits plus cher. Et il y a ceux qui sont pour une agriculture durable qui doit jouer son rôle dans la structuration des territoires, nourrir la population avec des produits de qualité et de proximité. On sent quand même que les choses évoluent dans ce sens.
- L’un des arguments du Brexit était « l’Europe, c’est trop de normes ». Cet argument, l’entendez-vous ?
- Oui ! Mais il faut relativiser. Il y a beaucoup de normes, mais les Etats ont aussi beaucoup tendance à faire des déclinaisons parfois un peu absurdes des normes européennes. Je vais prendre un exemple assez ancien, mais significatif : l’Europe avait soi-disant imposé que pour vendre les fromages sur les marchés, il fallait à tous prix des chambres réfrigérées. C’était vrai, mais c’est une déclinaison française de la norme, dans d’autres pays européens, la norme n’a pas été déclinée de la même façon. Ceci dit, il faut des normes. Heureusement qu’il y a l’Europe pour lutter contre le changement climatique, moins polluer, ne pas faire n’importe quoi en matière d’irrigation… C’est la loi européenne sur l’eau qui permettra d’assainir les cours d’eau, de retrouver la meilleure qualité possible.
- L’objectif de 30% de Bio à l’horizon 2030 est-ce réalisable ?
- Oui ! La demande citoyenne va être de plus en plus importante. Même si près de 70% des gens font leurs courses dans les hypermarchés, ils font de plus en plus attention à ce qu’ils achètent. La préoccupation alimentaire va s’accroître, elle n’est pas réservée qu’au BOBOS, j’en suis convaincu. L’agriculture doit produire des aliments de qualité, pas nécessairement Bio, mais en utilisant le moins de glyphosate possible. On sait que c’est possible ! On peut faire sans glyphosate ! La PAC doit entrainer ce mouvement-là. Les agriculteurs ne sont pas idiots ! Ils iront vers ces nouveaux modes de culture. La plupart sont étranglés par les crédits, forcés d’utiliser certains produits qui sont employés de l’autre côté de la frontière parce que sinon, cela crée des distorsions de concurrence. C’est le fameux exemple de l’insecticide sur les cerises qui peut être utilisé en Espagne, mais pas en France. Dans ce cas, l’Europe doit pouvoir donner les outils pour le faire. Quand nous disons qu’il faut réduire les pesticides de 30% , il faut un accompagnement, y compris sur les prix. Vendre au juste prix plutôt qu’à perte, cela aussi est important. Les agriculteurs vendront au juste prix si les produits sont de qualité, si la valeur ajoutée est bien répartie sur l’ensemble de la chaine et qu’ils puissent en bénéficier.
- Pensez-vous vraiment arriver à maintenir le budget de la PAC ?
- On peut y arriver si l’Europe en a vraiment la volonté. Même si je sais que ça va être très compliqué, j’espère que le projet du Parlement européen aura la possibilité de jouer sur ces leviers-là. A condition de considérer que l’agriculture et l’alimentation sont importantes, que le monde agricole et rural doit vivre en harmonie avec le milieu urbain et le secteur des industries de pointe… on peut très bien décider de maintenir le budget de la PAC. La question du budget est un faux débat ! C’est une vision uniquement comptable de l’Europe, du robinet financier qu’on ouvre et qu’on ferme. Si les Etats se regardaient moins le nombril et avaient une vision globale et réellement collective de ce que doit être l’Europe, on ne se poserait pas ces questions-là.
- Etes-vous confiant ou sceptiques sur l’issue des négociations avec le Parlement et la Commission ?
- Ce qui semble clair, c’est qu’on ne parviendra pas à un accord sur une nouvelle PAC d’ici aux élections européennes. Cela veut dire qu’il faut attendre le résultat des élections avec, très probablement, la nomination d’un nouveau commissaire chargé de l’agriculture. Les cartes seront, alors, certainement un peu rebattues, et fonction aussi de l’évolution des gouvernements européens. Les choses évoluent. Evolueront-elles assez pour que nous obtenions une PAC juste, solidaire, durable ? Ce sera compliqué, mais je ne désespère pas, sinon je n’aurais pas fait tout ce travail et je ne me battrais pas pour qu’il y ait une majorité progressiste au Parlement européen en mai 2019.
Propos recueillis par Nicole MARI.