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Gilles Simeoni : « Rien ne nous fera renoncer ni à ce que nous sommes, ni à ce que nous devons faire ! »


Nicole Mari le Jeudi 24 Février 2022 à 19:46

Colère, fermeté, mesure et détermination ont marqué le discours du président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, jeudi, matin, à la session de l’Assemblée de Corse. Réagissant au brusque durcissement des relations entre l’île et l’Etat et aux derniers événements qu’il qualifie de « scandaleux », il réaffirme la nécessité de l’action démocratique, mais aussi la détermination du peuple corse à ne pas se laisser bafouer et à lutter pour la reconnaissance de ses droits.



Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
« Ce qui se passe ailleurs ne nous détourne pas de ce que nous sommes et de ce que nous avons à faire en Corse ». C’est avec colère et sur un ton grave que le président du Conseil exécutif de Corse, Gilles Simeoni, prend la parole, jeudi matin, en ouverture de la session de l’Assemblée, après les derniers coups de pieds de l’âne du préfet Pascal Lelarge et de l’Etat. « Nous sommes dans un moment grave pour la Corse et les Corses, à un point de bascule ». Il entend, avant toute chose, marteler, encore une fois, son choix exclusif de l’action démocratique : « Il ne peut pas y avoir d’autre chemin pour la Corse que la démocratie. Nous avons fait ce choix, non parce que nous avons fait une concession à l’Etat français, mais parce que personne ne nous amènera à la remettre en cause, y compris quand nous constatons que notre légitimité est bafouée, que nous ne sommes ni écoutés, ni entendus, ni respectés. Rien ne doit nous détourner du chemin de la démocratie ! ».

L’Etat profond 
Le président fait, ensuite, la part des choses entre ce qu’il appelle l’Etat profond, responsable, selon lui, de la crise actuelle, et les démocrates, notamment les députés français, qui, à Paris, ont dernièrement plaidé pour la prise en compte de la question corse et l’application du droit pour les prisonniers politiques du commando Erignac, mais aussi des membres du gouvernement qui, à leur niveau, tentent de donner des signes positifs. « Quelque soit l’injustice qui nous est faite dans bien des domaines, il y a, à Paris, des démocrates qui veulent respecter le suffrage universel, y compris au sein du gouvernement ». Il cite la dernière intervention du ministre Clément Beaune sur la Corse « qui a affirmé publiquement que le service public maritime devait être défendu. C’est un geste, mais qui ne se concrétise pas… Ce qui se passe aujourd’hui ne doit pas nous faire oublier que ces gens existent, mais, en même temps, que l’Etat profond, en dehors de tout contrôle démocratique, continue d’imposer le mépris de la justice, le mépris de l’équité, le mépris de l’histoire, le mépris du suffrage universel le mépris et de la démocratie ». Il indique aussi « n’avoir aucune animosité personnelle contre le préfet Lelarge, ou qui que ce soit. Il est déjà reparti et il ne laisse d’autre trace dans l’histoire collective que celle d’un huissier qui a appliqué la politique qu’on lui a demandé d’appliquer ». Il repose publiquement la question : « Le préfet Lelarge a-t-il agi de sa propre initiative ou au nom du gouvernement ? » et répond que la seconde option est implicite. 

Le droit de rêver
Ceci posé, le président Simeoni dresse un constat accablant : « Nous n’avons eu d’avancées sur rien, ni dans le domaine politique, ni dans le domaine institutionnel, ni dans le domaine économique, ni dans le domaine social, ni dans le domaine judiciaire. Là où nous attendions une main tendue, nous n’avons eu que des malheurs. Qu’on ne nous oppose pas des exigences politiques aux problèmes du quotidien ! Nous avons été élus pour faire face aux problèmes quotidiens des Corses, mais notre engagement au quotidien n’a de sens que parce que nous avons une vision de ce que doivent devenir notre société et notre peuple. Personne ne peut nous enlever notre droit de rêver et d’agir ! ». Il ajoute que l’Etat « a voulu nous étrangler financièrement, et ça continue. On nous promène de réunions techniques en réunions techniques, on ne nous répond pas. On n’aura pas les moyens d’assumer financièrement les compétences de base ». Il rappelle l’entretien qu’il a eu avec le président de la République en septembre dernier : « Il m’a été dit que de nouvelles perspectives allaient s’ouvrir pour la Corse. Si cette politique perdure, nous serons dans l’impasse, une impasse économique, sociale, culturelle, linguistique, une crise grave. On ne pourra pas nous reprocher à nous, Nationalistes, de n’avoir pas tout tenter, tout dit, tout envisager, mais je le dis solennellement : nous ne pouvons plus accepter ! ».
 

Gilles Simeoni et Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni et Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
La décoration de la colère
Puis le président Simeoni a commenté les derniers avatars qui ont surgi en l’espace de quelques jours. L’affaire Arritti ? « Scandaleuse ! Le propre de cette impudence et de ce scandale, c’est quand on va trop loin, ensuite on recule, sans doute, dans quelques jours, nous dira-t-on qu’on a mal compris ! ». La décoration à Pierre Bertoloini ? « J’ai le plus grand respect pour son parcours militant et militaire, pour son grand âge et cela me gène de parler de quelqu’un qui a 98 ans. Je n’ai aucune haine, ni aucune rancoeur contre lui et ses compagnons de méfaits. Nous avons choisi la paix, cela veut dire que l’on tire un trait sur toute la violence. Mais la paix, ce n’est pas le renoncement, ce n’est pas l’abjuration ! ». Le ton, grave jusque là, vire à la colère : « Cette décoration est une injure à ceux qui ont connu cette époque, à ce que nous sommes, et à ceux qui croient en la démocratie parce que personne ne peut ignorer que le capitaine Bertolini a été le chef opérationnel d’un mouvement clandestin barbouzard, voulu par la préfecture de Corse et chargé d’exécuter une centaine d’attentats. Francia a été à la Corse et à la France ce que Le GAL (Groupe antiterroriste de libération) a été aux Pays basque et à l’Espagne. Imaginez un instant que l’Espagne ait décoré le plus haut responsable du GAL ! Quand ont été mises à jour les relations entre Le GAL et l’Etat espagnol, cela a occasionné la chute du gouvernement. Ici, nos interlocuteurs ministériels feignent d’oublier ce qu’il y a eu. Francia a fait sauter les domiciles de mon père et de mes oncles, fait sauter leurs cabinets d’assurance et médicaux, et tenté d’assassiner, par trois fois, mon père et mes oncles. Et c’est cet homme que l’on décore en disant qu’il s’est engagé contre le terrorisme ! ». Et d’interroger : « C’est le président de la République qui a signé la décoration, les gens qui ont fait un rapport au ministère des armées, la chancellerie, la préfecture ne savaient pas ! Personne ne savait ou tout le monde savait qui était le récipiendaire ? ». 

Une infamie
Pour le président Simeoni, il n’y a pas de hasard, tout doit être mis en perspective jusqu’à l’affaire de la commission pour la levée du statut de DPS du commando Erignac : « Toutes les heures que nous avons passées à expliquer que nous ne voulons que la justice. Ce que l’on fait à ces trois hommes, je vous le dis, c’est une infamie ! Qu’on arrête de nous prendre pour des imbéciles et de prendre les députés français pour des imbéciles ! Les mêmes personnes, qui depuis 2017 se sont prononcées à plusieurs reprises pour la levée du statut de DPS, notamment la directrice de la centrale de Poissy, qui s’est prononcée, il y a quelques semaines, pour la libération conditionnelle, et quelques jours après, elle vote pour le maintien du statut DPS en expliquant : « J’applique les ordres ». Que devons-nous faire au moment où on signifie de façon méprisante et injurieuse que le droit ne vaut rien, que la justice n’existe pas et que le suffrage universel est une serpillère sur laquelle on peut s’essuyer ses pieds ? ». De même, il affirme que la mise en cause du règlement intérieur par le préfet Lelarge « n’est pas à anecdotique. C’est grave ! Mais ce n’est pas l’expression de la rancoeur d’un préfet, c’est l’expression patiente, méticuleuse, articulée, qui vise à nier ce que nous sommes : un peuple, avec son histoire, sa culture, sa langue, sa complexité ». Et de lâcher : « 40 ans de lutte, d’engagement inlassable pour faire vivre la langue, pour ajouter à la richesse de notre identité, et nous en sommes encore au même point ! Ce qui gène le préfet, c’est qu’on puisse avoir dans un texte la référence au peuple corse. Le préfet nous interdit d’être et de penser que nous sommes Corses et que nous sommes là pour défendre les intérêts du peuple corse. Nous ne pouvons pas être, nous ne pouvons pas penser, nous ne pouvons pas parler ! C’est quand même incroyable qu’on nous interdise cela ! Qui peut accepter cela ! Il va falloir qu’on demande la permission de parler corse chez soi ! C’est un préfet qui va nous dire ça ! C’est ça le sens de notre histoire ! ». Et de conclure par un avertissement et la réaffirmation de la détermination nationaliste : « Rien ne nous fera renoncer à ce que nous sommes ! Paris doit savoir qu’il y a, ici en Corse, un peuple, qu’il a des droits et qu’il se battra démocratiquement jusqu’à ce que ses droits soient légitiment reconnus ». Le discours est, comme celui de la présidente Maupertuis, ovationné par tous les groupes nationalistes.

N.M.