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Gestion des déchets : La polémique se déchaine sur le financement du centre de Monte et le coût pour les Corses


Nicole Mari le Jeudi 27 Juillet 2023 à 21:10

Le rapport sur l’état d’avancement de la procédure du Plan territorial de prévention et de gestion des déchets, examiné jeudi à l’Assemblée de Corse, a mis en lumière la crise politique ouverte par l’Etat sur le financement du futur site de Monte et le coût pour les Corses. Le débat n’a fait que confirmer la difficile coopération entre le Syvadec et la Collectivité de Corse, et les clivages en matière de gestion avant de dégénérer loin du sujet du jour. L’Exécutif a annoncé que le Plan sera soumis à enquête publique en septembre pour une présentation finale au plus tard début 2024.



Photo CNI.
Photo CNI.
C’est un rapport d’information très attendu qui a été présenté jeudi après-midi à l’Assemblée de Corse, celui de l’état d’avancement de la procédure du Plan territorial de prévention et de gestion des déchets, reporté à cinq reprises par l’Exécutif corse dans l’espoir de finaliser un arrangement avec le Syvadec. Mais la coopération entre les deux acteurs étant toujours aussi compliquée, l’arrangement espéré a fait chou blanc. Et c’est dans un contexte de crise politique que s’est ouvert un débat qui, actualité oblige, a dégénéré bien loin du sujet initial. « Notre souhait est de faire un point d’étape pour vous dire où on en est dans la procédure administrative afin que tout le monde ait le même niveau d’information », débute Guy Armanet, conseiller exécutif en charge des déchets et président de l’Office de l’environnement de la Corse (OEC). Avant de réaffirmer les principes qui guident ce Plan : la gestion publique des déchets, l’économie circulaire, le rôle majeur des intercommunalités dans le renforcement du tri à la source et la maîtrise des coûts, la priorité donnée à la valorisation des biodéchets pour réduire drastiquement les ordures ménagères résiduelles, la territorialisation des unités de traitement et de valorisation, la création d’un ou deux centres de tri multifonctions et l’ouverture de nouveaux centres de stockage de déchets ultimes. Il annonce que « le plan a été arrêté le 25 juillet par l’Exécutif et sera basculé en enquête publique en août ou plus probablement en septembre ».

Guy Armanet. Photo Michel Luccioni.
Guy Armanet. Photo Michel Luccioni.
Des requêtes rejetées
Le premier point de crispation porte sur un échange de courriers entre l’Exécutif et le Syvadec : « Si l’affaire a pris quelques mois, c’est qu’il nous semblait pertinent de travailler de manière conjointe avec le Syvadec pour aboutir à quelque chose qui sorte du contexte d’un ou deux centres de valorisation thermique, et signer une convention qui nous lie et nous amène à avoir un vrai échange pour construire la prospective financière des déchets de demain. On espérait que le Syvadec réponde favorablement à nos requêtes pour vous présenter des avancées notables », précise le président de l’OEC. Parmi les requêtes : « la garantie que la Collectivité de Corse (CdC), dans un laps de temps de 8 à 10 ans, récupère en régie ce qui se met en place à Monte ». Egalement « le lancement d’une étude d’opportunité sur la reprise en régie du transport public des déchets et d’une étude pour la desserte par voie ferroviaire sur laquelle nous avons fortement avancé. Dans cette trajectoire que nous voulons vertueuse, la clé de la réussite du programme est d’avoir une incidence sur la tarification à l’enfouissement ». L’Exécutif propose en attendant l’ouverture du centre de surtri de Monte prévu en 2026, « le gel du montant de la TEOM de 416 € pour les 4 années à-venir. La situation actuelle va amener une augmentation jusqu’en 2027 entre 11 % et 13%. Cela veut dire qu’il y aura un important gap financier, malgré la construction de Monte. Après, l’impact sera de 2% supplémentaire par an. C’est la pierre angulaire parce que les intercos sont dans une situation très compliquée et aussi les contribuables. Il faut aussi rentrer dans la logique : plus on trie, moins on paie ». Guy Armanet estime qu’il faut saisir toutes les opportunités, comme la mise en vente du centre de Viggianellu, pour « ramener de la gestion publique dans le traitement des déchets. Aujourd’hui, uniquement les acteurs privés ont la main. Cela devient très problématique ». La réponse du Syvadec « n’est pas satisfaisante », reconnait-il, « cela ne veut pas dire que la porte est fermée ». Le fait est que le syndicat botte laconiquement en touche.
 
Une crise politique
Autre point de crispation vis-à-vis de l’Etat et du Syvadec, la notification du marché global de performances qui englobe la conception et l'exploitation pendant 10 ans du centre de Monte : « Ce matin, a été notifiée, pour un montant de 248 millions € à l’entreprise Moracchini, la gestion en fonctionnement de Monte. Cela fait partie des choses qu’on aurait aimé accompagner et construire. Le Syvadec a pu bénéficier d’une manne financière intégrale de la préfecture, 40 millions € du PTIC. On aurait aimé être des acteurs associés, et pas dissociés », déplore Guy Armanet. Le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, n’hésite pas à parler de « crise politique, alors que nous pensions être sur une sortie de crise. On ne comprend pas ce qui s’est passé entre une perspective de discussion sur un accord global et une décision unilatérale où le Syvadec a validé tout seul un nouveau plan de financement. L’Etat choisit, sans discussion, d’affecter 40 millions € du PTIC, c’est la cerise sur le gâteau ! Et chantilly finale : la lettre qui notifie l’attribution du marché ». Et de prévenir : « les cotisations vont continuer à augmenter, le privé fera des bénéfices, ce qu’il n’a pas vocation à faire. En tant qu’élu, il n’y a pas un seul d’entre nous qui a une vision claire de notre trajectoire financière sur les déchets ! ». Il réaffirme que « dans tous les points névralgiques, il faut la maitrise publique : sur le site de Monte, sur la route et dans la consolidation financière ». Pour lui, il n’y a pas d’alternative au tri à la source qui est imposé par la loi française et européenne : « Le nœud de la guerre est le coût. Il va y avoir un problème d’acceptabilité ».

Tony Poli. Photo Michel Luccioni.
Tony Poli. Photo Michel Luccioni.
Du temps perdu
Sur ce sujet houleux, le débat a viré à la polémique habituelle. Côté opposition nationaliste, la première salve est tirée par Tony Poli, élu du groupe PNC- Avanzemu et président de la ComCom Castagniccia-Casinca, qui avoue son incompréhension : « Comment peut-on dire que l’un des axes stratégiques est la territorialisation des unités de traitement et de valorisation et, une ligne après, évoquer l’éventualité d’un seul centre de tri. Il faudra nous soumettre un choix clair : Ou zéro centre de tri, ou deux centres de tri ! Nous n’avons plus le temps d’attendre ! ». Regrettant « la guéguerre » entre l’Exécutif et le Syvadec, il appelle le premier à prendre ses responsabilités : « En 8 ans, le coût de traitement est passé de 118 € à 360 €, une augmentation de 242 € la tonne. Cela représente une augmentation de plus d’un million € à tonnage constant pour une intercommunalité comme Castagniccia-Casinca. Faute d’usine de tri, le coup de traitement des emballages est de plus de 400 € la tonne. Cela est intenable financièrement pour les intercommunalités. La création de deux usines de tri nous permettrait d’atteindre l’objectif d’ouverture de nouveaux centres de stockage ultime. L’acceptabilité de la population à ces nouveaux centres serait facilitée par la forte baisse des tonnages enfouis, sans oublier la disparition des nuisances olfactives. On perd du temps et de l’argent ! ».
 
Le putsch de l’Etat
Le président de Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, s’en prend à ce qu’il appelle « le putsch de l’Etat dans la gestion des déchets en Corse, avec la décision unilatérale de financer un centre de sur-tri au mépris des logiques du tri à la source qui ont fait leurs preuves dans tous les pays civilisés ». Il rappelle que le tri atteint 50% en Sardaigne et jusqu’à 80 % dans certaines régions françaises : « Le tri est fait par des habitants, des petites mains bénévoles et conscientes qui ont un gain économique. Celui qui trie ne paye pas la même chose que celui qui ne trie pas. Choisir des logiques de tri en sortie de camion, c’est choisir la non-valorisation parce que la matière première valorisable est souillée. Le choix politique, tel qu’il est proposé par l’Etat et imposé à la CdC, est inacceptable. C’est le choix d’un ramassage à la volée sans trier après ». Il demande de revenir à une « logique d’équi-répartition pour que chaque région ait son quantum de charges et de décharges. Ce qu’a fait le Syvadec sur ces 20 dernières années n’est pas bon ! Il appartient à la CdC de reprendre la main ». Pour le leader indépendantiste, partisan de la dissolution du Syvadec, le projet de Monte « n’est pas le projet de l’avenir pour la Corse, c’est le projet de l’enlisement, de l’enfouissement et, in fine, des CSR (Combustible solide de récupération) ».

Le groupe de droite U Soffiu Novu. Photo Michel Luccioni.
Le groupe de droite U Soffiu Novu. Photo Michel Luccioni.
La défense du Syvadec
La polémique s’enflamme avec la droite qui, n’acceptant pas les critiques contre le Syvadec, défend, bec et ongles, sa politique, son président, mais aussi le centre de Monte qui « répond à tous les fondamentaux » nationalistes, la mise en place d’un second centre à Aiacciu, et même l’Etat « bouc-émissaire ». Le groupe U Soffiu Novu juge la réponse du président du Syvadec « claire et circonstanciée » à un courrier du président de l’Exécutif « qui n’avait pas toutes les données ». Le maire de Peri, Xavier Lacombe, déclare avoir été « le premier choqué quand on a appris le financement par l’Etat de 68 millions € à hauteur de 80%. J’ai été le premier à dire qu’on a pris une gifle de la part de l’Etat parce qu’on n’a pas mis de solution sur la table. Cela fait huit ans ! Nous en sommes encore à débattre. On ne s’en sort pas ! Certains se sentent surpris, troublés, mais le jour où les préfets ne feront plus de réquisition dans les centres d’enfouissement qui sont tous privés, ou il n’y aura plus de capacité, qu’allons-nous faire ? Si on continue comme ça avec le coût de la tonne, dans trois ou quatre ans, nous sommes dans le mur ! ».
 
Le coût de Monte
S’en suit un échange aigre-doux avec la majorité territoriale qui réplique à boulets rouges. « « Nous assumons la création du centre de surtri de Monte pour son intérêt environnemental, mais là où le bât blesse, c’est le paramètre financier. La réalité financière est qu’avant remboursement des éco-organismes, la tonne est à 416 €. En 2026, la tonne traitée dans le centre de Monte coûtera 500 € et sera majorée de 2% tous les ans. La vraie question est là ! Parce qu’il y a urgence, nous devons aller à marche forcée vers deux centres ? Oui à Monte, mais avec un moratoire financier. Le coût des déchets, présenté à Monte, est hors normes par rapport à ce qui se fait partout en Europe », répond Louis Pozzo di Borgo. Pour l’élu de Fa Populu Inseme et président de la CAB (Communauté d’agglomération de Bastia), « l’évènement politique gravissime est que l’Etat, sans prendre en considération les attentes de la CdC, valide un plan de financement et fait fi du coût des déchets. 248 millions € sur 8 ans d’argent public, d’argent des Corses pour créer un centre qui, in fine, ne va rien changer sur ce que payent les contribuables. Comment l’Etat peut-il prendre une telle décision ? C’est un outrage à la CDC ! Si certains ici acceptent que l’Etat passe par-dessus la CdC et ses prérogatives, nous, on n’est pas d’accord ! Se gargariser d’un financement à 80% de l’Etat, ce n’est pas notre vision financière. Inutile de vous dire qu’on ne peut pas donner un blanc-seing pour le centre d’Ajaccio au même tarif ! ». Et d’asséner : « On veut sacraliser le tri, parce que s’il n’y a pas le tri au plus près des producteurs, il n’y a plus rien ! Nous sommes là pour garantir l’utilisation de l’argent public à bon escient avec un vrai impact sur le territoire. Ces 248 millions ne profiteront pas aux Corses, mais à des intérêts privés ».
 
Une crise d’indécision
La mise au point n’est pas du goût du leader de la droite, Jean-Martin Mondoloni, qui intervient vivement : « On croit rêver ! Ce qui se passe depuis vos prises de fonctions, il y a huit ans, c’est la page blanche, vous vous exonérez de tout, c’est formidable ! Notre analyse n’exonère ni Monte, ni le Syvadec, ni l’Etat. La crise politique s’opère à bas bruit depuis 8 ans, c’est une crise d’indécision, d’une inaptitude à mettre un plan sur la table. On avait promis aux Corses qu’à l’année N plus un, on serait à 60% de tri, promesse non tenue. On a patiné, procrastiné, on n’a pas décidé. On paye aujourd’hui ces 8 ans ». Il assène : « Vous faites procès au Syvadec de mettre en œuvre des solutions, à Monte d’avoir trouvé un terrain, et au Préfet de financer une solution. La politique des déchets est la plus inégalitaire, la moins recommandée et la plus significative de votre incapacité à décider. Et vous avez l’audace de demander beaucoup plus d’autonomie pour faire d’autres politiques sectorielles comme celle-là ! Vous avez toutes les audaces ! ».

Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Hyacinthe Vanni. Photo Michel Luccioni.
Une décision troublante
La riposte du vice-président de l’Assemblée, Hyacinthe Vanni, fuse : « C’est vrai qu’on croit rêver ! On ne décide pas, on ne propose rien, mais les gens paient et ils paient très cher ! Et quoi qu’en fasse, même en investissant 258 millions €, ils vont payer encore plus ! ». Et de marteler clairement : « Personne ne nous emmènera là où on ne veut pas aller ! Ces 258 millions €, à qui vont-ils profiter ? Aux Corses ou à certains ? On peut tous avoir une petite idée ! Je suis très étonné que le préfet valide un financement sans que derrière, il y ait un retour sur investissement pour les contribuables. Nous voulons être certains que les contribuables y retrouveront leur compte. Eh bien, non ! On finance comme ça ! ».  Et d’interpeler l’hémicycle : « C’est troublant, mais ça ne trouble que moi dans cette assemblée ! Nous, nous posons des questions ». Il lance à la droite : « ça ne vous trouble pas ! Vous ne trouvez pas ça bizarre un projet qui ne va rien rapporter en termes financiers ! Je suis très surpris ». Et d’affirmer : « Si on était autonome, le projet, on ne l’aurait pas financé, c’est sûr ! Aujourd’hui, on passe par-dessus l’Assemblée de Corse, ce n’est pas acceptable pour nous élus ! Ayons des garanties et après, on discutera ! ».
 
Pas d’amalgame !
Le leader du PNC-Avanzemu, Jean-Christophe Angelini, s’émeut de l’allusion et « du soupçon » qu’elle véhicule : « Je ne peux pas laisser susurrer qu’à Monte, il y aurait d’autres intérêts que l’intérêt général qui seraient en cause. Si à Avanzemu, on est pour la maitrise publique des déchets et des outils stratégiques qui s’y rattachent, c’est précisément parce qu’on ne veut pas que des intérêts occultes, mafieux, s’en rapprochent. On sait bien que ces questions-là sont un gisement de profits pour un certain nombre d’intérêts et de groupes. C’est clair et ça a d’ailleurs déjà été le cas en Corse. Mais amalgamer ce qui se passe à Monte à ce sujet-là, ce n’est pas faire œuvre de vérité. Je connais les élus et les acteurs, et je sais que ce que nous avons en commun et en partage, c’est la probité ! ». Il défend, lui aussi, le projet d’un second centre : « Monte va se faire ! S’il y a une alternative sur le court ou moyen terme, mettons-là en œuvre ! Le schéma de collecte, qui est à la base de votre équation, ne peut pas fonctionner tant que les intercos sont bâties comme elles le sont. Ça ne marche pas ! Il faut reprendre la gestion de la carte administrative pour avoir des périmètres plus pertinents ». Sur le financement, il lâche : « J’ai compris de votre point de vue qui n’allait plus payer, je n’ai pas compris qui allait payer, combien et quand ? En tant que président d’interco, je ne paierai plus et je ne serais plus contraint à choisir entre la construction d’un city-stade ou d’un centre aquatique et la contribution au Syvadec qui ne cesse d’augmenter à iso-périmètre et à tonnage constant ».
 
Une responsabilité collective
Face à ce qu’il traite de « chamailleries » sur « un sujet qui excite tout le monde » et compte tenu de « la difficulté de l’exercice », le président de l’OEC en appelle au pragmatisme, à la raison et à la lucidité. « En Corse, la situation n’est pas structurellement acceptable parce que les Comcoms n’équilibrent pas leurs comptes. La TEOM (taxe d’enlèvement des ordures ménagères) n’équilibre pas le traitement et la collecte. Il faut être clair. Même si les gens font de plus en plus d’efforts et trient, ils paieront plus. C’est là que le bât blesse. Ça ne marchera pas ! La redevance incitative a une vertu si on peut l’appliquer, si elle n’est pas incitative, on est au bout de l’exercice. Il faut inverser cette tendance. Si on n’arrive pas à dire aux administrés, si vous triez, vous paierez moins, ça ne sert à rien ! ». Pour lui, la clef est entre les mains des intercos : « Il faut réduire les coûts de collecte, c’est primordial. Il faut unir nos forces si on veut réussir. Il y a une responsabilité nationale que l’on doit tous assumer. Le travail doit se faire en commun, sans quoi nous ne nous en sortirons pas ». Guy Armanet conclut sur une note positive concernant les conventions d’objectifs et de moyens et des signatures programmées en septembre avec la CAB et la CAPA : « La Casinca, la Costa Verde, le Cap Corse, l’Ouest corse et bon nombre de régions sont d’ores et déjà prêtes à signer. Toutes les conditions sont réunies pour aller de l’avant ensemble ».
 
N.M.