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ENTRETIEN - Nicolas Septe : " Il faut continuer à maintenir la pression sur la criminalité organisée"


Propos recueillis par Naël Makhzoum le Mercredi 2 Novembre 2022 à 18:51

Un an après son arrivée en Corse, Nicolas Septe, procureur de la République d'Ajaccio livre ses impressions quant à ses premiers mois sur l'île. Avec une ligne directrice ferme pour faire face aux spécificités insulaires, il s'exprime pour Corse Net Infos sur la politique qu'il mène et les difficultés qu'il rencontre.



Nicolas Septe, procureur de la République d'Ajaccio (Photo Michel Luccioni)
Nicolas Septe, procureur de la République d'Ajaccio (Photo Michel Luccioni)
- Après un an d'exercice à Ajaccio, quel bilan tirez-vous ?
- Le bilan est positif dans le sens où les objectifs du parquet d'Ajaccio consistent à assurer le traitement de la délinquance du quotidien au travers d'une politique pénale particulièrement ferme à l'égard des violences intrafamiliales, du trafic de stupéfiants, de la délinquance routière... Mais aussi une politique pénale répressive envers la criminalité organisée.
Le parquet s'est engagé dans une déclinaison de différentes directives d'action publique pour prendre en considération l'ensemble du spectre de la délinquance de l'île, pas uniquement celle à laquelle on fait de la publicité, à savoir la criminalité organisée. On a souvent tendance à considérer qu'il n'y a pas de délinquance du quotidien ou que celle-ci est limitée, or la réalité est que notre département est confronté à des difficultés en constante augmentation. 
 
- Vous restez donc satisfait de ce qui est fait concernant la délinquance du quotidien ?
- Tout dépend de quoi on parle. On a mis en place une unité médico-judiciaire à l'hôpital d'Ajaccio, destinée à mieux appréhender l'ensemble des dommages causés aux victimes de violences intrafamiliales. On a resserré les liens avec les associations d'aide aux victimes pour assurer une prise en charge des victimes immédiatement à l'issue d'un dépôt de plainte. On a développé la solution des Téléphones Graves Dangers aux victimes de ces violences puisqu'on a aujourd'hui seize TGD disponibles, quasiment tous attribués.
 
- Mais pas sur la criminalité organisée...
- S'agissant des perspectives de lutte contre la criminalité organisée, il faut d'abord la définir : les règlements de comptes sont au premier lieu, on a aussi le blanchiment d'argent, des infractions à l'urbanisme et le trafic de stupéfiants. Dans ce dernier domaine, on a intensifié notre action puisqu'au cours de l'année 2022, on a eu des opérations et interpellations extrêmement nombreuses pour démanteler les trafics sur l'île. On sait que cette criminalité organisée est porteuse d'autres types d'infractions comme le trafic d'armes ou les violences par exemple.
 
- Que représente cette criminalité organisée dans votre travail ?
- Concrètement, une dizaine d'affaires ont été ouvertes en 2021 à l'instruction sur le trafic de stupéfiants, six cette année. Tous ces dossiers ont fait l'objet de saisines des trois juges d'instruction à Ajaccio. On a donc des interpellations, des détentions provisoires et derrière, un certain nombre de dossiers encore à l'instruction mais qui ont permis de procéder à de nombreuses saisies en cannabis, en cocaïne et en héroïne, mais aussi en argent : numéraire, comptes bancaires, véhicules... L'objectif est aussi de "taper" au portefeuille des trafiquants en saisissant la marchandise et le produit de l'infraction.
 
- Et vous pensez qu'on progresse, qu'on avance ?  
- Oui. Il y a le GIR (groupe interministériel de recherche) qui s'est installé sur l'île et travaille avec les services d'enquête sur la saisie des avoirs criminels, avant tout jugement. On saisit donc de manière conservatoire des sommes d'argent, des biens immobiliers, des véhicules qui appartiennent aux trafiquants, que l'on envisage de confisquer lors du jugement devant le tribunal.
Les chiffres sont en augmentation par rapport à l'an dernier et là où on peut s'interroger, c'est que les saisies de produits stupéfiants augmentent également. Autrefois, les trafics étaient plutôt centralisés par microrégions, entre le nord et le sud de l'île. Aujourd'hui, ils sont polymorphes, donc pas forcément rattachés à une région particulière mais plutôt "atomisés", sous formes de micro trafics auxquels il faut s'attaquer.
 
- Quelle est donc l'action mener désormais sur cette question des stupéfiants ? 
- Il faut avoir un regard sur des dossiers au long cours : s'atteler à démanteler des réseaux suppose une police judiciaire bien dimensionnée, avec des services pouvant assurer des enquêtes à moyen terme. Et puis, avoir une action au quotidien sur les trafics locaux, les revendeurs et les usagers. C'est toute la chaine qu'il faut appréhender par des instructions - enquêtes longues et complexes - et des actions quotidiennes comme le démantèlement de points de deals qui brassent des sommes d'argent extrêmement importantes. A titre indicatif, on a pu recenser sur une journée avec un dealer une centaine de transactions, ce qui représente un produit d'environ 5000€ par jour. 
 
- Et sur les autres problématiques ?
- Il faut continuer à maintenir la pression sur la criminalité organisée. Des discussions vont s'engager, notamment par la Collectivité, sur cette question en Corse. Celles-ci ne peuvent pas, à mon avis, se faire sans le regard de l'autorité judiciaire puisque nous sommes en première ligne avec les services d'enquête. 
L'idée générale est que nous travaillons en profondeur sur le blanchissement d'argent sale, les trafics de stupéfiants, les problématiques d'urbanisme... Et ce, en lien quasiment quotidien avec la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) d'Aix, en échangeant sur des dossiers des informations extrêmement pointues. C'est pour nous un outil indispensable et nous entretenons des relations extrêmement régulières.
Nous aurons ce mois-ci un bureau de liaison durant lequel nous nous regrouperons avec la Jirs, les juges d'instruction, le parquet de Marseille et le parquet national financier (PNF) pour échanger sur l'ensemble des dossiers que nous traitons en Corse. C'est un regard croisé, y compris avec mon collègue de la Haute-Corse sur les objectifs à mettre en œuvre pour accroître notre travail sur la lutte contre la délinquance et la criminalité organisée. 
 
- N'y a-t-il pas un manque de moyens pour rendre cette lutte efficace ?
-  On pourrait toujours demander plus de moyens. Nous sollicitons le maintien des services d'enquête spécialisés qui sont indispensables pour mener ces opérations d'envergure. Le commissariat d'Ajaccio et la sureté départementale se trouvent parfois en difficulté pour assurer la gestion du flux des procédures en cours. Il faut des services d'enquête qui soient toujours bien dotés pour une lutte efficace.
 
- En juillet, vous avez participé à la deuxième édition d'une formation de l'École nationale de la magistrature à destination des magistrats nommés en Corse ou désireux de l'être. Qu'en pensez-vous ? 
- Cette formation récente me semble intéressante puisqu'elle a pour objectif de sensibiliser des collègues qui voudraient venir travailler en Corse sur ses particularismes. Elle a vocation à démystifier un peu l'exercice professionnel ici, qui est plus exigeant puisque nous touchons à l'ensemble du spectre du droit pénal, en sachant que nous sommes dans des juridictions de taille moyenne. Certains collègues s'interrogent probablement sur la manière dont ils peuvent exercer ici, sachant que l'insularité peut parfois être une inquiétude pour ceux qui voudraient s'y installer.
Ça permet d'expliquer notre travail quotidien et de leur montrer qu'on peut parfaitement le faire ici et dans de bonnes conditions. Le souhait que j'ai serait d'ouvrir davantage cette formation, y compris à tous les personnels de greffe, car nous avons parfois du mal à recruter.
 
- Comment explique-t-on ces difficultés ? N'y a-t-il pas un problème d'attractivité en Corse ?
- Il y en a un, c'est évident. On a proposé de monter un groupe de travail lors de la venue du Garde des Sceaux sur l'île pour essayer de travailler sur l'attractivité des postes en Corse. Nous n'en sommes qu'aux prémices mais nous avons des propositions à formuler en lien avec l'administration centrale pour favoriser le nombre de candidatures sur des postes ouverts en Corse.
On doit mieux communiquer sur notre travail, en proposant par exemple aux personnes qui souhaiteraient venir des échanges individualisés avec nous pour expliquer notre quotidien ici. Pourquoi pas aussi travailler sur des aspects plus indemnitaires qui peuvent être un moyen de lutter contre la vie chère.
Je pense qu'il y a une part de fantasme qui ne s'explique pas forcément et il faut démystifier l'exercice professionnel. La difficulté principale pour celui qui viendrait travailler ici est d'assurer l'emploi du conjoint ou de la conjointe, donc on doit travailler sur cette problématique et des aspects plus matériels pour une installation plus facile.