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Compte administratif : La bonne santé financière de la Collectivité de Corse


Nicole Mari le Vendredi 28 Juin 2019 à 21:32

Examen de passage réussi pour l’Exécutif nationaliste avec le premier compte administratif de la nouvelle Collectivité de Corse (CdC), issue de la fusion de l’ancienne collectivité territoriale et des deux anciens Conseils départementaux. Des résultats positifs qui déjouent les mauvais augures qui planaient sur cet an 1 à la difficile genèse. L’opposition, plutôt modérée dans le débat, a salué les efforts en matière de rigueur budgétaire, mais contesté certains chiffres et fustigé la faiblesse des investissements.



Photo Michel Luccioni.
Photo Michel Luccioni.
« Les gens heureux n’ont pas d’histoire ». C’est par cette courte phrase glissée en toute fin du débat, que le président du Conseil exécutif, Gilles Simeoni, a résumé le compte administratif de l’an 1 de la nouvelle Collectivité de Corse. Une satisfaction d’autant plus grande que c’était loin d’être gagné d’avance. Les augures, à l’enterrement de l’ancien système, étaient raisonnablement pessimistes et prédisaient au mieux une année blanche. « « Vous n’arriverez pas à respecter la limite des dépenses de fonctionnement qui vous est fixée », nous avait dit, à l’époque, Camille de Rocca Serra, mais nous y sommes arrivés. Nous sommes en deçà des projections. Qu’on attribue ce mérite à la conjoncture extérieure ou qu’on se dise que le facteur principal a été les choix de gestion faits par le Conseil exécutif, c’est un excellent compte administratif. Vous l’avez dit, vous –mêmes, le compte administratif sera le juge de paix. Il nous départagera. Aujourd’hui, il nous départage dans un sens favorable à la majorité, à l’institution et à la Corse… et c’est tant mieux ! », lance-t-il à l’opposition. Il est vrai que le compte administratif est le moment de vérité par excellence. Exigé par la loi, cet exercice d’évaluation annuelle est fondamental puisqu’il fait le bilan de l’action de l'Exécutif, met en exergue les faiblesses ou les forces de la gestion et dégage des tendances. C’est dire s’il est épluché, analysé, décortiqué, critiqué...

Jean Biancucci. Photo Michel Luccioni.
Jean Biancucci. Photo Michel Luccioni.
Une gestion rigoureuse
La présentation de ce document comptable et des comptes afférents est toujours longue, fastidieuse et souvent indigeste au profane par la profusion des données et des acronymes qui s’entremêlent. L’usage voulant que ce ne soit pas le président de l’Exécutif qui s’y livre, c’est le conseiller exécutif, Jean Biancucci, grand habitué des débats budgétaires sous la mandature Giacobbi, qui s’y est collé. Avec une sobriété qui se voulait synthétique, il s’est, pour l’essentiel, tenu aux chiffres en prenant une précaution préalable : « La CdC n’existait pas en 2017, on est, donc, obligé de se référer aux comptes des trois anciennes collectivités pour faire une analyse. On ne peut pas plus la comparer à d’autres collectivités en France parce qu’elle unique par ses compétences, par sa surface d’exploitation et à tous points de vue. Le résultat cumulé est de 40,171 millions €. C’est un résultat positif très important. Il caractérise une gestion saine, au plus près des deniers publics, rigoureuse comme il se doit, mais qui a permis à la CDC d’avancer, c’est-à-dire d’assumer ses charges et d’investir pour l’avenir. La CdC affiche, au terme d’une année d’existence, de bons résultats qui permettront une montée en puissance des actions menées ».
 
De bonnes nouvelles
Et Jean Biancucci d’aligner « les bonnes nouvelles » : la baisse « très significative » de 1,16 % des dépenses de fonctionnement qui s’établissent à 878,7 millions €, soit une baisse de 10 millions €. Une augmentation des recettes de fonctionnement de 1,26 % supérieure à l’évolution des dépenses. La réalisation de plus de 275 millions € d’investissement, soit pratiquement le montant cumulé de l’investissement moyen réalisé par les trois collectivités avant la fusion. « Nous avons suivi une stratégie financière proposée par le cabinet Kopfler et nous obtenons des indicateurs de solvabilité très satisfaisants avec une épargne brute de 208 millions €, ce qui donne une capacité d’endettement qui s’améliore nettement à 3,7 ans. La CdC a maintenu ses engagements au niveau de la cohésion sociale, c’est un marqueur de notre politique, avec la maîtrise de la dépense publique et la compression des dépenses de fonctionnement. Il ne s’agit pas de compresser la dépense, mais de mieux dépenser. Tout ce qui concourt à l’équité sociale et au bien être des citoyens n’a pas été affecté. Les dépenses de formation et les allocations de solidarité ont augmenté, la redistribution atteint 88,5 millions €. Notre effort a porté sur les charges à caractère général en baisse de 11,8 %. L’augmentation des charges de personnels a été contenue à 2,87 % ».
 
Une situation saine
Côté recettes, la fiscalité, qui totalise 700 millions €, soit 75% des recettes, bondit de 8,73 %, ce qui se traduit par un volume financier supplémentaire de 56 millions €, du à la réfaction TVA, aux droits de mutation à titre onéreux et aux taxes spécifiques sur les transports, le tabac… « Cela est du aussi à la politique menée à la fois en matière d’attractivité des territoires et de développement économique que nous avons suscitée ». Les dotations publiques, quoiqu’impactées par la baisse des subventions versées par l’Etat, reste importantes, et dépassent 335,6 millions €. « On a un double objectif : un taux d’épargne brute important et une capacité forte de désendettement ». Le premier s’élève à 19,4 % du second. L’épargne nette, fléchée à 175 millions €, révèle la capacité d’investissement et représente 90 % des besoins. La dette se monte à 775 millions € avec un remboursement d’emprunt de 61,57 millions €. « La CdC n’a pas totalement mobilisé les emprunts contractés et prévus au budget primitif 2018. Malgré les difficultés de mise en place, on est parfaitement dans les clous. Cela nous permettra de poursuivre une politique ambitieuse à la hauteur des besoins en matière d’équipements structurants ».

François Orlandi. Photo Michel Luccioni.
François Orlandi. Photo Michel Luccioni.
Une mise en cause
Si l’opposition ne nie pas les efforts accomplis, les résultats obtenus et les évolutions positives, son interprétation des comptes est plus nuancée et diverge quelque peu. C’est, comme d’habitude, François Orlandi qui débute l’offensive pour le groupe Andà per Dumane. Pour lui, « le résultat à la hausse est purement comptable, pas financier, il permet une recette de fonctionnement sans réalité financière ». Et toujours comme d’habitude depuis deux ans, l’ex-président du Conseil départemental de Haute-Corse, comme son homologue du Sud, vit mal ce qu’il appelle « une mise en cause des anciennes collectivités. Il a été ressenti que, peut-être, nous avions voulu cacher des sommes importantes au département de Haute-Corse. Je pense avoir apporter des éléments de la manière la plus loyale. Malgré une baisse des effectifs, 30 agents de moins, nous avons réussi à maitriser le plus possible les coûts. Nous avons œuvré par voie de mutation pour ne pas alourdir la fusion des trois collectivités. Nous n’avons ostracisé personne, nous avons donné des promotions, quelque soit les appartenances politiques ».

Un appel à la prudence
Concernant la situation financière, il appelle à la prudence en matière de fonctionnement où « les dépenses sont pérennes ». Il tacle les dépenses réelles d’investissements « qui auraient pu être plus importantes. La création de la CdC aurait pu booster ce poste, mais reconnaissons que la première année d’installation est assez difficile et que la majeure partie des investissements provient des deux anciens départements qui ont apporté pratiquement 900 millions € de fonds de réserve ». Pour lui, les dépenses de personnels augmentent. « Est-on sur une trajectoire vertueuse ? N’assiste-t-on pas parfois à des dérapages ? Les frais de déplacement sont en diminution, mais atteignent quand même 2,7 millions €, ça reste important. Il est vrai qu’on ne peut pas comparer ». Il tient également à rappeler que « 66 % des ressources fiscales viennent de l’Etat ! Heureusement que l’Etat est là ! Notre fiscalité spécifique indépendante ne suffirait pas ». Et conclut après un très long exposé méticuleux et parfois peu audible : « Ne perdons pas de vue que ces ratios présentés sous un angle favorable s’établissent sur un taux d’épargne virtuelle. La présentation des chiffres est loyale, mais politique, elle présente une faiblesse des investissements ».

Xavier Lacombe. Photo Michel Luccioni.
Xavier Lacombe. Photo Michel Luccioni.
Pas assez d’investissements
Autre ferrailleur budgétaire habituel tout aussi prolixe, pointilleux et ésotérique, Xavier Lacombe, conseiller territorial du groupe Per l’Avvene, pointe, lui aussi, les charges de personnels : « Quelques efforts ont été faits sur les dépenses de fonctionnement, mais on constate, en rentrant dans le détail, une augmentation de 5 millions d’euros des charges du personnel. Et pour cause, on dénombre 68 agents en plus depuis l’an dernier. On a du mal à entendre qu’il y a des recrutements supplémentaires alors qu’on nous dit parallèlement qu’il y a des agents encore sans affectation depuis la collectivité unique au 1er janvier 2018 ». Tout comme, il cible des investissements en rade : « Le ratio fonctionnement/investissement s’établit à 74/26 contre 72/28. Une augmentation du fonctionnement, un delta de 2% qui révèle une dégradation évidente. La CDC n’a pas plus investi que les 3 collectivités les années précédentes, elle est en deçà. On aurait pu espérer mieux puisqu’en termes de recettes, il y a une amélioration que l’on doit à la fiscalité dynamique des ex-départements, notamment les droits de mutation ».
 
Un affichage comptable
Pour lui aussi, l’affichage comptable n’a sur plusieurs points, « rien à voir avec la réalité financière. L’épargne brute augmente, du coup la capacité de désendettement aussi, mais si on intègre l’emprunt de cette année, ces chiffres seraient bien moins bons. Le faible niveau des provisions nous interpelle aussi lorsque l’on sait les contentieux qui pèsent sur la collectivité ».Et la situation n’est, donc, pas, selon lui, aussi idyllique que l’Exécutif voudrait bien la présenter. «  Faible niveau d’investissement, problèmes de trésorerie… A ce rythme, la CDC est mise en difficulté. Attention à l’effet ciseau, et au risque de s’habituer à ce que l’emprunt ne vienne pas financer l’investissement, mais serve de variable d’ajustement pour équilibrer le budget et présenter artificiellement un affichage comptable favorable ». Autant d’éléments qui conduisent le groupe de droite à ne pas voter en faveur du compte administratif.

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Moins de personnels
Ce qui ne semble guère perturber, ni Jean Biancucci qui se lance dans une réponse méthodique, point par point, chiffre par chiffre, et tout aussi absconse que les deux interventions précédentes, ni Gilles Simeoni qui nous épargne, un tant soit peu, cette rude bataille de chiffres pour une réalité plus prosaïque. « La diminution des charges générales et des dépenses de fonctionnement est acquise. L’augmentation des charges de personnels est contenue et due notamment à l’intégration de personnels, qui étaient auparavant dans des structures satellites, et au report en année pleine des choix faits en 2017 ». Dans son viseur, les fameux recrutements de dernière minute du département de Corse du Sud, totalement assumés au demeurant par son ancien président, Pierre-Jean Luciani. Et de réfuter : « Il y a 283 agents contractuels contre 258 en 2017. Nous en avons intégré 16 en cours d’année, donc l’augmentation réelle est de 7 agents qui viennent remplacer des congés maladie. Globalement, on peut tourner les choses comme vous voulez, mais le nombre de personnels a diminué : 27 postes en moins. Des recrutements sont faits et assumés parce que nous avons besoin de monter en compétence et en qualification pour une meilleure efficacité ».
 
Une année positive
Le président de l’Exécutif revient sur la gestion rigoureuse qui « ne s’est pas faite au détriment du service public et des droits sociaux… A-t-on augmenté les impôts dans un contexte où tout le monde augmente ? Non ! C’est un engagement que nous avons tenu ». S'il reconnaît que « l’investissement était un enjeu. La création d’une collectivité nouvelle fait perdre quatre mois à l’allumage, dont 4 mois d’investissements. C’était un risque à envisager. Au final, l’investissement n’a pas augmenté, mais il est, à un epsilon près, au même niveau que les montants cumulés des trois anciennes collectivités dans les exercices précédents », c'est pour mieux triompher : « Malgré les risques, les difficultés et un certain nombre d’insuffisances, par rapport aux engagements pris et à ce que nous voulons faire, l’exercice 2018 a été, pour la CdC, une première année globalement positive. Et de cela, nous devons nous réjouir ! ».
Sans surprise, le compte administratif est adopté, l’opposition s’est abstenue.
 
N.M.