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Assassinat d’Yvan Colonna : après la "volte-face"de Franck Elong Abé, les avocats partagés entre différents sentiments


le Mercredi 20 Mars 2024 à 19:54

Dans un courrier adressé à la juge chargée de l'instruction le 14 février dernier, l'homme mis en examen pour l'assassinat du militant nationaliste est revenu sur ses déclarations initiales et a affirmé avoir agi dans le cadre d'un "acte commandité" par les services de l'État. Des propos fermement démentis par le ministère de l'Intérieur, mais qui laissent les avocats des parties civiles circonspects.



(Photo : Archives Michel Luccioni de la manifestation du 6 mars 2022 à Corte)
(Photo : Archives Michel Luccioni de la manifestation du 6 mars 2022 à Corte)
Alors que ce 21 mars marquera le second anniversaire de la mort d’Yvan Colonna, la nouvelle a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans l’île. Dans un courrier de 4 pages adressé à la juge antiterroriste chargée de l'instruction que plusieurs médias insulaires ont pu consulter, Franck Elong Abé, mis en examen pour l’assassinat du berger de Cargèse, est revenu le 14 février dernier sur ses déclarations initiales, affirmant avoir agi dans le cadre d’un « acte commandité »   par les services de l’État et la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI), contre une importante somme d’argent. Les allégations de cette lettre - versée au dossier d’instruction le 21 février – ont bien évidemment été rejetées en bloc par le ministère de l’Intérieur. « Ces allégations sont totalement fausses et sont sans fondement. Les services du ministère de l'Intérieur ne commanditent pas d'assassinat ni d'agression contre qui que ce soit. Ce ne sont pas des pratiques qui existent. Une procédure judiciaire est actuellement en cours sur ce sujet et le juge d'instruction pourra peut-être vous donner davantage d'informations », a-t-il fait savoir via sa porte-parole, Camille Chaize.

Mais les choses ne sont pas si évidentes du côté des parties civiles. Me Anna Maria Sollacaro et Me Dominique Paolini qui représentent le frère, la sœur et les parents d’Yvan Colonna, qui ont pris connaissance de ce courrier lors de la récente réception de la procédure actualisée, font de leur côté part de leur « effarement et de leur surprise » face aux propos de Franck Elong Abé. « Il est clair que du côté des avocats que nous sommes, nous prenons cela avec beaucoup beaucoup de prudence. Mais nous avons immédiatement sollicité de la juge d’instruction qu’un interrogatoire de M. Elong Abé soit réalisé au plus vite, et ce en notre présence, afin que nous puissions lui poser un certain nombre de questions et qu’il puisse infirmer, confirmer ou préciser les informations qu’il donne dans ce courrier », indique Me Sollacaro. 

 
" Il faut que les magistrats instructeurs vérifient cette piste"

« Le ministère soutient que les propos de Franck Elong Abé ne seraient pas crédibles pour la bonne et simple raison qu’ils émaneraient d’un individu à la psychologie instable. Dont acte. Mais on ne peut absolument pas se satisfaire de ce commentaire pour la bonne et simple raison qu’il n’est pas suffisant, et surtout qu’il est en contradiction avec toute la confiance dont Franck Elong Abé a pu bénéficier jusqu’au fait commis par l’institution judiciaire mais aussi par la pénitentiaire. Je rappelle que Franck Elong Abé a aussi été expertisé au lendemain des faits et que personne n’a conclu à une abolition de son discernement », glisse-t-elle par ailleurs en insistant : « C’est très inquiétant que la seule réaction que l’on obtienne du ministère de l’Intérieur c’est de nous dire que c’est un fou ». « Malgré toute la prudence avec laquelle on prend cette information et toutes les vérifications qui doivent ensuite être menées, il n’empêche que toutes les zones d’ombre qui ont été mises en exergue tant par l’information judiciaire que par l’enquête parlementaire viendraient à la lumière de ce courrier malheureusement presque trouver un éclairage si ces propos venaient à être avérés. C’est très inquiétant », ajoute-t-elle encore. 
 
Dans la même ligne, Me Jean-François Casalta, avocat de la femme et du dernier fils d’Yvan Colonna, se questionne sur cette « volte-face complète » de Franck Elong Abé par rapport à ses déclarations antérieures. « Il faut que les magistrats instructeurs vérifient cette piste qui avait déjà été évoquée de manière assez soutenue lors de la commission d’enquête parlementaire », signale-t-il, « On ne sait si Elong Abé raconte des bêtises, comme il a pu le faire précédemment, si c’est une tentative de diversion ou s’il vient dire la vérité aujourd’hui. Il faut être très prudent et solliciter de la part du magistrat instructeur des investigations complémentaires, non seulement sur ce point précis, mais aussi sur d’autres éléments du dossier sur lesquels demeurent des zones d’ombre ».
 

" Ce courrier vient confirmer la conviction profonde de la famille "
 
Avocat du premier fils d’Yvan Colonna, Me Emmanuel Mercinier-Pantalacci, invite lui aussi à la prudence. « Compte tenu de la personnalité de l’intéressé, je prends a priori avec circonspection ces révélations. Néanmoins, les aveux qu’il formule aujourd’hui permettent d’expliquer un certain nombre de mystères qui jusqu’à présent étaient inexplicables », livre-t-il en posant toutefois : « Il est à peu près établi aujourd’hui que, contrairement à ce que l’intéressé avait soutenu dans un premier temps, l’assassinat qu’il a commis ne procède pas d’une impulsion irréfléchie immédiate dont il aurait été la proie le jour des faits. En réalité, il procède d’une préparation qui apparait aujourd’hui établie. Les aveux qu’il formule aujourd’hui apparaissent assez conformes avec cette réalité selon laquelle il a agi dans le cadre d’une préméditation ».
 
Peu après la révélation du contenu de cette lettre, Christine Colonna, la sœur du militant indépendantiste, a réagi sur le réseau social X en soulignant que « ce courrier vient confirmer la conviction profonde de la famille d’Yvan Colonna ». « La thèse du crime « islamiste » pour cause de blasphème, assénée comme une vérité absolue par le PNAT dès le jour de l’agression, puis par d’autres intervenants ou observateurs est donc définitivement invalidée », a-t-elle écrit en concluant : « Il s’agira dorénavant d’identifier les commanditaires et autres complices de cet assassinat politique qui interroge encore plus aujourd’hui tant au niveau de sa conception et de son organisation que dans le profil des personnes éventuellement impliquées ».