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Covid-19 : L'Exécutif corse propose un Plan Salvezza de 400 millions € pour pallier l’urgence


Nicole Mari le Jeudi 26 Novembre 2020 à 20:15

L’acte 1 du Plan « Salvezza è Rilanciu » de la Collectivité de Corse a été débattu, jeudi après-midi, à l’Assemblée de Corse. Des mesures d’urgences pour répondre aux graves conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire avec un plan local basé sur une logique de solidarité et d’aides directes aux entreprises comme aux personnes les plus touchées. L’Exécutif, qui fait face surtout à des critiques de méthode et d’orientation, s’est attaché à lever les malentendus. Le débat se poursuit vendredi avec l’examen d’une bordée d’amendements.



Hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo d'archive Michel Luccioni.
Hémicycle de l'Assemblée de Corse. Photo d'archive Michel Luccioni.
Près de 400 millions d’euros, c’est l’enveloppe financière globale du volet Salvezza du plan Salvezza et Rilancia, présenté par le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, jeudi après-midi à l’Assemblée de Corse au moment même où à Bastia les acteurs économiques, se mobilisaient, à l'appel de l'UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) pour demander son adoption. 100 millions d’euros à la charge de la Collectivité de Corse et 300 millions € demandés à l’Etat. Dans la lignée du plan d’urgence économique et social, élaboré dès le mois de mars par l’Exécutif corse, et des dispositifs en chaine qui l’ont renforcé depuis lors, ce premier volet est consacré aux premières mesures d’urgence à mettre en œuvre au plus vite pour tenter de sauver les entreprises et les emplois et aider les précaires à traverser ce nouveau confinement. Il se veut une réponse efficace, pertinente et immédiate, co-construite avec une plateforme interprofessionnelle pour cibler les besoins – Chambres de commerce, d’artisanat, d’agriculture, MEDEF, UMIH, syndicats, associations… - en complément des dispositifs gouvernementaux et avant la mise en place du volet Rilancià qui, lui, se déclinera à moyen et long terme. « Dire que nous avons conçu ce plan uniquement avec le patronat est un erreur. Nous avons discuté avec les artisans, les commerçants, les agriculteurs, les pêcheurs, les chômeurs, les syndicats… », s’étonne Gilles Simeoni. Deux actes qui répondent à deux nécessités intrinsèquement liées : sauver ce qui peut l’être pour pouvoir poser les jalons d’une véritable relance et d’un nouveau modèle économique et social.

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Aucune garantie
Fidèle à sa méthode, le président de l’Exécutif commence par situer les enjeux : « La crise a des conséquences d’une gravité extrême, plus graves en Corse que dans les territoires continentaux ». Les raisons ? L’insularité d’abord, la part du tourisme - plus de 30% du PIB - une économie composée à 90% de TPE, un taux de chômage qui a culminé en septembre avec une perte de PIB de 18% contre 10,3% sur le continent. « Un tableau extrêmement sombre, inquiétant. Cette crise est venue frapper un territoire et un peuple déjà en situation de fragilité avec un taux de pauvreté de 20%, le plus haut de France métropolitaine. Le choc du deuxième confinement a paralysé la dynamique de relance et a accentué, par effet domino, la fragilisation et la paupérisation de secteurs entiers  de l’économie insulaire ». Le constat est sans fard : « Au moment où nous parlons, nous n’avons aucune garantie que nous obtiendrons de l’Etat et de l’Union européenne les engagements indispensables. Le dire n’est pas fait œuvre de surenchère, ni de dépendance. Tous les territoires font appel à la solidarité de leurs partenaires et nous ne faisons pas autre chose ». Cette inquiétude prend sa source dans le Plan France Relance de 100 milliards €. « 20 milliards € sont constitués par un abandon des impôts de production, la Corse n’est concernée que par une part infime : 13 millions € ». Une seule entreprise en Corse peut y émarger : EDF. « Nous ne savons pas quelle sera notre part. Il nous reste 140 millions € à programmer au titre du PEI avant fin décembre, 500 millions ont été validés pour le PTIC, sans compter les contrats plans et les fonds européens. Mais ces sommes, acquises indépendamment du COVID, ne peuvent pas faire partie du Plan ».
 
Pas de retard
France Relance n’étant toujours pas décliné au plan territorial, l’objectif est, donc, d’identifier la part dévolue à la Corse, de contractualiser avec l’Etat « qui nous invite selon des modalités qui ne sont pas adaptées à la Corse et prises sans concertation » et de parfaire la co-construction de ce plan avec les élus et les forces vives. « Nous n’avons pas pris de retard. Des régions ont mis en place des dispositifs, mais n’ont pas fait mieux que nous, nous avons fait même mieux que certaines. Nous faisons un nouvel effort significatif en plus de ceux que nous avons déjà fait depuis le printemps », affirme Gilles Simeoni qui entend déminer les critiques déjà répandues de l’opposition. Sur les 100 millions € apportés par la CdC, 70 millions € sont des redéploiements de crédits et le reste, des fonds propres. « France Relance est déjà up to date parce qu’il reposait sur le postulat qu’à partir de septembre, nous rentrions dans une phase de normalisation qui est différée d’autant. La Corse n’obtiendra que 0,15% de ce plan. Nous demandons à l’Etat 307 millions € de mesures fiscales, réclamées de façon unanime par les socio-professionnels ». L’enjeu est également de rendre les dispositifs les plus simples, lisibles et opérationnels. « Quand quelqu’un demande une aide, il faut qu’elle arrive vite et de manière sécurisée ».
 
Un soutien massif
Le volet Salvezza déroule 42 mesures autour de six grands axes. Trois concernent les entreprises avec l’amélioration des dispositifs existants, notamment la transformation des prêts d’Etat PGE en prêts participatifs avec clause de retour à meilleure fortune. Des nouveaux dispositifs avec des aides directes pour les TPE, notamment 6 millions € dans le secteur touristique, 5 millions € pour renforcer le haut du bilan des entreprises, et un pack de mesures fiscales et sociales. « Nos ressources budgétaires sont limitées, nous avons choisi de concentrer notre aide sur ceux qui ne pourront pas rouvrir en décembre : jusqu’à 3000 € en complément de l’Etat. Le PGE a été largement activé, les entreprises corses y ont eu recours et se retrouvent confrontées à un mur de dettes : plus d’un milliard €. Nous voulons transformer la nature de l’emprunt et passer à des emprunts à taux zéro pour que les entreprises corses puissent respirer. Nous augmentons la commande publique, notamment en matière de routes, dès le mois de janvier pour aider les entreprises corses. Même travail pour les agriculteurs, les pêcheurs, les petits commerçants, frappés durement et inquiets... Nous voulons être présents auprès de tous ceux qui sont en difficulté. Nous avons mis 150 000 €, pas pour un logo, mais pour engager une campagne massive en faveur des circuits courts, Cumpremu corsu », précise Gilles Simeoni. Deux autres axes relèvent du soutien au secteur social avec 30 millions € pour l’aide à l’emploi et à l’employabilité « un soutien massif à l’offre d’insertion » et près de 10 millions € pour lutter contre la précarité alimentaire, énergétique… « Nous avons établi une charte avec une contrepartie sociale de l’aide économique, notamment une démarche de labellisation ». Un dernier axe « pose les jalons de la création d’une dynamique collective pour construire ensemble un nouveau modèle économique et social qui doit reposer sur la solidarité entre ceux qui ont beaucoup et ceux qui ont peu ou ont de moins en moins.

Jean-Charles Orsucci. Photo Michel Luccioni.
Jean-Charles Orsucci. Photo Michel Luccioni.
Pas de blanc-seing !
Gilles Simeoni en appelle, enfin, à la responsabilité politique : « Nous ne sommes pas là pour faire un bras de fer avec l’Etat, ni pour préparer les prochaines élections territoriales. Le devoir et l’honneur de la représentation élue de la Corse est d’apporter des réponses. Ce que j’ai entendu de l’Etat ne me rassure pas. Si notre plan est porté par une légitimité populaire, cela nous permettra d’avancer beaucoup ». Pas sûr qu’il soit entendu. L’opposition dégaine, dans une certaine unanimité, trois critiques principales : sa mise à l’écart dans les discussions avec les socio-professionnels, le manque de concertation avec l’Etat et la faiblesse des aides aux plus démunis. « Notre région a du retard, ce timing, qui n’est pas bon, a des conséquences dramatiques. Sur 2020, nous n’aurons apporté aucune aide aux entreprises en difficulté », Jean-Charles Orsucci, président macroniste d’Anda per Dumane et maire de Bonifacio, se lance, comme à son habitude, dans une grande défense de l’action de l’Etat. « Aux socioprofessionnels, je veux leur dire que le gouvernement a essayé de répondre à la crise comme personne au monde ne l’a fait. C’est bien d’avoir vu tous ces gens, mais nous, groupes de l’opposition, nous n’avons pas été associés à ces réunions, et il faudrait que je vous donne un blanc-seing ! Nous, ce n’est pas grave, mais ne pas associer l’Etat aux discussions ! Vous nous avez rappelé la logique que le payeur est le décideur, combien de rendez-vous avez-vous sollicités au préfet de région, aux ministres alors que vous leur réclamez 300 millions € ? Nous sommes prêts à être à vos côtés pour obtenir le mieux pour la Corse sans demander la lune ». Il trouve le plan « trop libéral, la dimension sociale est insuffisante : 2,5% pour le social sur 400 millions €, le compte n’y est pas ! La méthode ne nous paraît pas opérationnelle, ni garante d’une réussite, nous sommes sur une abstention collaborative ».
 
Agir vite
A droite, le groupe Per L’Avvene est plus nuancé : « L’honnêteté commande de dire que cette méthode ne vous appartient pas. Des hommes et des femmes, issus des mondes consulaire, syndical et associatif, se sont retroussés les manches et ont pris des initiatives jusqu’en octobre dernier où vous avez pris le relais. Des gens en Corse en responsabilité ont été capables de s’unir lorsque l’urgence l’a exigé. Ils nous demandent de faire l’autre partie du travail. Nous allons accompagner cette démarche parce que nous pensons que c’est salutaire pour ceux qui ont porté ces propositions et ont besoin d’être accompagnés. C’est seulement à ce titre là que nous avons considéré que notre devoir était de voter en faveur de ce plan », reconnaît son président Jean-Martin Mondoloni. Ceci posé, il émet des réserves sur les fonds, les moyens et le partenariat et demande que la CADEC soit associée. « Elle porte des outils très pertinents pour financer l’économie insulaire et défend des pistes intéressantes : le renforcement des fonds du crédit-bail immobilier, le principe du lease back qui consiste à acheter l’immobilier d’entreprise pour qu’elles puissent le récupérer dans 15 ans, une mesure clef par ces temps de crise, la création d’une filiale foncière, l’émission d’obligation, la création d’un label relance, le renforcement des avances remboursables en les faisant passer de 200 000 à 500 000 €… ». Il insiste surtout sur la réactivité : « Il faut être opérationnel dès demain matin. Le dispositif Salvezza 1 n’a été que faiblement mobilisé, seulement 84 dossiers ! En cette période Covid, le risque est que si les riches maigrissent, les pauvres meurent ! Là, on va peut être attendre la contractualisation pour on ne sait pas quand. On ne peut plus espérer être inséré dans les 4 lois de finances rectificatives de 2020, ni dans la loi de finances 2021, alors que d’autres régions l’ont pourtant fait. C’est bien dommage ! ».
 
Plus de justice sociale
Si la majorité est toute aussi mécontente d’avoir été écartée des discussions, elle approuve le plan sans états d’âme. « Nous aurions souhaité nous aussi faire valoir en amont un certain nombre de propositions en soutien à l'économie à visage humain, afin de renforcer le volet destiné aux plus démunis », commente Petr’Anto Tomasi, président du groupe Corsica Libera. « Le levier fiscal est, pour nous, un levier de redistribution et de justice sociale. Un de nos objectifs est de sauver ces petits acteurs qui font notre tissu socio-économique. Nous vous proposons de prendre en charge les loyers d'un certain nombre d'entreprises. Ce type de mesures a été validé par la Commission européenne. Il faut renforcer les mesures de justice sociale dans le cadre du plan de relance, notamment les contreparties sociales aux aides de relance, et non d’urgence ». Il demande aussi d'abonder l'aide aux associations en matière de précarité alimentaire : « c'est un besoin fondamental » et d’exiger des contreparties sociales à l’octroi d’aides publiques aux entreprises. Il préconise également un volet sanitaire au plan de relance « afin d’éviter un rebond de l’épidémie et d’être dans l’obligation de revenir au 1er trimestre 2021 pour un nouveau plan de relance et d’urgence. Nous avons besoin d’un principe de certification sanitaire à la veille des vacances de Noël, ainsi qu’un testing de masse comme l’a fait Blozano en Italie ».

Nanette Maupertuis. Photo Michel Luccioni.
Nanette Maupertuis. Photo Michel Luccioni.
Relance ou urgence ?
C’est la conseillère exécutive et présidente de l’Agence du tourisme (ATC), Nanette Maupertuis, qui monte au créneau pour « lever les malentendus » et remettre les pendules à l’heure. En bonne économiste, elle explique le distinguo entre relance et urgence : « Ce qu’on attend d’un plan de relance, c’est la capacité à mobiliser des ressources financières pour faire redémarrer très vite, à la fois, l’investissement, la production et la consommation et permettre la croissance. Aujourd’hui, la France n’est pas en capacité de faire de la relance, elle essaye d’amortir le choc de la deuxième vague. Les régions essayent de sauver leur tissu productif et les emplois associés, comme nous le faisons. Certaines ont déjà fait un plan de relance en avril, comme nous l’avons fait et nous avons même défini un cap pour enclencher un processus de transition nouvelle, une fois que la situation sanitaire serait stabilisée. Sauf qu’il y a une deuxième vague que personne n’avait prévue. Aucune région n’a contractualisé avec l’Etat sur un plan de relance ». La méthode préconisée par l’Etat ? « France Relance est une logique de projets : 1/3 pour la transition écologique, 1/3 pour la compétitivité, 1/3 pour la cohésion sociale. Aujourd’hui, est-on en capacité de faire de la transition écologique ? Non ! Est-on en capacité d’accroître la compétitivité, l’export ? Non ! Peut-on, à l’heure actuelle, demander à des entreprises ou à des acteurs sociaux d’avoir des projets ? Non ! La logique de France Relance, si elle est louable, n’est pas applicable, n’est pas adaptée à l’urgence ! La logique de l’Etat « Premier arrivé, premier servi » peut même générer une inégalité encore plus grande ».
 
Le compte n’y est pas !
Salvezza, est-ce un plan libéral ? « 26,5 millions € pour sauver les TPE, 33 millions € pour dynamiser les secteurs de production, ce n’est pas du libéralisme ! Consacrer 40 millions € pour les salariés, les chômeurs, les personnes en forte précarité, les jeunes ou étudiants, ce n’est pas un plan libéral ! Si certains syndicats sont un peu sceptiques, c’est qu’ils sont contre l’exonération des charges sociales qui remet en cause le financement des caisses ». Les 400 millions € d’exonération demandées à l’Etat ? « En quoi c’est choquant ? Nous avons perdu 1,6 milliard € depuis mars et 370 millions € en novembre. Chaque mois de confinement, c’est 60 milliards € perdus en France et 300 millions € perdus en Corse. Lors de la grève de la SNCF en 2014, nous avions obtenu ces dégrèvements pour toutes les entreprises corses alors que nous ne perdions que 1,6 million € par jour ». La discussion avec l’Etat ? La présidente de l’ATC prend l’exemple du tourisme « secteur le plus touché et le plus réactif. Nous avons joué la carte de la discussion avec l’Etat et, devant l’ampleur des dégâts, nous avons obtenu une feuille de route spécifique à l’instar de Lourdes et des DOM-TOM. Nous avons co-construit 7 mesures qui ne sont pas toutes dans ce plan de relance parce que le tourisme fait l’objet d’un plan spécifique. Nous avons fait remonté des projets à hauteur de 47 millions €, la contribution de l’Etat ne se ferait qu’à hauteur de 9 millions €. Le compte n’y est pas ! ».
 
Des pâquerettes et des escargots
Pour Nanette Maupertuis, l’urgence est, donc, d’abord de sauver le secteur productif. « Il est impensable de pouvoir redémarrer quoi que ce soit, une fois que la lumière sera complètement éteinte. En économie, on n’appuie pas sur un bouton et ça repart ! ça ne marche pas comme ça ! Il faut préparer des projets qui seront financés par des fonds France Relance dans le cadre de la transition énergétique et de la compétitivité. Nous avons déjà réalisé 70% du travail pour faire remonter un panel de projets qui permettront de capter les financements de l’Etat et d’enclencher une croissance post-Covid innovante, verte et inclusive, pour le plus grand nombre. C’est le cap que nous avons voté en avril ». Et d’interroger : « Si nous étions venus devant vous avec un plan de relance portant uniquement sur la transition écologique, l’eau, les petits oiseaux, les pâquerettes et les escargots, il est évident que les gens qui nous écoutent, qui ont perdu déjà 70% de leurs chiffres d’affaires, certains ont mis la clé sous la port et ne rouvriront pas, les personnes âgées, les jeunes qui ne trouvent pas de travail ou de stage d’apprentissage qu’auraient-ils dit ? Il aurait dit « C’est un Exécutif qui fait des plans sur la comète, mais qui est incapable de répondre aux exigences du présent ». Elle annonce, plus spécifiquement, trois mesures d’urgence pour le tourisme : « un plan d’investissement rapide pour les entreprises qui veulent rouvrir en mars prochain, un plan de promotion touristique exceptionnel à hauteur de 6,3 millions € pour ne pas sortir des écrans radars, et une plateforme d’apprentissage, demandé par les acteurs du tourisme, pour mettre en relation l’offre touristique et les demandeurs d’emplois, en particulier les étudiants et les chômeurs. C’est une expérimentation, une première ! Si ça marche, elle sera répliquée dans d’autres secteurs d’activité ».
Le débat se poursuivra vendredi matin avec l’examen en commission d’une vingtaine d’amendements déposés par tous les groupes. Le vote devrait intervenir dans la foulée.
 
N.M.