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Bernard Cazeneuve invite la presse corse à diner pour une séance d’explication


Nicole Mari le Mardi 1 Juillet 2014 à 00:36

Lundi soir, à 19h45, avant le débat sur la réforme territoriale et la Corse qui s’est tenu à 21h30 au Sénat à la demande du sénateur Nicolas Alfonsi, le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a convié la presse corse à diner, place Beauvau. Une invitation inhabituelle, qui fait suite au tollé qu’ont suscité sa visite dans l’île et ses "NON" assénés. Si le diner, qui se voulait une séance d’explication de la position gouvernementale, fut instructif par les précisions apportées, il n’a pas vraiment convaincu et a surtout démontré le fossé existant entre Paris et la Corse.



Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, et Christophe Mirmand, préfet de Corse, devant le Senat.
Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, et Christophe Mirmand, préfet de Corse, devant le Senat.
L’invitation est une première sous le gouvernement Hollande et doit, de la part d’un ministre important d’un gouvernement qui s’est surtout distingué par son silence, son autisme et son mépris, être appréciée à sa juste valeur. Après les commentaires assez vifs qu’a suscité sa première visite en Corse que d’emblée, il qualifie de « tectonique », Bernard Cazeneuve a tenté de redresser le tir dans « une séance d’explication ». Il a convié, pour cela, de façon impromptue, la presse insulaire à un diner informel en compagnie du Préfet de Corse, Christophe Mirmand, et de l’ex-commandant de gendarmerie de la région Corse, Christian Rodriguez, désormais conseiller gendarmerie auprès du ministère de l’intérieur. Il espérait, aussi, de son propre aveu, comprendre pourquoi la presse et la classe politique insulaire l’avaient tant malmené alors qu’il n’a « rien fait d’autre que de confirmer ce que Manuel Valls et le président de la République avaient déjà dit et qu’on n’a pas voulu entendre » sans que, s’étonne-t-il, leurs propos aient, en leur temps, soulevé tant de vagues.
 
Prudence ministérielle
Le ministre prend, d’abord, le pouls de ses interlocuteurs, lors d’un bref apéritif sous les ors d’un salon rouge du splendide hôtel de Beauvau. Actualité oblige, le sujet, immédiatement, pour ne pas dire naturellement abordé, est la décision du FLNC de déposer les armes. Bernard Cazeneuve « prend acte » de cette décision « symbolique », s’en réjouit, mais « reste prudent », attendant de voir comment évoluera réellement la situation, notamment au niveau de la violence. Il demande des explications sur les raisons qui ont poussé l’organisation clandestine à déposer les armes, mais la presse insulaire se borne à répéter les mots du communiqué.
A la table du diner, dans une salle attenante, le ministre, qui se veut ouvert et décontracté, rentre dans le vif des sujets qui fâchent : statut de résident, coofficialité de la langue corse, réforme constitutionnelle, transfert de la compétence fiscale, arrêtés Miot…
La presse insulaire, qui escomptait une déclaration forte qui laisserait entrevoir une ouverture, en a été pour ses frais. Le ministre a réitéré ses propos, confirmé ses positions, en les justifiant et les affinant. Sans rien de bien nouveau sous le soleil !
 
Pas possible !
Le statut de résident ? « J’ai demandé au bureau des affaires européennes de travailler sur la question. Il apparaît que, si des juristes corses disent que c’est possible, une écrasante majorité des juristes français et européens disent que c’est contraire au droit européen. J’estime être de mon devoir de le dire en toute honnêteté. La solution proposée par la CTC (Collectivité territoriale de Corse) n’est pas possible ! ». Il concède, sous le feu des objections journalistiques, qu’il y a bien un problème foncier et de logement pour les Corses et que le surnombre des résidences secondaires est « un vrai sujet ». Mais pas besoin, pour le régler, estime-t-il, de prendre « des chemins aventureux que beaucoup de Corses refusent ». Pour lui, il existe deux pistes efficaces, appliquées ailleurs : « Des tas d’autres territoires français connaissent le même problème et ne parlent pas de statut de résident. La solution passe par la création d’un Etablissement public foncier doté de crédits, comme il en existe, par exemple, dans les Alpes Maritimes. Ensuite, il faut mettre le paquet sur le financement du logement ! ». Son financement ? L’office doté de 30 millions € s’autoalimentera par transfert des terrains aux communes, intervient le Préfet Mirmand qui évoque la loi Alur pour l’accès aux logements. « Le manque de documents d’urbanisme est un frein. Seules 35% des communes corses ont un PLU (Plan local d’urbanisme). 40% des communes littorales ne disposent d’aucun document. Les autres fonctionnent avec une carte communale qui sera caduque en 2017. Très peu de bailleurs sociaux investissent en Corse ».
 
Pas question !
La coofficialité de la langue corse ? « Pas question de changer la Constitution pour cela ! ». Pas question, non plus, d’accepter que « pour être fonctionnaire, il faut parler corse, qu’on soit obligé de parler corse dans les emplois publics, ni qu’un fonctionnaire soit obligé de répondre en Corse. Le principe d’égalité des citoyens français serait remis en cause. Cela mène à la corsisation des emplois ». Il prétend, de surcroît, que le statut ne donnera aucune garantie que la langue soit d’avantage parlée. En somme, il n’est ni légal, ni efficace ! Néanmoins, le ministre de l’intérieur se dit « très favorable au développement de la langue », mais dans le cadre du bilinguisme, d’un enseignement obligatoire de l’école à l’université. « Cela ne me choque pas ! C’est une solution, si on y met les moyens ».
 
Pour quoi faire ?
La réforme constitutionnelle ? « La politique est un principe de responsabilité partagée. Il n’y aura jamais les 3/5ème du Parlement pour changer la Constitution pour la Corse ». Pour autant, certifie-t-il, « Le gouvernement ne veut pas empêcher la Corse d’évoluer, mais d’emprunter des chemins qui remettent en cause un certain nombre de principes de droit ». Il argue ne pas opposer une fin de non-recevoir, ni être « choqué », par l’éventualité d’un changement de la Constitution, assène même qu’il est possible de trouver une majorité parlementaire pour le faire, mais « tout dépend pourquoi faire ? ». Il admet « des modifications qui soient défendables. On peut considérer un changement de Constitution pour des adaptations fiscales et règlementaires et qu’une singularité corse soit reconnue pour la Corse ». Mais, ajoute-t-il aussitôt : « Pourquoi cette singularité doit-elle conduire à se mettre dans un droit totalement dérogatoire de la République ? Je ne suis pas jacobin. J’assume totalement un principe républicain très fort. On doit protéger la loi de la République. La Corse n’est pas un territoire à part, mais un territoire à part entière de la République. »
 
Des impasses
Les Arrêtés Miot ? Bernard Cazeneuve reconnaît que « c’est un vrai problème », mais, pour lui, la solution prônée par les députés insulaires se heurte à la loi. Il assure les Corses de « la détermination du gouvernement à trouver des solutions qui ne remettraient pas en cause le principe d’égalité ». Une solution qui pourrait s’appliquer partout en France. « En disant cela, je n’ai pas le sentiment de faire preuve d’une quelconque fermeture d’esprit, mais d’être au contraire souple et ouvert. Fermer une porte sur une impasse n’est pas fermer des portes, mais ouvrir sur une porte opportune ». Pour lui, c’est l’Assemblée de Corse, par ses décisions imposées unilatéralement, qui rejette le dialogue. « Refuser de rentrer dans des discussions stériles, ce n’est pas, comme on l’a dit, refuser le dialogue. On fait juste savoir que c’est dangereux ». Ce sera son leitmotiv tout au long de la discussion. Il oppose « le pragmatisme », « la raison » et « l’esprit de responsabilité » dont il affirme faire preuve aux « impossibilités » votées par la CTC. « La réalité se heurte aux décisions de la CTC », déclare-t-il sur tous les sujets.
 
L’argument du droit
Son maître-mot : « le droit ». Il le martèle à chaque phrase, comme la justification suprême. Quand on lui rétorque qu’une loi, comme le droit, ne cesse jamais de changer et d’évoluer, il accuse le coup et finit par répliquer : « Le droit n’a pas à être tordu pour atteindre des objectifs politiques ». Sous-entendu que si l’Exécutif de la CTC s’est engagé dans des réformes en sachant que le gouvernement était contre, c’était, peut-être, pour des mobiles politiciens. Mais, il se reprend vite : « Le président de l’Exécutif a cherché une solution à des problèmes, je dis simplement que les pistes explorées sont hasardeuses. Je suis venu à Ajaccio dire l’état du droit et les impasses auxquelles on se heurte. Je ne cherche à fermer aucune porte, mais à en ouvrir de pertinentes. Je n’aime pas les postures. Je cherche des solutions pragmatiques ». Il prétend vouloir « mobiliser l’enthousiasme sur un chemin où il y a une lumière, une issue, une solution ! Ce qui importe, c’est le résultat, pas la posture ! C’est bâtir un socle solide avec des solutions concrètes et réelles. Faisons tout de suite ce que l’on peut faire ! ».
 
Un dialogue de sourds
Pendant près d’une heure et demi, Bernard Cazeneuve tente de convaincre et de persuader de la justesse et de la pertinence de sa position. Le ministre avance des arguments, les journalistes objectent. Les joutes se multiplient, virant, par moments, au dialogue de sourds. L’incompréhension n’est pas feinte et la distance de ressenti entre Paris et la Corse, bien réelle. Le ministre, quoi qu’il dise, campe sur des positions bien fermées. La presse insulaire a fait le déplacement dans la capitale pour écouter un énième membre du gouvernement leur seriner le même discours, asséner l’éternel « Non ! », expliquer, encore une fois, avec la même fermeté et la même fermeture, qu’aucune des décisions majeures de l’Assemblée de Corse n’était acceptable et ne serait acceptée. Le droit, pour la Corse, est figé dans le marbre ! Lorsque un journaliste appelle à la rescousse les mânes de Michel Rocard, Mitterand, Jospin et Joxe, les dérogations au droit et les statuts particuliers accordés, le ministre socialiste s’en tire par une boutade : « Aujourd’hui, il n’y a plus que la Corse qui est rocardienne ! ». Il avoue in fine : « J’ai souhaité ce diner pour nourrir votre réflexion ». Le souhait ne vaut-il pas dans les deux sens !
 
N.M.