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Hyacinthe Vanni : « La Cour des comptes n’a rien compris au métier des cheminots corses ! »


Nicole Mari le Lundi 28 Mai 2018 à 21:21

Un rapport provisoire de la Chambre régionale des comptes, divulgué le 7 mai, sur la gestion de la société anonyme d’économie mixte locale (SEML) des Chemins de fer de la Corse (CFC) sous la mandature Giacobbi (2010-2015) crée une polémique, notamment sur le statut et les conditions de travail des cheminots. Il pointe, notamment, un sureffectif de 272 cheminots, la faiblesse des heures ouvrées, les montants de salaires, les primes indues, les coûts et la désorganisation des services, l’absence de décompte des voyageurs… et même le soutien inconditionnel de la Collectivité territoriale de Corse. Ces critiques laissent perplexe, voire stupéfient le président des Chemins de fer de la Corse (CFC) et vice-président de l’Assemblée de Corse, Hyacinthe Vanni, qui a pris ses fonctions en 2016 sous la nouvelle mandature, donc après l’époque incriminée. Récusant point par point chaque accusation, il explique, à Corse Net Infos, que le rapport contient des contre-vérités flagrantes et que la juridiction financière n’a rien compris au contexte et aux problématiques du rail corse.



Hyacinthe Vanni, président des Chemins de fer de la Corse (CFC) et vice-président de l’Assemblée de Corse.
Hyacinthe Vanni, président des Chemins de fer de la Corse (CFC) et vice-président de l’Assemblée de Corse.
- Le rapport de la Chambre régionale des comptes fait des vagues. Comment réagissez-vous ?
- D’abord, précisons bien que ce rapport ne concerne pas ma mandature. Je me dois, néanmoins, en tant que président, d’apporter un certain nombre de précisions. Premier point : ce rapport ne nous apprend pas grand chose. Ses 12 recommandations sont d’ores et déjà pratiquement toutes appliquées, certaines ont été mises en œuvre avant mon arrivée. Toutes seront effectives dans le courant de l’année. Deuxième point : même si ce rapport contient quelques vérités, il contient également des contrevérités. Il est à charge et il ignore complètement nos remarques et les évolutions positives qui sont intervenues depuis 4 ans. Certains éléments nous étonnent et nous interpellent, comme par exemple, le flou sur l’année de référence du comparatif. Troisième point : ce rapport ne prend pas en compte le contexte des chemins de fer de la Corse sous l’ancienne mandature et les problématiques du transport de voyageurs dans une île comme la Corse.
 
- Quel contexte ?
- Rappelons qu’en 2011, la DSP (Délégation de service public) avait été déclarée infructueuse, suite à l’offre presqu’indécente de la SNCF, l’exploitant de l’époque, qui demandait 48 millions € de subventions. La présidence de l’époque a du créer la SEML des chemins de fer de la Corse dans un contexte très difficile. Les trains ne fonctionnaient pas. Les AMG 800 étaient à quai. Les CFC n’avaient pas de statut. Il a fallu remettre les trains sur les rails et créer un statut qui, même s’il a besoin d’être toiletté, a le mérite d’exister. Il convient aux personnels, aux partenaires sociaux et à la Collectivité territoriale de Corse qui l’a signé.
 
- Le rapport stigmatise ce que certains ont appelé « les avantages scandaleux » des cheminots corses qui ne travailleraient que 6 heures par jour. Qu’en est-il exactement ?
- Je rappelle que les CFC sont un service public qui fonctionne 7 jours sur 7, samedi, dimanche et jours fériés inclus. Les heures de travail ne sont pas comptabilisées sur une semaine, mais sont annualisées. Une semaine pour un cheminot ne va pas du lundi au vendredi et une journée, ce n’est pas des horaires de bureau 8h-12h/14h-18h. Les plages horaires s’étalent de 5h30 du matin à 22 heures le soir. Il est obligatoire de faire des roulements pour assurer notre mission première de service public. S’y ajoute l’obligation d’appliquer un certain nombre de problématiques et de législations dues au transport de voyageurs. Les chemins de fer de la Corse ne peuvent pas être hors-la-loi !
 
- 26 heures de travail par semaine, n’est-ce pas la moyenne sur l’année ?
- Pas du tout ! 26 heures de travail par semaine, cela n’existe pas au chemin de fer de la Corse ! Je ne sais absolument pas où la Chambre des comptes est allée chercher ce chiffre ! Il y a peut-être des semaines où des cheminots ne travaillent que 26 heures, mais simplement parce qu’ils récupèrent les weekends et les jours fériés où ils ont travaillé. Il y a d’autres semaines où ils travaillent 42 à 43 heures. Si on lisse la moyenne sur l’année, les cheminots travaillent 37 heures par semaine. Je le répète : les heures de travail sont comptabilisées sur l’année et l’amplitude de la plage horaire est très importante. Aucun de ces éléments n’a été pris en compte dans le rapport de la Chambre régionale des comptes !
 
- Pourquoi, selon vous ?
- Je pense que l’auteur du rapport n’a absolument rien compris au métier des cheminots corses et aux contraintes auxquelles ils sont confrontés : des contraintes sur l’amplitude horaire et la sécurité imposées, des conditions de travail et une géographie qui sont propres au rail corse. Quand un train part le matin, il a été vérifié, tous les essais de sécurité ont été effectués. Quand il s’engage sur une voie, les rails ont été vérifiés et contrôlés. Le risque zéro n’existe pas, les accidents n’arrivent pas qu’aux autres. Chaque fois qu’il y a des intempéries, nous sommes inquiets, nous craignons les éboulements ou la chute d’arbre sur la ligne. C’est pour cela que nous concentrons autant de moyens sur la sécurité. Ce travail en amont est fait, chaque jour. Aujourd’hui, il y a 280 cheminots. S’ils ne travaillaient que 26 heures par semaine, il faudrait doubler cet effectif pour assurer le service et la sécurité.
 
- Autre avantage jugé « scandaleux » : le salaire. 2500 € par mois pour un cheminot, c’est bien payé ?
- Un cheminot, qui débute, ne gagne pas 2500 € par mois ! Des cheminots, qui sont là depuis 30 ans, peuvent atteindre un tel salaire, mais il y a rien de choquant à gagner 2500 € quand on a 30 ans d’ancienneté. Il y a des salaires beaucoup plus élevés ailleurs, et tant mieux ! Je ne suis pas partisan de tirer les gens vers le bas, mais de les tirer vers le haut.

- Le rapport met aussi en cause la sécurité et « un dispositif permanent de veille inefficace et coûteux ». Y-a-t-il des défaillances dans la sécurité ?
- Absolument pas ! Le rail a des contraintes de sécurité à respecter. Il est hors de question pour nous de déroger aux règles de sécurité ! Par exemple, les chauffeurs de train ne peuvent conduire que 6 heures d’affilée. Sans avoir d’heures de repos équivalentes aux heures de travail, il n’est pas question qu’on déroge à des normes imposées par la législation sur les transports de voyageurs. Nous suivons le règlement à la lettre et nous sommes d’ailleurs contrôlés par un organisme de contrôle qui n’a jamais rien trouvé à redire. Et nous trouvons étonnant que la Cour des comptes estime avoir la compétence de nous juger en la matière ! Son rôle est de vérifier comment est dépensé l’argent public. Qu’est-ce que vient faire le règlement de sécurité là-dedans ? Nous ne comprenons pas !
 
- Selon le rapport, ce règlement « ne décrit pas l’organisation de l’entreprise » …
-  Mais ce n’est pas son objet ! Nous sommes soumis à un règlement de sécurité qui décrit les procédures de circulation. C’est un arrêté ministériel qui date de 1998 et que nous mettons à jour. Il doit simplement décrire les procédures. Le rapport confond ce document avec le règlement « Sécurité d’exploitation » qui décrit le fonctionnement dans l’entreprise et qui est approuvé par le Préfet. Nous avons dit à la Cour des comptes qu’elle se trompait de règlement, mais elle reste arc-boutée sur cette position ! Elle met même en cause la « pertinence » des audits indépendants que nous demandons tous les 4 ans. Tout cela est très étonnant !
 
- Le rapport vous accuse de ne pas compter les voyageurs. Comment est-ce possible ?
- Bien sûr qu’on compte les voyageurs ! Il y a des contrôleurs dans tous les trains qui contrôlent tous les voyageurs. En Corse, tout le monde se connaît et les contrôleurs savent bien sur une ligne qui sont les abonnés, cela ne les empêche pas d’être sérieux et de faire leur travail. Tout le monde paye son billet. Les chiffres le confirment : les CFC ont doublé leurs recettes. Si on ne contrôlait pas les voyageurs, je ne vois pas comment on pourrait doubler les recettes ! Aujourd’hui, nous transportons 1,2 million de voyageurs et nous réalisons près de 6 millions € de chiffre d’affaires. Je ne vois pas où la Cour des comptes est allée chercher que les Corses ne payaient pas le train !
 
- Dans ce cas, pourquoi dit-elle : « Il ne faut plus faire reposer sur le contrôleur le paiement effectif » ?
- La Cour des comptes veut qu’on applique le système qui existe dans le métro parisien : les gens achètent les billets en gare et les valident sur une machine. Nous n’avons pas attendu ce rapport pour le faire. Un marché en public est déjà en cours pour installer ce système de billetterie sur tous les trains.
 
- Allez-vous suivre les recommandations en matière de comptage ?
- Là encore, nous n’avons pas attendu les recommandations de la Cour des comptes ! Un nouveau processus est en train d’être mis en place par la Collectivité de Corse sur le comptage des voyageurs. Le système sera installé dans chaque train et comptera le nombre de personnes qui rentrent dans le train.

- Autre critique : les CFC ne sont pas rentables. C’est bien le cas !
- Quand on assure un service public, ce n’est pas pour faire des bénéfices ! En 2011, les trains transportaient 600 000 voyageurs par an et ne faisaient même pas 2 millions € de recettes. Aujourd’hui, ils transportent 1,2 million de voyageurs pour un coût ramené à 20 millions € par an. En 4 ans, les recettes ont quasiment triplé. Il n’y a pas beaucoup d’entreprises qui arrivent à tripler leurs recettes en 4 ans ! Notre bonne santé financière est, d’ailleurs, soulignée par le rapport. Cette année, grâce à une gestion très rigoureuse, nous avons rendu 1 million € à la Collectivité de Corse. Nous gérons cette entreprise comme si c’était la nôtre et c’est comme cela que nous continuerons à le faire avec toute l’équipe de direction et les cheminots qui, quand ils parlent des CFC, parlent de leur entreprise. C’est un marqueur fort qui me conforte dans l’idée qu’il faut continuer dans ce sens.
 
- Le rapport vous accuse de « trop provisionner pour gros entretiens sur le matériel roulant » …
- C’est une décision que j’assume ! Et un reproche que je n’accepte pas ! Si on n’avait pas provisionné, comment pourrait-on, aujourd’hui, assurer les gros entretiens sur tous nos trains ? Je vous rappelle que les trains ont, tous, été achetés en même temps et les pannes arrivent, toutes, en même temps. Grâce à ces provisions, nous pouvons assumer financièrement les réparations. Nous continuerons à provisionner et à constituer des réserves. Quand on est à la tête d’une entreprise, il faut anticiper, c’est ce que nous avons fait et ce qui nous permet d’avoir, aujourd’hui, une trésorerie confortable. Je préfère présenter des comptes avec des trésoreries confortables et des montants de provisionnement qui assurent la pérennité de l’entreprise plutôt que de présenter des comptes en déficit et être obligé d’aller taper, encore une fois, à la porte de la maison-mère pour obtenir une rallonge. Cette année, au lieu de demander une rallonge, nous lui avons rendu 1 million €. C’est, pour nous, une fierté !
 
- Toujours sur la maintenance du matériel, le rapport pointe des « dysfonctionnements » dans la passation de marchés publics et recommande plus de rigueur.
- Cette recommandation n’est plus d’actualité ! Elle était déjà engagée quand j’ai pris la présidence des CFC, je l’ai finalisée par le recrutement d’une personne dédiée aux marchés publics, par la création d’une Commission des marchés publics et par la mise en place de mesures conformes en tous points à cette recommandation. Je vous rappelle le contexte des achats en question en 2011 : les trains étaient à l’arrêt, il fallait les faire rouler. Je signale aussi que, pour un certain nombre de pièces, il n’existe qu’un seul fournisseur. Aujourd’hui, tout est rentré dans l’ordre. Tous les achats sont effectués dans le cadre de marchés publics.
 
- Au final, malgré un rapport très critique, la Cour des comptes ne vous fait qu’un seul rappel à la réglementation. N’est-ce pas bon signe ?
- Oui ! Un seul ! Et quel rappel ! Après un tel rapport à charge, qu’il y-a-t-il d’urgent à faire selon elle ? « La SEM doit immédiatement mettre en œuvre l’obligation de double signature du président de séance et d’un administrateur conformément à l’article…. ». Qu’elle se rassure, nous l’avons fait immédiatement ! Les procès-verbaux sont signés par deux administrateurs. Quand on arrive à un rappel à la réglementation de cette importance, c’est qu’on n’a rien d’autre à dire ! Je m’en réjouis ! Pour le reste, nous comptons bien continuer sur notre voie. Les CFC sont une entreprise très jeune qu’il faut développer. Nous voulons en faire un outil de développement au service de la Corse avec des projets en cours, comme le prolongement de la ligne de chemin en Plaine Orientale, la généralisation de la CCVU (Commande centralisée pour voie unique), l’achat de nouveaux matériels roulants, la mise en place du train-tram…
 
Propos recueillis par Nicole MARI.