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Assassinat d’Yvan Colonna : « Le statut de DPS n’est pas un statut normal, on doit un jour en sortir »


Nicole Mari le Mercredi 22 Mars 2023 à 21:23

Poursuite des auditions à l’Assemblée nationale sur l’assassinat d’Yvan Colonna par un détenu islamiste radicalisé, Frank Elong Abe, le 2 mars 2022, à la maison centrale d’Arles. La Commission d’enquête parlementaire a entendu, ce mercredi, Dominique Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté, et Christine-Dominique Bataillard, médecin psychiatre et chef de pôle des unités pour malades difficiles en milieu pénitentiaire, notamment à la centrale d’Arles. Pas de révélation sur l’agresseur d’Yvan Colonna, mais un tableau sombre de l’état humanitaire et de dangerosité des prisons françaises et la confirmation qu’un trouble psychiatrique n’est pas compatible avec un maintien en détention.



Le rapporteur de la Commission d’enquête, le député Horizons de la 1ère circonscription de Corse du Sud, Laurent Marcangeli, et le le président de la Commission d’enquête parlementaire, le député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute Corse, Jean Félix Acquaviva.
Le rapporteur de la Commission d’enquête, le député Horizons de la 1ère circonscription de Corse du Sud, Laurent Marcangeli, et le le président de la Commission d’enquête parlementaire, le député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute Corse, Jean Félix Acquaviva.
C’est un témoignage très fort qu’a livré Dominique Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté, lors de son audition, mercredi en début d’après-midi, par la Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna par un détenu islamiste radicalisé Frank Elong Abe. Chargée de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des détenus, elle s’assure du respect de leurs droits fondamentaux et de la dignité inhérente à la personne humaine. « Votre audition sera précieuse, car elle nous permettra d’évoquer l’état des prisons françaises, la manière dont sont prises en charge les personnes détenues, la prévalence de la violence au sein des établissements ou la concentration dans un même milieu de personnes au profil très hétérogène et parfois complexe, ce qui est le cas dans cette affaire, avec des condamnés pour terrorisme islamique, des détenus radicalisés ou présentant des troubles du comportement. Jugez-vous que l’intégrité physique des détenus est assurée au sein des prisons et quel regard portez-vous sur les quartiers spécifiques mis en place pour gérer certains profils, notamment les Quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) ? Quelle est votre position sur la possibilité de classer en service général des détenus comportant un degré de dangerosité, porteur de risques pour les personnels et les codétenus ? », pose d’emblée le président de la Commission d’enquête parlementaire, le député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute Corse, Jean Félix Acquaviva. Avant d’enchainer sur le cas spécifique d’Yvan Colonna : « Pensez-vous que sa détention était gérée de manière à assurer le respect des droits fondamentaux de sa dignité ? On pense évidemment aux obstacles mis au rapprochement familial, malgré un parcours carcéral et un comportement unanimement considéré comme correct, voire exemplaire ? ».
 
Une analyse biaisée
Si Dominique Simonnot n’a guère pu éclairer ce qui s’est passé le matin du 2 mars 2022 à la centrale d’Arles, elle a, d’une voix empreinte d’émotion, décrit un univers carcéral qui dépasse les limites du supportable. Se félicitant qu’une Commission d’enquête se penche « sur les dysfonctionnements et comment un détenu peut en arriver à en tuer un autre, personne ne devrait mourir en prison », elle indique qu’il y a 250 morts par an dans les prisons françaises et un peu plus de 120 suicides. « Je ne peux pas me prononcer sur le cas particulier d’Yvan Colonna qui est, on le sait tous, un sujet éminemment politique. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le contrôle général est parfaitement favorable au rapprochement familial dans tous les cas. Concernant le statut de travailleur de l’auteur et de la victime, on prône qu’aucun détenu n’en soit exclu ». Elle s’avoue terriblement gênée : « Ce qui est horrible dans cette histoire, c’est de tout revisiter par rapport à ce qui s’est passé. Pour nous, la vie de dedans doit se rapprocher le plus de la vie de dehors pour, un jour, favoriser la sortie. C’est dramatique de dire ça aujourd’hui parce que de sortie, il n’y en aura pas pour personne maintenant ! ». Elle rappelle que le Conseil d’État, à la demande de l’Observatoire national des prisons, s’était battu pour que le statut de DPS (Détenu particulièrement signalé) ne fasse pas obstacle au statut de travailleur. « C’est une bonne chose ! Le statut de DPS n’est pas un statut normal, on doit un jour en sortir ». Et d’ajouter sur le cas d’Yvan Colonna : « Nombre de décisions en prison ne sont susceptibles d’aucun recours, or il est beaucoup plus sain qu’un œil extérieur se penche sur des situations. Il faudrait inviter les magistrats à venir en prison se rendre compte eux-mêmes de ce qu’est une détention ».

Dominique Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Dominique Simonnot, contrôleur général des lieux de privation de liberté.
La prévalence de l’ultra-sécurité
Concernant le parcours de Franck Elong Abe, Dominique Simonnot précise : « Il était à l’isolement, puis au Quartier spécial d’intégration (QSI) qui est en fait un quartier d’isolement bis où on n'est absolument pas préparé à la sortie, ni à intégrer une détention normale parce que la sécurité déprime trop. Cela me déchire un peu de dire ça maintenant parce qu’on sait ce qui s’est passé, mais c’est quand même vrai. Tous les gens du DPS et du QSI ne tuent pas des détenus ». Elle fustige la prévalence permanente de l’ultra-sécurité : « le fait que dans ce quartier et dans les nouvelles prisons, tout soit fait pour que les détenus se croisent le moins possible, pour que les surveillants et les détenus aient le moins d’interaction. Condé-sur-Sarthe est l’exemple suprême de ces nouvelles prisons dans le cahier des charges est fait pour les déshumaniser totalement. Les surveillants et les directeurs de prison me disent tous que ce genre d’endroit est effrayant à gérer. Nous pensons que c’est extrêmement défavorable à un retour progressif à une vie normale, même en détention ». Interrogée par le président Acquaviva sur le non-transfèrement en QER de Franck Elong Abe, elle soutient que son organisme n’est pas favorable à ce type de quartiers qui « portent en eux tant de difficultés et qui ramassent des détenus à profil compliqué avec l’incapacité de les gérer. Les quartiers ultra-sécuritaires ne les préparent pas à en sortir autrement qu’un peu plus abîmés que quand on y est rentré. Fallait-il le transférer ailleurs, fallait-il le soigner ? C’est une autre question qui se pose ».
 
Un milieu violent
Le rapporteur de la Commission d’enquête, le député Horizons de la 1ère circonscription de Corse du Sud, Laurent Marcangeli l’interpelle sur l’intégrité des détenus et la prise en charge des maladies mentales en détention. « Y-a-t-il des facteurs susceptibles de provoquer des violences en milieu carcéral ? ». Dominique Simonnot l’affirme : « En maison d’arrêt, la protection physique est très mal assurée. En centrale également. La drogue circule. Quand j’entends un juge dire à un prévenu : en prison, vous serez sevré ! C’est faux ! Il y a les nouveaux métiers de la drogue. Les lanceurs, qui lancent les projectiles pour qu’ils arrivent en prison, les ramasseurs qui sont souvent contraints par les caïds de garder les projections dans leur cellule et d’encaisser les punitions à leur place. C’est scandaleux ! La détention est un lieu où l’on a peur, l’intégrité corporelle n’est pas assurée, la protection physique non plus ». Elle raconte les punaises, les cafards, décrit des conditions sanitaires terribles : « J’ai un peu de colère en moi ! Chaque visite que l’on fait en prison est l’occasion de voir de nouvelles horreurs (…) Le prix du téléphone en prison est littéralement aberrant. On est en train d’enquêter là-dessus ». A la député NUPES de Loire-Atlantique, Ségolène Amiot, qui revient sur la prise en charge de la radicalité en prison, elle répond gênée : « Etre affecté en QER emporte avec soi un statut très particulier de grande dangerosité, ces statuts spéciaux s’attachent à cette personne. J’ai bien conscience qu’avec cette histoire, beaucoup de choses tombent à plat ».
 
Asile ou prison ?
Dominique Simonnot pointe également la problématique de l’abolition du discernement que la justice ne reconnait plus : « Il y a toute une école psychiatrique qui dit que la personne souffrant de troubles psychiatriques doit être confrontée à ses actes devant la justice. L’abolition du discernement se fait au profit d’une altération du discernement qui fait tellement peur qu’elle ne vaut plus excuse, mais aggravation de la peine. Tout cela fait que nos prisons sont peuplées de plus de 30 % de personnes souffrant de troubles psychiques graves. La prison joue le rôle des asiles d’antan, cela rend la cohabitation invivable. On ne peut pas s’en satisfaire ». Elle dévoile que 67% des détenus souffrent de troubles et d’addiction. « Un maximum de détenus ont subi des abus. On demande à la prison de réparer ce que personne n’a pu réparer avant. Plus on monte d’un cran dans la sécurité, plus les risques de violence augmentent, plus les tentatives de déjouer la sécurité sont inventives et dangereuses. Il faut faire attention à cette escalade et il faut que les surveillants – qui ne sont pas des infirmiers psychiatriques – apprennent les techniques de désescalade ». Elle espère que la mort d’Yvan Colonna permettra « de se pencher sur ce problème sérieusement, sans quoi on aura beaucoup d’autres morts de ce genre. Je fonde beaucoup d'espoir sur cette Commission d’enquête ».

Christine-Dominique Bataillard, médecin psychiatre.
Christine-Dominique Bataillard, médecin psychiatre.
Des troubles psychiatriques
La deuxième audition n’apportera aucun élément nouveau sur le drame du 2 mars, juste une clarification générale sur la santé mentale en détention. Christine-Dominique Bataillard, médecin psychiatre, praticien hospitalier et chef de pôle des unités pour malades difficiles de l’hôpital de Montfavet en Avignon et des unités en milieu pénitentiaire de la maison centrale d’Arles, du centre de détention de Tarascon et du centre pénitentiaire du Pontet, est tenue par le secret professionnel. Responsable depuis juin 2013 de l’unité psychiatrique de la centrale d’Arles, elle ne dira donc rien sur Franck Elong Abe. « Yvan Colonna a été agressé par un codétenu, qui, au-delà de la dangerosité dont témoignait son profil carcéral, présentait manifestement des troubles du comportement », tente néanmoins Jean-Félix Acquaviva. Christine-Dominique Bataillard botte en touche sur des généralités : « Les troubles psychiatriques observés en milieu carcéral sont les mêmes que ceux observés dans la population générale, mais exacerbés ». Elle cite une étude effectuée sur la population masculine des maisons d’arrêt qui montre une très forte proportion de troubles psychiatriques, « de l’ordre de 60 % sur la population sortante avec une grande prévalence du trouble addictif. La proportion de troubles psychotiques est de l’ordre de 11 % contre 3% dans la population générale. Il y a donc quatre fois plus de personnes qui présentent des troubles psychotiques, donc susceptibles d’avoir des comportements violents. Ces troubles se manifestent par des troubles relationnels plus ou moins importants et variables en fonction de l’environnement et de l’état de stress de la personne. Prédominent des troubles du comportement avec imprévisibilité, perception erronée, sentiment de persécution pouvant conduire à des passages à l’acte. Le plus souvent, ces personnes ne se sentent pas malades ».
 
Un cercle infernal
Tout en rappelant le principe de l’accès libre aux soins : « Vient nous voir qui veut ! », le Dr Bataillard estime que la vie carcérale ne permet que partiellement leur organisation. « On ne soigne pas bien en prison. Les ruptures de traitement sont extrêmement fréquentes, non seulement du fait du déni de la maladie, mais aussi de la difficulté d’accès aux soins. Le refus de soin est estimé à 10%. Arrêt du traitement, reprise de la symptomatologie et parfois passage à l’acte : c’est un cercle infernal qui ne permet, ni un projet de sortie, ni d’aménagement de peine, mais qui se solde au contraire par une aggravation de la peine. La prise en charge consiste à attendre une sortie qui s’éloigne au fil des rechutes avec une aggravation de l’expression de la pathologie ». Le président Acquaviva insiste sur le drame d’Arles, la personnalité de l’agresseur, son comportement et sa possible schizophrénie. « La schizophrénie, ce sont des gens qui ont des troubles du comportement psychiatrique avec une imprévisibilité et une possibilité de passage à l’acte sans qu’on en comprenne vraiment le sens, c’est souvent sur un mode de persécution… Il y a dix fois plus de schizophrènes en prison que dans la population générale », réplique-t-elle. Avant d’expliquer très ennuyée : « Un de nos principes est le secret, alors même si je participe à la Commission Prévention-suicide, à aucun moment, on ne fait état de la santé des personnes. On ne fait jamais cas des soins à l’administration pénitentiaire. De même, nous ne participerons pas du tout aux décisions de transfert ou pas vers les QER. On ne nous questionne pas, de toute façon nous ne répondrions pas. Notre seule réponse, quand on pense que quelqu’un a des troubles psychiatriques avec risque de violence, c’est l’hospitalisation. Quelqu’un qui a un trouble, c’est quelqu’un qui n’est pas compatible avec le maintien en détention, soit parce qu’il risque de se mettre en danger, soit parce qu’il va mettre en danger les autres ». Une clarification que Jean Félix Acquaviva qualifie de « très importante dans l’affaire qui nous occupe ».
 
Pas de structure
A Laurent Marcangeli qui lui demande si le système carcéral est conçu pour faire face aux détenus atteints de troubles mentaux, elle estime que le problème n’est pas là. « Si les personnes sont en prison, c’est qu’elles ont commis des actes. Le premier problème est celui des experts, les experts français irresponsabilisent très peu les personnes. Le second est au niveau de la psychiatrie. Il y a des personnes qui ont de tels troubles qu’elles ont besoin d’être accompagnées pendant très longtemps. En psychiatrie, il n’y a plus de structure en aval pour recevoir des gens qui ont des difficultés à vivre en société. Ces personnes, quand elles vont sortir de prison, on ne sait pas où les mettre parce qu’il n’y a pas de lieu ». Le député ajaccien interroge ensuite : « Est-ce souvent arrivé que des détenus suivis se rendent coupables d’actes d’une telle gravité ? » faisant allusion au drame d’Arles. « Souvent non, heureusement ! », affirme-t-elle. « Il y a beaucoup de violence entre détenus. Nous avons des patients qui peuvent passer à l’acte. On dit souvent que les patients schizophrènes ou psychotiques sont très vulnérables, ils sont plus souvent victimes qu’agresseurs. C’est vrai qu’à la maison centrale d’Arles, un patient a commis un acte aussi grave sur un codétenu. Oui ça arrive, mais la médiatisation est moins importante ».

Effacement de données : « Aucune preuve », selon le PNAT

La Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna par un détenu islamiste radicalisé, Frank Elong Abe, le 2 mars 2022, à la maison centrale d’Arles.
La Commission d’enquête parlementaire sur l’assassinat d’Yvan Colonna par un détenu islamiste radicalisé, Frank Elong Abe, le 2 mars 2022, à la maison centrale d’Arles.
En fin d’après-midi, selon une information de France Info, le Parquet national antiterroriste aurait démenti l’effacement d’un signalement d’une surveillante de prison sur un logiciel réservé à l’administration pénitentiaire. « Il n’y a aucune preuve que des données sensibles quant à l’agression d’Yvan Colonna au sein de la centrale d’Arles le 2 mars 2022 ont été effacées ». Il répond ainsi à une information révélée par Jean-Félix  Acquaviva le 15 mars dernier  : « Deux observations inquiétantes la veille de l'agression, qui n'apparaissent pas dans les données transmises par l'administration pénitentiaire (…) Une agente de l’administration pénitentiaire a rapporté une conversation entre trois détenus, dont Elong Abe, et une phrase qui a été prononcée : « Je vais le tuer » sans que l’on sache si c’est Elong Abe qui l’a effectivement prononcée. Une autre observation a été faite le même jour par la même personne sur le fait qu’Elong Abe vidait sa cellule et changeait de comportement », affirmait le député corse dans nos colonnes. Avant de conclure : « Cela veut dire qu’on a voulu dissimuler quelque chose qui ne corrobore pas avec la thèse officielle. C’est un élément grave et important ! De surcroît, il y a des doutes à ce stade sur la possibilité que des données aient pu être effacées dans le logiciel ».
 
N.M.