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Laurent Magnin pd-g de XL Airways : « Le low cost est le meilleur outil touristique»


Nicole Mari le Mercredi 1 Mai 2013 à 23:13

Le développement des compagnies aériennes low cost est sujet à controverse en Corse. L’une d’elles, XL Airways, à la fois compagnie aérienne et Tour operator, dispose de trois lignes régulières estivales au départ de Paris vers Figari, Ajaccio et désormais Bastia, de plusieurs vols affrétés au départ de métropoles nationales et de vols charters sur Oslo. Son PDG, Laurent Magnin, qui a travaillé plus de 20 ans chez Corsair et connaît très bien l’île, considère le modèle low cost comme le meilleur outil touristique actuel. Il livre, à Corse Net Infos, sa vision du développement du tourisme corse et ses répercussions en termes d’emplois et d’aménagement du territoire.



Laurent Magnin, PDG d'XL Airways, compagnie aérienne française low cost et Tour operator
Laurent Magnin, PDG d'XL Airways, compagnie aérienne française low cost et Tour operator
- Après une ligne sur Figari en 2008 et Ajaccio en 2010, vous avez ouvert une 3ème ligne sur Bastia. Pourquoi ?
- Parce que c’est logique. Les trois points sont complémentaires. Le développement, qui nous importe, est à la fois low cost et touristique puisque XL est un groupe touristique. La quadrature du cercle du tourisme et du low cost va, aujourd’hui, complètement de pair. Le low cost est, certainement, le meilleur outil touristique actuel en termes de développement.
 
- Mais, uniquement sur la période estivale ?
- Pour répondre à la pointe de saisonnalité. Le transport en Corse présente deux aspects. Le flux de la communauté corse, qui vit sur l’île ou sur le continent, a besoin d’un transport à l’année. L’hiver, le plan de vol d’Air Corsica répond complètement à cette demande qui est divisée par 3 ou 4 par rapport à l’été. Il est, pour l’instant, inconcevable de faire concurrence, pendant cette période, à des lignes subventionnées. Ça n’aurait aucun sens ! Ce sont deux métiers différents d’assurer un transport à l’année ou de répondre, l’été, à l’énormité du flux touristique. Plus on répond à ce flux, plus on contribue à faire fonctionner l’économie.
 
- L’Agence du tourisme corse travaille sur l’allongement de la saison touristique à l’année. Y croyez-vous ?
- Le flux des touristes dépend de la météo. Pas seulement en Corse. Les énormes unités touristiques du Nord de l’Europe ou du Nord de la Méditerranée ferment pendant l’hiver parce que les gens refusent d’aller passer des vacances dans des pays où il fait 10°C ou 15°C. C’est le cas d’une partie de la Grèce et de l’Italie où le tourisme s’effondre complètement, exactement comme en Corse, et où le plan transport est divisé par deux, l’hiver. Même avec des vols à 1€ l’hiver, les touristes ne viendront pas. Ces vols à 1€ ne transporteront que les gens qui voyagent déjà.
 
- Vous affréterez, cet été, des vols charter sur Oslo. Est-ce une volonté de développer un tourisme européen ?
- Oui. C’est même le retour d’un tourisme européen sur la Corse. Dans les années 80, celui-ci était très fort avec des vols venant d’Allemagne, de Belgique, etc. L’Europe est une possibilité très importante de développement du tourisme dans une île comme la Corse qui possède de fortes spécificités. Le fait de ne pas avoir eu, pendant 30 ans, un développement touristique massif a permis à la Corse d’incroyablement préserver son intégrité et son image. C’est sa force et sa richesse par rapport à des tas de destinations européennes ou méditerranéennes qui ont été très abîmées par le tourisme.
 
- Quel type de développement peut-on en attendre ?
- Je crois beaucoup à une possibilité de développement d’un tourisme corse particulier par rapport au reste du bassin méditerranéen. Cette forme d’intégrité physique et culturelle correspond tout à fait au tourisme actuel où les gens ne veulent plus se retrouver dans des usines à touristes. Aujourd’hui, on sait construire des hôtels qui abîment dix fois moins le paysage que les constructions des années 80 qui, faites de manière totalement désordonnées, ont massacré certaines îles de la Méditerranée. La Corse dispose encore d’espaces lui permettant de construire ce type d’unités hôtelières et, ainsi, de développer l’emploi.
 
- Le low cost est générateur d’un tourisme de masse. N’est-ce pas en contradiction avec le développement que vous prônez ?
- Non. Le tourisme de masse ne peut pas toucher la Corse qui n’a, tout simplement, pas la capacité hôtelière pour l’accueillir ! Les gens ne vont pas dormir dans les champs ou dans les montagnes ! Il faut arrêter de rêver. On n’est plus dans les années 70 où les Corses redoutaient l’invasion du camping sauvage. Aujourd’hui, même à 20 ans, même dans un camping, les gens veulent du confort. Le touriste, qui réserve une destination sur Internet, a besoin d’un logement. Le développement du tourisme corse est fonction du développement de la capacité hôtelière. En pensant ce développement de manière intelligente et maîtrisée, on apportera des solutions qui ne seront pas en contradiction avec le fait de conserver une forme d’intégrité à l’île.
 
- Le low cost change le comportement du touriste. A quoi faut-il s’attendre en Corse ?
- Pendant des années, le prix du transport était tellement cher sur la Corse qu’on dépensait plus d’argent pour un vol d’1h30 que pour 8 jours dans un hôtel ! Ce concept-là est obsolète. Aujourd’hui, l’obsession d’un consommateur est de trouver, avec le peu de moyens qu’il a, le meilleur logement possible. S’il fait de grandes économies sur l’aérien, il va réinvestir cet argent dans une amélioration de son logement. La tendance du tourisme mondial n’est pas, du tout, le développement des hôtels 2 ou 3 étoiles, mais, au contraire, le développement massif de l’hôtellerie 4 ou 5 étoiles parce que la baisse du prix du transport aérien permet d’accéder à de meilleurs hôtels.
 
- La structure hôtelière corse est-elle, selon vous, adaptée à ce nouveau mode de comportement ?
- Elle a fait de gros progrès. Des initiatives, ces dix dernières années, prouvent que la Corse est capable de faire de l’hôtellerie de qualité. Un certain nombre d’unités ont des standards tout à fait respectables. Mais, il faut des initiatives supplémentaires pour élargir l’offre tout en étant respectueux de l’intégrité du paysage qui fait la valeur de l’île. La Corse doit rester dans cette vision d’une hôtellerie qui s’intègre parfaitement dans le paysage et qui peut se développer sans toucher à son image. Elle a, en plus, dans le contexte actuel, une carte de sécurité sanitaire et géopolitique à jouer.
 
- De quoi s’agit-il exactement ?
- Beaucoup d’Européens sont inquiets de la situation mondiale et des déstabilisations politiques qui, ces dernières années, ont touché des destinations fantastiques. Malheureusement, ces pays ne sont pas à l’abri de nouveaux soubresauts. Les Européens, qui partent en vacances, notamment ceux qui partent en famille, vont se détourner de pays qui vivent une révolution ou un changement sociétal. Dans ce contexte, les valeurs de référence touristiques redeviennent des endroits qui ne sont pas dans cette problématique. Toute l’Europe du Nord et toutes les îles européennes de la Méditerranée, notamment la Corse et la Sardaigne qui connaît depuis 5 ans un formidable développement touristique, bénéficient de ce retour un peu frileux. Il faut être pragmatique et profiter de cette frilosité pour faire une offre touristique qui tient la route.
 
- Si le modèle low cost est, comme vous dites, un incroyable vecteur touristique, comment expliquez-vous qu’il soit si critiqué ?
- On peut le critiquer, mais partout en Europe où se sont ouverts de grands vecteurs de compagnies low cost, le développement touristique a été important. Une grande partie des compagnies mondiales ne vit pas avec l’argent du public, mais avec l’argent des entreprises. La majorité des gens, qui payent un vol, le fait pour des raisons professionnelles. Or, depuis 15 ans, les compagnies low cost ont fait fortement baisser le prix des billets pour des gens qui se déplacent pour des raisons personnelles. Une économie de 100 à 200 € sur leur argent propre les touche de très près. Après, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, un prix bien moins cher et le même service ! En multipliant les déplacements personnels, les compagnies low cost ont, considérablement, renforcé les liens entre les peuples européens.
 
- C’est-à-dire ?
- Une grande partie de la jeunesse européenne n’a pas volé sur les compagnies classiques qui existent depuis 5O ans. Elle a découvert l’Europe à travers les compagnies low cost parce qu’elle n’avait pas les moyens de le faire autrement. Sans les compagnies low cost, pensez-vous que les jeunes Français auraient pu découvrir la Tchéquie, l’Italie, le Nord de l’Europe, l’Angleterre, l’Espagne… ! En même temps, le développement du low cost est vecteur d’emplois et d’aménagement du territoire.
 
- De quelle manière ?
- Par le développement du flux transports entre les points. Les gens, qui veulent acheter ou louer des maisons à certains endroits ou dans un autre pays d’Europe, ne le feront pas si le coût du transport est cher. Ils le feront si la baisse du coût de transport leur permet d’y aller plusieurs fois dans l’année. Sur certaines lignes européennes, le prix du billet moyen est passé de 1000 € à 200 €. A 1000 € ou à 500 € le billet, personne ne se déplacera. A 200 €, on se déplace plusieurs fois. Quelqu’un, qui possède une maison en Corse, va, parce que le prix du transport a baissé, venir non pas 3 weekends, mais 10 weekends par an. Quand il vient, il dépense de l’argent, fait travailler les commerces… En baissant le prix du transport, on crée une dynamique de transport qui génère plus de mouvements économiques à l’échelon général, qui rend l’hôtellerie moyenne et haut de gamme plus accessible, etc. Tous les mécanismes s’enchaînent. Le low cost a été une réponse au développement européen.

 
Propos recueillis par Nicole MARI