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Nanette Maupertuis : « On ne peut pas supprimer les paillotes, on ne peut pas non plus cautionner n’importe quoi ! »


Nicole Mari le Samedi 8 Septembre 2018 à 20:21

Plus de touristes, mais un été en demi-teinte. Le premier bilan de la saison touristique 2018 confirme la tendance amorcée les deux années précédentes avec une hausse de la fréquentation, un étalement de la saison, mais moins d’argent dépensé sur place. Résultat : des sites sur-fréquentés, une touristophobie naissante et des professionnels insatisfaits et courroucés par le problème brûlant des paillotes. Pour Nanette Maupertuis, conseillère exécutive de la Collectivité de Corse et présidente de l’Agence du tourisme (ATC), il est urgent de tirer les leçons de cet été et d’améliorer la gestion des flux. Elle explique, à Corse Net Infos, qu’un développement touristique harmonieux est bloqué par des lois qui ne sont pas du tout adaptées à la fréquentation et à l’offre touristique de la Corse. Le seul moyen actuel est de concrétiser la feuille de route du tourisme durable qu’elle a élaborée et qui a été validée à l’unanimité par l’Assemblée de Corse en avril dernier.



Marie-Antoinette Maupertuis, conseillère exécutive de la Collectivité de Corse et présidente de l’Agence du tourisme (ATC).
Marie-Antoinette Maupertuis, conseillère exécutive de la Collectivité de Corse et présidente de l’Agence du tourisme (ATC).
- Les professionnels du tourisme sont moroses. Pouvez-vous dresser un bilan de la saison ?
- Plutôt un pré-bilan, il reste l’après-saison et les analyses sur l’hébergement sont en cours. En terme quantitatif global et sur la base des statistiques de transport, la fréquentation touristique a augmenté de 6% en Corse. La tendance, amorcée en 2016 et 2017, se confirme : le tourisme est en croissance et retrouve les niveaux de fréquentation d’il y a dix ans. Pour la première fois, cette année, l’avion a dépassé le bateau. Ce qui a un impact : les touristes venus en avion louent des voitures et consomment différemment. Une analyse plus fine montre que la saison est en demi-teinte à cause d’une fréquentation inégale selon les mois, les microrégions, les types d’activités et les hébergements. Nous avons réussi à rallonger la saison avec plus de monde dès le mois de mars, et, donc, à diminuer la pression sur le pic du mois d’août. Les professionnels du transport ont joué le jeu de la désaisonnalisation, ce qui a donné une bonne avant-saison, malgré la grève de la SNCF. Par contre, la fréquentation a été en berne la première quinzaine de juillet et stable en août.
 
- Quelles en sont les raisons ?
- Plusieurs facteurs complètement exogènes ont joué. En juillet, la Coupe du monde de football et les grèves dans les transports sur le continent qui courraient depuis avril ont généré des anticipations négatives et des reports sur le mois de septembre. En août, le mauvais temps, en particulier dans l’intérieur, a fait que certaines microrégions ont plus souffert que d’autres. Le Centre Corse, par exemple, a accusé une baisse de fréquentation tant dans les hébergements que dans les activités de montagne. Le littoral et les activités nautiques restent les grands gagnants de cette saison.

- Les campagnes de promotion, que vous avez menées ces derniers mois, ont-elles porté leurs fruits ?
- Oui ! Nous avons lancé un plan marketing sur trois ans. Les études et les campagnes sur les marchés historiques de la Corse, notamment la Belgique et l’Italie, semblent avoir payé. Beaucoup d’Italiens sont arrivés la dernière quinzaine d’août. Notre prospection sur la clientèle britannique, initiée l’an passé, doit être affinée. Cette année, nous travaillons les marchés nordiques où le pouvoir d’achat est plus élevé. Car si la Corse reçoit du monde, la dépense par touriste reste insuffisante. L’enquête aux frontières, que nous avons réalisée, montre qu’en 2017, 40 % des touristes n’ont pas effectué une seule activité payante pendant toute la durée de leur séjour en Corse. C’est à mon sens un vrai sujet !
 
- Pourquoi ? Est-ce une question de pouvoir d’achat ?
C’est très paradoxal. La Corse est identifiée comme une destination nature où l’on se balade et où on « consomme » du paysage à titre gracieux. En même temps, les touristes ont le sentiment de payer tout trop cher. Mais, c’est aussi une question d’offre. Que propose-t-on aux touristes ? Outre que le para-commercialisme est un problème criant, l’offre est pléthorique en matière d’hébergement et de restauration. Cette saison, bonne quantitativement et à parfaire qualitativement, confirme qu’il est urgent de traduire en faits la feuille de route du tourisme durable qui a été validée par l’Assemblée de Corse en avril dernier. Elle mise sur un tourisme de qualité, pas sur un tourisme de masse, à la fois cause et conséquence d’une économie informelle. Faire venir du monde, c’est bien, mais nous atteignons notre capacité de charge avec 400 000 personnes en plus en Corse au 13 août. On n’ira pas plus loin ! Le territoire et la population ne sont pas en capacité d’absorber un flux plus important. Il faut, donc, tout à la fois, améliorer la gestion des flux sur certains sites, juguler les effets pervers et tirer la leçon de cet été.
 
- C’est-à-dire ?
- Quand il fait mauvais, les gens n’ont rien à faire. D’où la nécessité de mettre au point des produits et des évènements touristiques pour les occuper et leur donner l’opportunité de dépenser de l’argent. Cela permet, à la fois, de créer de l’activité culturelle et économique et de canaliser les flux qui sont concentrés sur des lieux précis. L’ATC travaille sur des contenus patrimoniaux et culturels, des opérations de tourisme de bien-être, des activités de pleine nature, mais aussi sur du tourisme d’affaire qui a bien dopé l’avant-saison et promet une belle après-saison. C’est un travail de professionnels qui ne s’improvise pas et exige une véritable coordination des différentes parties prenantes. Mais cela ne suffira pas. La croissance touristique pèse en matière environnementale et économique, elle génère des contraintes et des coûts. Le système actuel ne nous permet pas de maîtriser sa trajectoire, donc on la subit. D’où le mécontentement. Nous avons absolument besoin de moyens règlementaires et législatifs pour promouvoir un tourisme vertueux.

- Ces moyens, comme la taxe sur les camping-cars, se sont heurtés au veto du gouvernement. Ne craignez-vous pas les blocages ?
- Oui ! C’est évident que, sur certains aspects, nous sommes bloqués par des textes nationaux qui ne sont pas du tout adaptés à la nature de la fréquentation et de l’offre touristique de l’île. Exemple : la fermeture des restaurants de plage à la fin septembre. Ma demande d’adaptation du Décret « Plage » pour dépasser cette date n’a pas été acceptée par le gouvernement alors même qu’il y a encore du monde jusqu’à la Toussaint. Ma demande d’écotaxe pour mieux gérer les flux des camping-cars a été rejetée. Aucune suite n’a été donnée à nos demandes en faveur de la compétitivité des entreprises touristiques corses, notamment un taux particulier de TVA sur certains produits et services tel qu’il s’applique dans les DOM-TOM. La taxe sur les mouillages – nombreux sur les rivages corses – a été refusée. Tout comme la simplification des procédures et la compétence en matière de labellisation des stations de tourisme. Il faut absolument réguler le para-commercialisme. Il nuit aux professionnels de l’hébergement, de la restauration mais aussi de la location de véhicules, de bateaux… qui, eux, payent des taxes, font des investissements et créent des emplois. De plus, trop souvent le paracommercialisme emprunte aux mécanismes spéculatifs.
 
- Créer un contenu patrimonial est une priorité de votre feuille de route. Pourtant, depuis deux ans, rien ne bouge vraiment sur les territoires ?
- Non ! Nous avons, il y a deux ans, inscrit au régime des aides le soutien aux activités innovantes. Nous avons soutenu plusieurs initiatives dans les territoires du littoral et de l’intérieur concernant la valorisation du patrimoine naturel et culturel, des activités de pleine nature, mais aussi autour du tourisme d’affaire. Par exemple l’écomusée de Bucugnà, le projet SmartLAMA, des parcours découvertes au sein de la CAPA, la foire du tourisme rural ou des évènements comme les Médiévales de Livia qui se tiennent actuellement. La production touristique exige une coordination très forte entre l’ATC, qui conduit la politique territoriale en matière de tourisme, et les opérateurs, à savoir les communes et les intercommunalités qui, depuis la loi NOTRe, ont la compétence tourisme. Nous avons engagé des discussions qui se poursuivront cet automne. L’idée est d’aboutir à une cohérence en matière d’offre de produits et de contenus, mais aussi de promotion, entre les feuilles de route de chaque territoire et celle de l’ATC. Cela dit, nous ne sommes pas dans une économie centralisée : il ne faut pas oublier que l’activité touristique est menée à 80 % par des opérateurs privés qui mènent comme ils l’entendent leurs entreprises. L’ATC a donné un vrai cap avec cette feuille de route et nous accompagnerons ceux qui s’y inscriront.

Photo M.L.
Photo M.L.
- La sur-fréquentation de certains sites commence à générer une touristophobie. Comment gérer ces flux ?
- La gestion de l’hyper-fréquentation de sites, - qu’on appelle Hot Spots – est, pour nous, une priorité inscrite sur la feuille de route du tourisme durable, mais elle relève de plusieurs acteurs. Là encore, il faut innover. Nous soutenons la démarche de l’Université de Corse qui observe à titre expérimental la mobilité des touristes, notamment via leur téléphone portable. Avec l’OEC, nous travaillons sur des sites hyper fréquentés en montagne et sur le littoral. Mais, avant de créer des dispositifs ou d’en importer, il faut être en mesure de définir les fréquentations et les capacités de charge d’un site touristique. Dans un musée, c’est facile. Sur un espace naturel, c’est plus compliqué, mais faisable. Le problème est que le tourisme est hyper-concentré sur certains lieux pendant quelques jours, mais aussi très diffus. Sans police environnementale et compte tenu de notre configuration géographique, c’est assez compliqué de gérer ces flux.
 
- Faut-il, comme le demandent certains et à l’exemple d’autres régions, instaurer des quotas et fermer l’accès à certains sites ?
- Ce n’est pas aussi simple ! Si ça l’était, ce serait déjà fait ! En France, les sites naturels sont libres d’accès car la Nature est un bien commun. C’est une loi qui procède d’un grand principe d’équité et de démocratie. Comme dit le proverbe : « u cumunu hè di nisunu ». Il faut, donc, réfléchir en l’état des dispositifs législatifs et règlementaires existants et trouver des parades pour réguler le flux, sinon la nature corse connaîtra la tragédie des Communs bien connue des économistes de l’environnement. La première possibilité est de limiter l’accessibilité physique en interdisant, par exemple, le stationnement au bord des routes qui jouxtent les fleuves, et de faire payer chèrement les parkings qui ont été aménagés ou doivent l’être. On ne peut pas légalement faire payer un accès à un site, mais on peut faire payer un service de parking, de toilettes, de restauration… ou de médiation culturelle et patrimoniale. La seconde idée est de réorienter les flux, la troisième est de mettre en place une fiscalité incitative.
 
- Comment ?
- Il faut là aussi être cohérent. A l’ATC, nous avons choisi de ne plus faire, dans nos visuels, la promotion des mêmes sites naturels mythiques. L’idée est de susciter chez les gens l’envie de visiter d’autres endroits. Il faut, aussi, créer de nouveaux circuits du patrimoine naturel, culturel ou historique, qui permettent de réorienter les flux. Sans quoi, en l’état actuel de la législation, nous assisterons impuissants à la sur-fréquentation et au dépassement des capacités de charge à Bavella, à Girolata, dans la vallée de la Restonica, au lac de Melu ou sur les îles Lavezzi. Si nous avions la possibilité de mettre en place une fiscalité particulière ou des permis de visite comme c’est le cas dans les parcs américains, nous pourrions réguler les flux autrement. Mais, la loi ne le permet pas, nos demandes d’adaptation législative et règlementaire sont rejetées. Nous allons donc travailler avec l’OEC, le Parc naturel et le Conservatoire du littoral sur d’autres solutions palliatives. Mais je reste persuadée que c’est en amont qu’il faut changer les choses.

- L’autre sujet récurrent et brûlant reste les paillottes. Comment réagissez-vous à la colère des paillotiers de l’Extrême-Sud ?
- La question des établissements de plage est complexe et porte sur l’occupation spatiale du domaine public littoral, en particulier maritime (DPM). Je rappelle que ni la Collectivité de Corse, ni l’ATC ne sont compétentes sur le DPM. La crise actuelle est un héritage de 40 ans de lascià corre en matière de gestion de certaines parties du littoral par différents acteurs. Certains travaillent en suivant les règles, d’autres pas. En même temps, il y a un enchevêtrement très grand de règlementations et de textes en termes d’urbanisme et de domanialité, qui ne sont pas forcément compris par tout le monde. L’Etat et certaines communes n’ont pas fait preuve, jusqu’à présent, d’une continuité dans cette gestion. Ce qui donne des situations assez rocambolesques avec des établissements de plage situés sur trois types de foncier différents, des concessions arrivées à terme depuis des mois, des permis de construire octroyés dans des sites aujourd’hui remarquables, des AOT devenues la règle qui sont retirées… La confusion est grande ! Et dans ces cas-là, en pleine saison, sous la pression, on dit ou on fait n’importe quoi !
 
- Que faut-il faire pour y remédier et apaiser la situation ?
- Il faut, comme toujours, de la méthode et de la mesure. La situation n’est pas la même en Balagne ou dans l’Extrême-Sud, en centre-ville, en zone péri-urbaine ou dans les espaces naturels fréquentés. Il faut, donc, recenser tous les cas existants pour faire un diagnostic très précis et rapide et une typologie des diverses situations. Nous l’avons demandé à l’Etat il y a plusieurs mois et vous verrons qui est dans les clous et qui ne l’est pas. Ensuite, en fonction de cette typologie, tout le monde a intérêt à trouver la solution adaptée. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas, dans une île qui réalise 24% de son PIB (Produit intérieur brut) dans le tourisme, supprimer comme ça des établissements de plage et empêcher les activités économiques sur tout le littoral ! Sachant qu’il n’y a pas que les paillotes qui sont concernées, mais aussi des loueurs d’engins et de matériels nautiques… On ne peut pas non plus cautionner n’importe quoi ! Il n’est pas question de remettre en cause la loi Littoral qui est un gage de préservation de ce qui fait la richesse de la Corse, c’est-à-dire son capital naturel. Il faut, donc, trouver un équilibre entre activités économiques, respect des lois et préservation du bien commun que nous devons transmettre à nos enfants.
 
- Et ce n’est pas toujours facile à mettre en musique ?
- Non ! Mais, c’est fondamental dans une île qui ne jouit pas, comme l’Italie ou l’Espagne, d’un important patrimoine monumental, à l’exception de quelques joyaux. Je rappelle que le capital naturel constitue le premier facteur de production des entreprises touristiques, le préserver, c’est préserver l’attractivité et l’activité touristiques sur le long terme. Il faut respecter les règles, en les adaptant si besoin aux réalités de notre fréquentation et de notre territoire, et trouver un nouveau modèle en s’appuyant sur le PADDUC qui n’interdit pas les constructions démontables sur le littoral. Il faudrait revenir au système des concessions, qui est le plus performant, et définir une charte architecturale pour les établissements de plage. La Corse peut être innovante en créant des paillotes soutenables. J’invite tous les acteurs à relire la feuille de route du tourisme durable, à collaborer étroitement à nos projets et à participer, chacun dans son champ de compétence, à la mise en œuvre d’une trajectoire de croissance touristique vertueuse.
 
- Beaucoup estiment que c’est impossible, d’autres s’élèvent contre cette suprématie du tourisme ?
- Il faut être réaliste et cohérent. Je ne vois pas en termes macroéconomiques quelles autres activités pourraient, à court terme, se substituer au tourisme ! Ni d’ailleurs comment protéger notre environnement, garder notre île « vivable » et développer un tourisme compétitif et performant en Méditerranée sans privilégier l’idée d’une destination verte et préservée. Le tourisme peut être une trajectoire de croissance appauvrissante, s’il est pris dans le cercle vicieux du para-commercialisme et de la grande braderie, la Corse devenant un terrain de jeu où chacun fait ce qu’il veut, y compris au péril de sa vie. Mais il peut aussi générer une croissance vertueuse fondée sur la protection de l’environnement, la préservation de la ressource, l’équilibre territorial des aménagements, une fréquentation régulée, la formation des hommes et une meilleure acceptabilité par les résidents. La prochaine grande enquête de l’ATC concernera, d’ailleurs, les résidents parce qu’on ne peut pas développer un tourisme durable contre la population locale. J’espère que toutes les parties prenantes – professionnels, pouvoirs publics et intercommunalités - entendront ce message.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.