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Corse-Catalogne : La présidente de l’ANC, Elisenda Paluzie, à Bastia pour défendre la cause catalane


Nicole Mari le Lundi 21 Mai 2018 à 21:11

Le comité Solidarité Corse-Catalogne / cumitatu sulidarità Corsica-Catalunya, récemment créé à l’initiative de l’ex-député européen François Alfonsi, se mobilise contre « les graves atteintes portées aux libertés publiques en Catalogne par le gouvernement espagnol ». Il a, donc, décidé d’organiser un débat sur le sujet, le mercredi 23 mai, à 18h à la salle polyvalente de Lupinu à Bastia. Avec comme invitée exceptionnelle : Elisenda Paluzie, la nouvelle présidente de l’ANC (Assemblée nationale catalane), l’une des deux associations majeures de la société civile catalane à l’origine des massives manifestations de rue pour l’autodétermination. François Alfonsi explique, à Corse Net Infos, que la venue d’Elisenda Paluzie à Bastia participe à la construction de la chaîne de solidarité européenne qui se mobilise pour la démocratie en Catalogne et la libération des dirigeants politiques « arbitrairement détenus » par l'Etat espagnol.



Corse-Catalogne : La présidente de l’ANC, Elisenda Paluzie, à Bastia pour défendre la cause catalane
- Vous avez invité Elisenda Paluzie. Qui est-ce exactement ?
- Deux très grosses associations ont encadré depuis 2010, en Catalogne, tout le processus d’autodétermination et les manifestations qui l’ont précédé. L’une est une vieille association qui s’appelle Omnium Cultural. L’autre, créée en 2010, est l’Assemblée nationale catalane (ANC). Elle compte plus 420 000 adhérents et est capable de mobiliser des centaines de milliers de bénévoles. Au moment du référendum d’autodétermination du 1er octobre, elle a fait ouvrir les bureaux de vote, occupé les écoles pour empêcher la police de les fermer… Elle organise, encadre et contrôle l’ensemble des manifestations publiques. Son président, Jordi Sanchez, a été l’un des premiers à être arrêté et emprisonné par Madrid suite à la proclamation d’indépendance. Il est en prison depuis sept mois. Elisenda Paluzie, qui est une universitaire, vient d’être élue pour le remplacer. L’ANC est une structure de la société civile catalane extrêmement puissante et très intéressante à découvrir. Accueillir sa présidente à Bastia est une grande chance.
 
- Pourquoi organiser un débat en Corse sur la question catalane ?
- Ce qui va aider nos amis catalans, c’est la pression des opinions publiques. C’est essentiellement parce qu’il y a eu de grosses campagnes de presse qu’en Belgique et en Allemagne, les appareils judiciaires n’ont pas été dans le sens des autorités espagnoles. Les opinions publiques de ces deux pays ont pris conscience que ce que vit la Catalogne est une terrible régression démocratique pour l’Europe. Des gens, qui ont simplement défendu leurs idées sans commettre aucune violence, uniquement par des moyens démocratiques, et avec l’appui de millions de votes de la population catalane, ont été jetés en prison. Ces gens sont tout à fait légitimes et n’ont certainement pas leur place en prison ! Cela pose un vrai problème à l’Union européenne (UE) ! Il est normal que la Corse se mobilise aussi parce qu’elle est concernée par cette régression que l’Espagne impose à l’Europe sur le terrain démocratique.
 
- Est-ce pour cela que vous avez créé le comité Solidarité Corse-Catalogne ?
- Oui ! La création du comité Solidarité Corse-Catalogne a été spontanée. En tant qu’ancien député européen, j’ai été invité à participer à un débat à Nice en soutien à la Catalogne. Le débat était animé par la Ligue des droits de l’Homme (LDH) de Nice. Je me suis dit qu’on pouvait faire la même chose en Corse et j’ai appelé André Paccou, le représentant de la LDH Corse. Nous avons, donc, pris l’initiative de structurer un comité de solidarité avec des gens que j’avais souvent rencontrés en Catalogne comme Marie-Pascale Castelli, François Tortos qui est catalan, ou encore Minicale.

- Vous parlez de pression des opinions publiques, mais les gouvernements soutiennent Madrid. L’Europe ne reste-elle pas très frileuse sur cette question ?
- Aujourd’hui, deux niveaux s’opposent dans les Etats européens. Les gouvernements soutiennent, grosso modo, Madrid avec plus ou moins d’intensité : les Français plus que les Allemands, les Allemands plus que les Belges… Mais les opinions publiques, la presse et les appareils démocratiques, notamment les autorités judiciaires de ces pays qui ont en charge la protection des libertés, considèrent que ce qui se passe en Espagne, ce n’est pas de la démocratie, mais de l’autoritarisme mal placé, et que la question catalane ne pourra se régler que par le dialogue. Il ne peut pas en être autrement dans l’Europe du 21éme siècle, sauf à nier ce qu’est la réalité de la construction européenne. Pour la société civile européenne, la politique de l’autruche des instances européennes n’est pas acceptable.
 
- Où en est la situation aujourd’hui en Catalogne ?
- La Catalogne est dans une crise politique grave depuis que l’Etat espagnol a décidé d’illégaliser l’Exécutif légitime, à commencer par le président Carlos Puigdemont. Cette crise politique s’est traduite par l’obligation à l’exil pour certains dirigeants. Ceux qui ont voulu faire confiance à l’indépendance de la justice espagnole se retrouvent en prison pour des périodes que personne ne peut encore présumer et que la justice espagnole, qui est un véritable auxiliaire du pouvoir politique et du gouvernement Rajoy, prolonge de façon totalement discrétionnaire. Pour avoir face à l’UE, au moins en apparence l’aspect d’un Etat de droit, l’Etat espagnol a convoqué, en décembre, de nouvelles élections dans des conditions conçues pour favoriser les forces politiques le soutenant. Le résultat des urnes a été à l’opposé ! Le mouvement indépendantiste est sorti, de nouveau, majoritaire en sièges.
 
- Cela n’a rien changé pour autant ?
- Non ! Madrid a exercé un nouveau déni de démocratie en refusant le choix du peuple catalan. L’Assemblée s’est mise en place et a élu son président, Roger Torrent. Quand il a fallu élire le président de l’Exécutif, Madrid a mis son veto à la réélection de Carlos Puigdemont qui était fort légitimement candidat à sa propre succession puisque son parti a obtenu la majorité au sein de la coalition indépendantiste. Puis, a mis un veto à son successeur qui était en liberté provisoire et qui, dès qu’il a été candidat, a été jeté aussi sec en prison ! Finalement, c’est un Indépendantiste la ligne de Puigdemont, Quim Torra, qui a été élu. Il est l’homme de la situation, car il n’a pas participé à la précédente Generalitat (gouvernement catalan), et la justice espagnole, qui poursuit les dirigeants depuis le référendum, a beaucoup de mal à lui reprocher d’avoir enfreint la loi. L’engagement pris par l’Etat espagnol est de lever la période d’exception décidée après les élections. Quim Torra vient juste de prendre ses fonctions à la tête de la Generalitat, tout en sachant que Madrid aura la tentation constante de chercher à le renverser.
 
- Carlos Puigdemont est-t-il toujours en Allemagne?
- Oui ! Il avait, d’abord, rejoint la Belgique où il a été maintenu en liberté malgré la demande d’extradition formulée par le procureur espagnol et le mandat d’arrêt européen lancé par Madrid. Il s’est rendu en Finlande et, au retour, a été arrêté en Allemagne au nom du même mandat d’arrêt. La justice allemande vient de juger que ce mandat d’arrêt n’était pas exécutable, compte tenu des motifs et des erreurs qu’il comportait. Il a, donc, recouvré la liberté et peut, en Allemagne en tous cas, aller et venir à sa guise, mais il ne peut pas rentrer en Catalogne parce que s’il met le pied en territoire espagnol, il est assuré d’être aussitôt incarcéré par les autorités madrilènes.

François Alfonsi.
François Alfonsi.
- Les Nations Unies (ONU) ont accepté la requête de Puigdemont pour « violation » de ses droits politiques en Espagne. Est-elle examinée ?
- L’ONU a, en décembre, décidé d’ouvrir une enquête sur la validité du référendum. Puis, son Comité des droits de l’homme a fait valoir que l’incarcération des dirigeants catalans n’apparaissait pas démocratiquement justifiée et qu’il mènerait des investigations dans ce domaine. Il est évident qu’aujourd’hui la situation en Catalogne pose un problème de droit international et de libertés démocratiques. Etre indépendantiste en Catalogne n’est pas un délit ! Sinon cela signifie que le délit d’opinion est admis en Europe ! On ne peut pas admettre cela ! Le règlement de cette question ne peut se faire que par le dialogue et la voie démocratique. De ce point de vue-là, les Catalans font preuve d’une détermination exemplaire. Des manifestations regroupent des centaines de milliers de personnes sans aucun débordement, sans aucune vitrine cassée…
 
- Néanmoins, la Catalogne est dans une impasse. Comment les Catalans espèrent-ils en sortir ?
- Dans un premier temps, il faut imposer un dialogue à Madrid qui, pour l’instant, le refuse, malgré les résultats électoraux en faveur des Indépendantistes. Il y a, donc, la nécessité d’imposer cette négociation par des pressions internationales. D’où l’importance des opinions publiques et des réunions, comme celle de Bastia, où des messages sont donnés. Les différents comités de soutien en Europe se sont fédérés et sont en train de se structurer. La situation de blocage étant très forte, on s’attend, malheureusement, à une mobilisation longue. On est certain que la puissance de la mobilisation en Catalogne reste intacte et que les pressions des opinions publiques occidentales obligeront, à la fois, l’UE à s’impliquer et le gouvernement espagnol à accepter d’ouvrir des négociations. Le fait que le gouvernement espagnol soit, aujourd’hui, en échec face aux opinions publiques est un élément crucial pour obtenir un déblocage de la situation.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.