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Domaine de Casabianca : Des jeunes agriculteurs dénoncent une main basse sur des parcelles


Nicole Mari le Lundi 15 Avril 2019 à 16:29

Près d’une cinquantaine de jeunes agriculteurs venus de toute la Corse ont occupé symboliquement, ce lundi matin, le domaine de Casabianca pour dénoncer l’exploitation illégale de parcelles par des « occupants déloyaux ». Après la polémique et la mobilisation déclenchées par Core in Fronte contre sa mise aux enchères, le domaine a été acheté par la SAFER en septembre dernier grâce à un fonds mis en place par la Collectivité de Corse. Il doit être divisé en parcelles à attribuer sur dossiers à de jeunes agriculteurs. Certains ont, de toute évidence, enjambé la procédure. La SAFER a décidé de porter plainte contre X.



Domaine de Casabianca : Des jeunes agriculteurs dénoncent une main basse sur des parcelles
C’est un nouveau rebondissement dans un domaine qui suscite toutes les convoitises. On pensait l’affaire entendue après le rachat en septembre dernier par la SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) du fameux domaine de Casabianca, plus connu sous le nom de Domaine Casanis, qui s’étend au lieu-dit Bravone entre le phare d’Alistro et l’étang de Diana, le long de la Route territoriale 10, sur une superficie de 469 hectares dont 220 hectares de vignoble. Placé en liquidation judiciaire en septembre 2017, sa mise aux enchères avait soulevé une émotion et une protestation quasi-générale dans l’île … et des suspicions de spéculation foncière et immobilière. Après l’alerte lancée par Core in Fronte et l’embrasement du monde agricole et politique, la Collectivité de Corse (CDC) est intervenue à travers l’ODARC (Office de développement agricole et rural de la Corse) et a mis en place un fonds de 800 000 € pour permettre à la SAFER de préempter et de procéder au rachat du domaine pour la somme de 1,6 million €. L’objectif de la CDC est de mettre ces fonds au service exclusif des jeunes agriculteurs qui n’ont pas de terrain. La SAFER est chargée de lotir et de redistribuer les lots après examen des dossiers de candidature par une Commission. Cette procédure définie, qui se veut en toute transparence, est toujours en cours.
 
Une chasse aux terrains
Mais la polémique vient de resurgir, de façon totalement inattendue. Des agriculteurs confirmés, et pas des moindres, se seraient installés sans façon, de manière tout à fait arbitraire et illégale sur les terres qui ne leur ont jamais été attribuées et qui appartiennent toujours à la SAFER. C’est en tous cas ce que dénoncent la cinquantaine de jeunes agriculteurs, venus de toute l’île, pas seulement de Plaine Orientale, mais aussi de Casinca, de Corte, de Balagne… qui ont investi le vignoble, lundi matin. « Il y a des gens qui ont pris des intérêts sur les parcelles illégalement. Ils n’ont pas le droit d’occuper les terrains du Domaine de Casabianca. La CDC a acheté ces terres pour les jeunes agriculteurs qui n’en ont pas, elle a bien dit qu’en aucun cas, ce serait pour des agriculteurs qui ont déjà des dizaines ou des centaines d’hectares, qu’en aucun cas, ce serait une chasse aux terrains, comme le font ces gens-là. Ce ne sont pas des jeunes agriculteurs, ce sont des agriculteurs confirmés de la région. C’est déloyal ! » explique Fabien Lindori, un des porte-parole du groupe des jeunes agriculteurs. Le groupe a symboliquement occupé la parcelle de 40 hectares accaparée par un viticulteur, tout en précisant « Il y a d’autres agriculteurs qui se sont introduits sur d’autres parcelles ».
 
Une exigence de transparence
Le groupe de jeunes agriculteurs s’est, ensuite, rendu pour se faire entendre au siège de la SAFER qui était, au même moment, réunie en Commission à Bastia. Il demande que la procédure soit respectée. « Nous avons prévenu tout le monde de notre action : le président de la Chambre d’agriculture, le président de l’ODARC et le président de la SAFER. Ils nous ont confirmé que ces gens n’avaient aucune autorisation, que personne n’avait d’autorisation d’occuper un terrain sur le Domaine de Casabianca. Ils sont d’accord avec nous, mais comme c’est une action du peuple, ils nous laissent faire. Nous avons expliqué que nous ne voulons plus ce genre de manœuvres qui viennent de certains agriculteurs. Nous voulons que ces gens quittent le domaine. Ils n’ont qu’à déposer des dossiers de candidature comme tout le monde. Nous voulons que tous les dossiers soient étudiés en toute transparence institutionnelle et que les attributions soient faites dans la légalité, pas en rentrant et en occupant un terrain sans autorisation de personne, juste parce que ces gens ont décidé de rentrer ! Nous avons dit notre détermination et notre fermeté. Nous ferons la même action pour chaque personne qui rentre sur le domaine de manière illégale ».
 
Une image calamiteuse
Les jeunes agriculteurs ont trouvé un soutien sans faille chez le président de la Chambre d’agriculture, Joseph Colombani : « Il est insupportable que les choses ne se passent pas dans les règles. Lorsqu’on sait que le problème N°1 pour un jeune Corse, qui veut s’installer dans l’agriculture, est le foncier et que, pour la première fois dans l’histoire, la CDC fait une opération intelligente sur cette problématique, des gens, bien ou mal intentionnés, s’accaparent, comme ça, 40 hectares, en shuntant la SAFER et les principes de redistribution des terres. On est en train de donner une image calamiteuse de l’agriculture et des institutions, déjà qu’elle n’est pas terrible ! Si on laisse faire des choses comme ça, il n’y aura plus un seul centime qui sera donné par les politiques ! ». Le président Colombani avoue avoir téléphoné, vendredi, au viticulteur en question pour lui demander de quitter les lieux. En vain. « Les jeunes agriculteurs ne veulent pas que cette occupation perdure, ils ne veulent pas être complice de cette façon de faire. Il faut que les règles soient respectées sinon c’est l’anarchie, c’est le Far West ! Cela va mal finir ! ». Les jeunes agriculteurs ont croisé dans les couloirs de la SAFER le président de l’ODARC qui leur a confirmé son soutien.
 
Des illégalités en chaîne
Le viticulteur, mis en cause par les jeunes agriculteurs, n’est autre qu’Eric Poli, président du CIVIC (Comité intersyndical des vins de Corse) et vigneron du Clos Alivu à Patrimoniu. Il a aussitôt répliqué par voie de presse qu’il s’était positionné sur l’offre de location émise par la SAFER : « Si j’ai commencé à travailler sur ces vignes, c’est pour prouver qu’il est possible de les reprendre et qu’il n’est pas nécessaire de les arracher ». Mais ce qui rend, pour certains, sa démarche encore plus grave, c’est qu’Eric Poli est également administrateur de la SAFER. De plus, cette occupation illégale soulève toute une série de problèmes et d’illégalités en chaîne. D’abord, pour exploiter une terre agricole, il faut la déclarer à la MSA (Mutualité sociale agricole) et, pour cela, en être soit propriétaire, soit locataire avec un bail à ferme. Or, le domaine de Casabianca appartient toujours à la SAFER qui n’a délivré, à ce jour, aucun bail, ni autorisation d'exploiter. Si un ouvrier travaillant sur ces parcelles se blesse ou n’est pas administrativement en règle, c’est la SAFER qui en est juridiquement responsable. Les jeunes agriculteurs ont, d’ailleurs, expliqué aux ouvriers qui travaillaient sur place qu’ils ne pouvaient pas rester là.

Une plainte contre X
C’est bien l’avis de la SAFER qui a décidé de porter plainte contre X. « Nous sommes bien obligés de porter plainte contre X s’il y a des gens qui entrent sur le domaine dont nous avons la responsabilité. Si quelqu’un se blesse, nous nous retrouverions dans une situation délicate à assumer une responsabilité devant le tribunal. Nous n’en avons pas envie de nous retrouver ni avec des occupants, ni avec des gens qui peuvent poser problème d’une façon ou d’une autre au pénal », confirme son président, Christian Orsucci. Interrogé sur la qualité d’administrateur de l’occupant illégal, il répond : « Nous ne pouvons pas accepter qu’un administrateur, qui est au courant de tout ce qui se passe à l’intérieur de la société, puisse, à un moment donné, entrer sur le domaine comme cela a été fait. D’autant plus que les occupants ne portent aucune responsabilité pénale. Pour nous couvrir, nous sommes obligés de porter plainte et de dénoncer certaines pratiques ».
La mobilisation a payé. En fin d’après-midi, devant l’ampleur de la polémique, Eric Poli a annoncé qu’il levait le camp.

N.M.