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U Cullettivu Mafia No demande une Commission d’enquête parlementaire sur la Corse


Nicole Mari le Samedi 5 Septembre 2020 à 19:30

Une délégation du Cullettivu « Maffia No’, a vita Iè », composée de Dominique Bianconi, Marie-France Giovannangeli, Vincent Carlotti et Léo Battesti, a été reçue, vendredi après-midi pendant plus d’une heure, par le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni. Ce dernier, qui a déjà reçu u Cullettivu Massimu Susini, devrait également, comme promis, rencontrer la LDH et U Levante. Lors d’une réunion à la mairie de Venacu le 30 août dernier, Mafia No, qui s’inquiète des conséquences collatérales de la crise économique provoquée par la Covid 19, a dénoncé une progression de l’emprise mafieuse sur l’île, engagé une série d’actions et fait des propositions. Explications, pour Corse Net Infos, de Vincent Carlotti, co-fondateur d’u cullettivu Mafia No.



Une délégation du Cullettivu « Maffia No’, a vita Iè », composée de Léo Battesti, Marie-France Giovannangeli, Vincent Carlotti et Dominique Bianconi, devant le siège de la Collectivité de Corse à Bastia, avant l’entrevue avec le président de l’Exécutif.
Une délégation du Cullettivu « Maffia No’, a vita Iè », composée de Léo Battesti, Marie-France Giovannangeli, Vincent Carlotti et Dominique Bianconi, devant le siège de la Collectivité de Corse à Bastia, avant l’entrevue avec le président de l’Exécutif.
- Quel était l’objet de cette rencontre avec Gilles Simeoni ?
- C’était de faire le point sur la situation de la Corse. Le président de l’Exécutif voulait nous entendre là-dessus et nous, nous voulions aussi l’entendre. Nous avons eu une discussion franche, c’est-à-dire qu’on s’est dit des choses, on s’est parlé franchement. Et c’est très important parce que dans ce domaine, il ne faut pas tourner autour du pot ! Quand on se parle franchement, il en sort toujours quelque chose. On lui a dit ce qu’on avait à lui dire, il nous a dit ce qu’il avait à nous dire. Et sur la valeur de ce constat, nous avons fait des propositions. Nous lui avons dit qu’on ne pouvait pas en rester là et comment on voulait avancer.
 
- Comment ?
- Nous allons rencontrer à Paris, rapidement, Madeleine Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la citoyenneté, pour lui dire que nous sommes dans une démarche citoyenne. C’est probablement la seule démarche de ce type en France ! Des gens qui vont parler de la mafia en public, il n’y en a pas beaucoup ! Nous allons lui demander : « Etes-vous disposée à nous soutenir et jusqu’où ? ». Nous allons également faire remonter les problèmes parce qu’ici, nous avons fait le tour de la question. Nous allons rencontrer les quatre groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat pour leur expliquer la situation et leur demander de mettre en place une Commission d’enquête parlementaire.
 
- Pourquoi ?
- Parce qu’une Commission d’enquête parlementaire a des pouvoirs d’investigation très importants. Elle peut convoquer tout le monde. Si elle vous convoque, vous êtes obligés d’y aller, sinon vous risquez la prison. Elle peut activer les pouvoirs publics, la justice, la police… Nous pensons qu’autant l’Etat ne fait pas son travail, autant les parlementaires, eux, qui représentent toutes les couches de la société et toutes les sensibilités politiques, peuvent écouter ce qui se passe en Corse et prendre des dispositions.
 
- Qu’attendez-vous exactement de cette Commission d’enquête ?
- Beaucoup de choses ! Nous attendons qu’elle fasse ce que le gouvernement ne fait pas, ce que l’Etat ne fait pas ! Par exemple que les parlementaires demandent au Garde des Sceaux de prendre pour la Corse une directive pénale importante afin que les magistrats et les policiers puissent agir dans ce cadre-là. Aujourd’hui, les magistrats et les policiers n’ont pas de directive particulière pour la Corse, aussi le travail n’est pas fait comme il faudrait, alors que la police a tous les renseignements qu’il faut ! Il y a des documents qui montrent que les policiers savent tout ce qu’il se passe en Corse.
 
- Pourquoi, selon vous, n’agissent-ils pas ?
- Je ne sais pas ! C’est un problème ! C’est une question que l’on va poser : « Pourquoi la police, qui a tous les renseignements et sait exactement ce qu’il se passe en Corse, n’a que très peu de résultats ? ». Bien sûr, les problèmes sont complexes. Quand on enquête sur des positions monopolistiques abusives ou des rentes de situation, comme on en trouve chez nous, avec derrière des intérêts pas très clairs, c’est plus difficile que d’enquêter sur des jeunes voyous qui dealent de la drogue. On le comprend, mais, malgré tout, on ne sent pas que l’effort est fait.
 
- A-t-il jamais été fait ?
- Oui ! On l’a senti avec le précédent gouvernement - et je ne dis pas ça parce que je me situe dans l’opposition par rapport au gouvernement actuel. Le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, est venu ici dire clairement qu’il y avait une situation mafieuse en Corse. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et la ministre de la justice, Mme Taubira, sont venus également, deux fois, ici, le dire. Mme Taubira a écrit une Directive pénale pour la délinquance économique qui a été suivie d’effets puisque des condamnations et des peines d’emprisonnement ont été prononcées. Mais, depuis trois ans, plus rien ! Pas un seul ministre n’est venu nous voir pour parler de cette question ! Ce n’est pas acceptable ! Nous le dirons à Mme Schiappa et à Mr Darmanin, si nous le voyons, et nous le dirons aux parlementaires.
 
- Qu’attendez-vous d’autre ?
- Nous attendons que cette Commission d’enquête parlementaire secoue la société corse, qu’elle reçoive beaucoup de monde, qu’elle entende toutes les voix qui veulent s’exprimer. Une Commission, initiée par Bercy, est venue en Corse, il y a quelques mois, étudier la situation des monopoles, elle publiera son rapport au mois d’octobre. Anticor est intervenu et a été entendu, nous avons dit des choses qui ont intrigué les gens de cette Commission. Anticor demandera de la même façon à être reçu par la Commission d’enquête parlementaire et parlera franchement des problèmes qu’il rencontre. Nous l’avons fait au niveau des procès, nous avons fait remonter des informations au niveau du ministère de l’Intérieur qui nous a répondu : « Circulez, il n’y a rien à voir ! ». Cela ne nous satisfait pas !
 
- Pensez-vous obtenir plus de satisfaction, cette fois ?
- Nous ne nous faisons pas trop d’illusions sur le résultat ! Mais, nous avancerons quand même ! Nous continuerons d’informer la population. Le COVID nous empêche de faire des réunions publiques. Nous aimerions bien organiser à Corte une marche blanche contre la mafia qui rassemblerait 4000 personnes, mais cela va être difficile. Actuellement, c’est exclu. Donc, l’idée, c’est, premièrement, de mobiliser la population - ce qui est l’idée originale du collectif – et de l’informer. Deuxièmement, secouer les élites locales. Troisièmement, secouer les élites nationales jusqu’à ce qu’on trouve des solutions.
 
- Vous dites avoir fait des propositions. Lesquelles ?
- Nous avons fait des propositions concrètes. Par exemple, nous demandons que soit inscrit dans le projet de loi sur le Parquet européen et la justice pénale spécialisée, qui revient devant le Parlement, le délit d’association mafieuse. Cela permettrait de régler des problèmes qui ne sont pas réglés. Le code pénal, aujourd’hui, ne permet pas à la police d’étendre ses investigations beaucoup plus loin dans certains domaines, par exemple dans l’environnement des faits. Ce délit d’association mafieuse permettrait d’aller chercher au fond de cette toile d’araignée ce qu’il se passe vraiment. Nous allons aussi demander que la saisie des biens mafieux ne soit pas restituée dans les coffres de l’Etat, mais que cet argent soit remis à des associations pour combattre la précarité. Enfin, nous demandons qu’on améliore le statut des auxiliaires de justice, c’est-à-dire des gens qui sont des lanceurs d’alerte, qui ont le courage de venir dénoncer les choses, mais qui se retrouvent, ensuite, à poil parce qu’on les laisse seuls. Nous avons aussi exposé ces demandes à Gilles Simeoni qui les connaissait pour partie. Il a dit qu’il les étudierait avec intérêt.
 
- Vous avez également fait des reproches au Président de l’Exécutif corse. Lesquels ?
- Pas seulement à Gilles Simeoni, ce serait trop simple ! Nous avons fait globalement deux reproches aux élus, à tous les élus. Nous leur avons dit : « Premièrement, vous n’avez pas pris conscience du problème. Deuxièmement, la lutte contre ces phénomènes n’est pas, pour vous, une priorité ». On verra bien, dans les mois qui viennent, si des signes sont donnés pour montrer que la classe politique dans son ensemble prend conscience du phénomène et si, pour certains, elle est considérée comme une priorité. Il va y avoir des campagnes électorales…
 
- Vous dites que l’Etat, qui a tout en main, ne fait rien. Comment une collectivité locale ou des élus locaux, qui n’ont aucun pouvoir de police ou de justice, peuvent-ils faire ?
- C’est ce qu’on nous répond généralement. Pourtant, c’est très simple : l’Etat ne fait d’autant plus rien que la classe politique locale ne le pique pas dans ce sens. On a titillé l’Etat depuis cinq ans sur la langue corse, le statut de résident, manifesté pendant des mois… en sachant que cela ne servirait à rien. On ne l’a jamais titillé sur la mafia ! On n’a jamais entendu des élus locaux demander à l’Etat d’agir là-dessus ! Vous les avez entendus vous ? On ne leur demande pas de faire le travail de l’Etat, on leur demande de faire dans ce domaine ce qu’ils ont fait pour la langue et le reste… On ne leur demande pas plus !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.