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Patrimoniu- Bechtolsheim : Un jumelage sur fond de vignoble, de San Martinu et d’armistice


Nicole Mari le Dimanche 8 Avril 2018 à 19:01

Le 11 novembre prochain, lors de sa traditionnelle fête patronale de San Martinu, Patrimoniu officialisera son jumelage avec le village de Bechtolsheim, situé dans le lander de Rhénanie-Palatinat, la plus importante province viticole d’Allemagne. Un partenariat basé sur le vin, mais pas seulement. Patrimoniu entend profiter du centenaire de l’armistice de la Première guerre mondiale pour commencer à tisser des liens culturels, humains, économiques et touristiques avec la Rhénanie à travers notamment l’itinéraire culturel européen A via Sancti Martini. Dans ce but, Jean-Baptiste Arena, maire de Patrimoniu et vigneron de l’AOC Patrimoniu, et Christian Andreani, président d’U Centru cultura San Martinu in Corsica et prieur de la confrérie de Patrimoniu, ont fait un déplacement de cinq jours en Rhénanie-Palatinat où ils ont notamment été reçus au Parlement par les députés. Explications, pour Corse Net Infos, de Jean-Baptiste Arena. Photos Christian Andreani.



Jean-Baptiste Arena, maire de Patrimoniu et vigneron de l’AOC Patrimoniu, en compagnie de Heiko Sippel, député de la circonscription de Bechtolsheim, et de Harald Kemptner, maire de la commune de Bechtolsheim.
Jean-Baptiste Arena, maire de Patrimoniu et vigneron de l’AOC Patrimoniu, en compagnie de Heiko Sippel, député de la circonscription de Bechtolsheim, et de Harald Kemptner, maire de la commune de Bechtolsheim.
- Quel a été l’objet de votre voyage en Allemagne ?
- C’est le jumelage de Patrimoniu avec un village allemand dans le but d’ouvrir la commune sur l’Europe et trouver d’autres débouchés, qu’ils soient culturels, socioéconomiques, touristiques… Ce voyage est, aussi, intimement lié au devoir de mémoire et au centenaire de l’armistice de la guerre de 14-18. C’est pour cela que, cette année, notre choix s’est porté sur un village allemand. Peut-être que dans les années futures, nous nous tournerons vers d’autres pays. Mais, aujourd’hui, nous voulions marquer d’une pierre blanche ce centenaire.
 
- Pourquoi ?
- Pour au moins trois raisons. L’armistice tombe un 11 novembre : le 11 novembre 1918, le 11ème mois à 11 heures. Cette date est hautement symbolique pour nous à Patrimoniu puisqu’elle est intimement liée à San Martinu qui est le patron du village et des vignerons. Ce choix d’un village allemand est aussi lié à la symbolique de l’Europe, de la fraternité et de la paix entre les peuples, qui est porté par San Martinu dont on vient de fêter le 1700e anniversaire. C’est, enfin, un village viticole qui est assez similaire à Patrimoniu. Nous partageons à peu près les mêmes attentes et les mêmes problématiques. Ce triptyque, devoir de mémoire – San Martinu – viticulture, a guidé notre choix. En cette année du cinquantenaire de l’AOC Patrimoniu, c’est, pour nous, un triptyque gagnant.
 
- Quelles problématiques partagez-vous avec Bechtolsheim ?
- Par exemple, celle de l’école. Nous envisageons à Patrimoniu de lancer d’ici deux à trois ans le chantier d’un nouveau groupe scolaire. Même si Bechtolsheim compte 1500 habitants alors que Patrimoniu en a presque 900, notre école primaire reçoit les enfants des villages alentour, notamment de Barbaghju et de Feringule, ce qui fait que nous avons le même nombre d’enfants scolarisés, environ 127.

- Autre problématique commune : le vin ?
- Oui ! Bechtolsheim est un village de vignerons. Leur cépage roi est le Riesling. Il a de grosses similitudes avec notre Malvasia (Malvoisie), le Vermentinu. Les deux cépages sont utilisés pour la production de vins blancs et ont la particularité, en vieillissant, d’évoluer vers des notes pétrolées. Autre cépage de ce village : le pinot noir. Nous nous sommes aperçus que, bien que l’Allemagne soit avant-gardiste au niveau environnemental, nous sommes en avance au niveau de la viticulture concernant le travail biologique sur les sols et les vignifications dans les caves. Un tiers des caves de Patrimoniu vignifient, aujourd’hui, de manière naturelle, deux tiers des exploitations, voire trois quarts, travaillent de manière biologique dans les vignes. Par contre au niveau des énergies renouvelables, notamment l’éolien et le solaire, c’est nous qui sommes en retard. La Rhénanie a réussi à supprimer trois centrales nucléaires grâce à l’éolien.

- Qui a financé le voyage et le séjour ?
- Notre voyage en Rhénanie a duré cinq jours. J’y suis allé en tant que maire de la commune de Patrimoniu, mais pas seulement : je représentais, aussi, les vignerons et a cunfraternità di San Martinu. J’étais accompagné d’un représentant du tissu associatif local, Christian Andreani, qui est également prieur d’a cunfraternità di San Martinu et président d’U Centru culturale San Martinu in Corsica. Ce voyage a été financé sur nos fonds personnels et n’a occasionné aucun frais pour la commune de Patrimoniu. Sur place, nous avons été accueilli par le maire de la commune de Bechtolsheim, Harald Kemptner, le Parlement de Rhénanie et nos amis allemands, notamment des importateurs de vins avec lesquels de nombreux vignerons de Patrimoniu travaillent déjà.
 
- Lesquels ?
- Par exemple, le Domaine Gentile et le Domaine Arena. J’en profite pour remercier Jean-Paul Gentile et surtout son amie Anne Bickert sans qui rien n’aurait pu se faire. Anne a trouvé le partenariat avec ce village, alors qu’avec José Poggioli, le Premier adjoint de Patrimoniu et le Conseil municipal, nous cherchions un jumelage depuis trois ans. Elle a, de plus, réalisé en amont tout le dossier de présentation de la commune et de l’AOC Patrimoniu. Je remercie, aussi, Giulia, l’importatrice des vins Arena, qui nous a servi d’interprète. Nous avons, également, la chance d’avoir une conseillère municipale d’origine allemande, Brigitte Olmeta, qui nous a aidé à créer des liens avec ce village et nous aidera à les renforcer. Elle a montré, avant l’heure, qu’à Patrimoniu, sur les pas de San Martinu dans la tradition franciscaine de pardon et de partage, l’amour est plus fort que les guerres… !

- Vous avez été reçus au Parlement de Rhénanie-Palatinat ? Pourquoi ?
- Nous avons été reçus par l’ensemble des députés, en particulier par Heiko Sippel, le député de la circonscription de Bechtolsheim, pour deux raisons essentielles. D’abord, la Rhénanie-Palatinat, qui est un land assez riche, est la première région viticole d’Allemagne et représente les deux tiers de la production viticole allemande. D’où une forte accointance avec Patrimoniu ! Ensuite, la capitale du land de la Rhénanie-Palatinat, Mayence, qui est aussi la capitale allemande du vin, est, tout comme Patrimoniu, placée sous le patronage de Saint-Martin. Sa cathédrale est la cathédrale Saint Martin. Les députés s’intéressent de près à la Via Sancti Martini, l’itinéraire culturel Saint Martin qui traverse l’Europe, et dont Christian Andreani sera le futur président, à partir de 2019. Au delà du vin, du devoir de mémoire et du rapprochement corso-allemand, Saint Martin fait encore le lien entre Patrimoniu, la Corse et la Rhénanie-Palatinat. Cette rencontre nous a, au passage, permis d’évoquer des problématiques plus locales.
 
- C’est-à-dire ?
- La Rhénanie-Palatinat dispose, comme tous les länders, les Etats fédéraux d’Allemagne, d’une très forte autonomie, c’est-à-dire des pouvoirs particuliers et des compétences très accrues, bien plus larges que celles des régions françaises. C’est peut-être même les régions d’Europe qui en ont le plus puisque chaque land a sa propre souveraineté et peut élaborer sa propre Constitution, bien sûr en tenant compte des principes républicains. Il a, par exemple, en charge des pouvoirs régaliens comme la justice et la police, l'éducation, l'enseignement supérieur, la politique culturelle, l'administration, l’environnement, la protection du littoral, la politique de l’eau, l’aménagement du territoire... Nous avons pu, ainsi, discuter de législation, de fiscalité, d’agriculture, de foncier, d’énergie, de décentralisation… avec les députés. Cette expérience d’échanges au niveau politique peut nous servir de base de travail pour trouver, demain, le chemin d’une autonomie en s’inspirant aussi d’exemples d’autres régions autonomes d’Italie ou d’Espagne.

- Le jumelage est-il déjà réalisé ?
- Nous devons le confirmer au niveau administratif. Les délibérations des deux villages ont été actées. Nous recevrons, le 11 novembre 2018 à Patrimoniu pour a San Martinu, une délégation allemande d’une quarantaine de membres sous la houlette d’Anne Bickert pour fêter ensemble le centenaire de l’armistice de la 1ère guerre mondiale où toutes les jeunesses d’Europe ont payé un lourd tribut. Notre objectif, à travers la symbolique forte du centenaire de l’armistice et de la guerre de 14-18, est de passer du devoir de mémoire et de réconciliation, d’un moment de deuil à un moment de partage et de fête.
 
- Retournerez-vous en Rhénanie ?
- Oui ! Nous organiserons un voyage en Rhénanie avec toutes les parties prenantes de ce jumelage, à savoir la municipalité de Patrimoniu, qui en est, à la fois, le catalyseur, le réceptacle et la courroie de transmission, les vignerons, a cunfraternità San Martinu et i paisanu, qu’ils soient de Patrimoniu ou d’autres villages du Nebbiu ou de Corse. Nous envisageons de partir, soit, avant les fêtes de Noël, pour la Saint-Nicolas qui est une grande fête en Allemagne, soit, en février, pour le carnaval qui est aussi là-bas un grand événement et dure trois jours. Cela reste à fixer.
 
- Est-ce la raison de la venue de deux télévisions allemandes à Patrimoniu ?
- Ça n’a rien à voir. Une équipe d'ARTE Allemagne vient juste de partir. Elle est restée quelques jours pour réaliser un reportage politique sur le nationalisme en Corse, focalisé sur la commune de Patrimoniu, son modèle de développement et son modèle politique. Ce lundi, arrive une équipe de la première chaîne de télévision allemande, Das Erste, pour tourner un documentaire long format sur la Corse, dont une large partie sera également consacrée à la réussite du vignoble de Patrimoniu.
 
- Qu’attendez-vous de ce jumelage ?
- Nous travaillons à créer des liens forts entre la Rhénanie et la Corse qui soient, à la fois, amicaux et culturels, mais aussi économiques à travers un tourisme que nous voulons commencer à mettre en place hors-saison estivale. Nous croyons au développement d’un tourisme d’automne, de printemps et même d’hiver, basé justement sur la valorisation de notre patrimoine matériel et immatériel. Les Rhénans, les Allemands, sont des gens très intéressés par la nature corse, notre langue, nos chants, notre musique, notre gastronomie, nos vins, nos richesses agricoles... Au delà de l’Allemagne, nous cherchons à tracer des vecteurs, à nouer des liens qui nous ouvrent sur l’Europe et le monde. Nous pensons que nos racines et u nostru spiritu corsu sont de puissants moyens pour aller encore plus vers les autres et partager à la table universelle tout ce que nous sommes.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Le village viticole de Bechtolsheim, au coeur de la Rhénanie-Palatinat et aux portes de Mayence.
Le village viticole de Bechtolsheim, au coeur de la Rhénanie-Palatinat et aux portes de Mayence.