Corse Net Infos - Pure player corse

Collectif contre les assassinats en Corse : L’engagement citoyen


Nicole Mari le Dimanche 23 Juin 2013 à 23:59

Présentes à la réunion publique du Collectif contre les assassinats et la loi de la jungle, qui s’est tenue samedi à l’Université de Corse, Isabelle Luccioni, journaliste, et Agathe Albertini, présidente régionale de l'UMIH (Union des métiers de l'industrie hôtelière), ont expliqué, à Corse Net Infos, les raisons de leur mobilisation. La première, membre fondateur du Collectif, parle du rôle de la presse dans le sursaut de la société civile. La seconde, impliquée à titre personnel, dénonce un Etat qui ne se préoccupe que des paillotes.



Isabelle Luccioni, journaliste à Corse Matin et membre fondateur du Collectif contre les assassinats et la loi de la jungle.
Isabelle Luccioni, journaliste à Corse Matin et membre fondateur du Collectif contre les assassinats et la loi de la jungle.
Isabelle Luccioni : « La presse peut jouer un rôle de caisse de résonance et d'aiguillon »
 
- Est-ce en tant que journaliste ou en tant que citoyenne que vous avez décidé de participer à la création du Collectif ?
- En tant que journaliste, ce serait bien présomptueux parce que je ne prétends pas représenter ma profession. C'est plutôt en tant que citoyenne. Néanmoins, en tant que journaliste, j’observe une société qui, depuis 25 ans, ne s'est pas améliorée. Loin de là ! Il reste, à mon avis, un peu d'espoir et la création de ce Collectif est l'occasion de saisir ce morceau d'espoir. A l'heure actuelle, peut-être sommes-nous en train de toucher le fond ! Ce qui va nous permettre de rebondir, de remonter et d'essayer de construire des choses ensemble en sortant des logiques d'individualisme. Ces logiques sont en train, aujourd’hui, de trouver leurs conclusions dans une société complètement dérégulée. Si nous continuons comme ça, nous allons droit dans le mur.
 
- On accuse souvent la presse insulaire de ne pas être libre. Qu’en dites-vous ?
- La presse est libre, si elle veut ! En ce qui me concerne, je ne me suis jamais rien interdit d’écrire, dans la limite de la loi. Néanmoins, on pratique énormément l'autocensure en Corse parce que, souvent, on a peur d'avoir peur ! C'est vrai qu'on peut être menacé, on peut avoir des ennuis, mais ce n'est pas une raison ! Journaliste n'est pas un métier anodin. Il exige de suivre une éthique. A un moment donné, peut-être parce qu'on est dans une société de proximité, on peut avoir un petit souci pour traiter une affaire. Dans ce cas, on se déporte, on laisse la place à quelqu'un d'autre, à un collègue qui, lui, pourra traiter l'affaire avec plus de recul. Mais, en tous cas, on n'occulte pas l'information au prétexte que, peut-être, elle pourrait, ou nous attirer des ennuis, ou faire de la peine à quelqu'un qu'on aime bien.
 
- Dans cette tentative de sursaut de la société civile, quel rôle la presse peut-elle jouer ?
- Elle peut jouer un rôle de libération de la parole et permettre de dire les choses. Elle peut aussi jouer un rôle de caisse de résonance et d'aiguillon. Lorsque nous sommes montés à Evisa pour participer au rassemblement de soutien à la famille Ceccaldi, nous nous sommes rendus compte que, depuis que ces victimes avaient témoigné de manière publique, l'enquête avançait à toute vitesse. Leur affaire, pourtant, n'avait pas été jusque là sous le coup de l'omerta ! Ça faisait déjà deux ans que les Ceccaldi avaient déposé les premières plaintes ! Entre temps, ils en ont déposé plusieurs autres. Mais, on les suppliait de ne surtout pas parler pour ne pas gêner l'enquête… Sauf que, pendant ce temps, l'enquête n'avançait pas ! Maintenant, elle semble avancer. Peut-être sur de fausses pistes ? Mais, au moins, un travail d’enquête est réellement fait.
 
Propos recueillis par Nicole MARI


Agathe Albertini : « L'Etat de droit se résume à quelques paillotes ! »

Agathe Albertini, présidente régionale de l'UMIH (Union des métiers de l'industrie hôtelière).
Agathe Albertini, présidente régionale de l'UMIH (Union des métiers de l'industrie hôtelière).
- Pourquoi avez-vous participé à cette réunion du Collectif contre les assassinats ?
- C'est la première fois que je participe à une telle réunion. J'ai répondu, à titre personnel, en tant que citoyenne, à l'appel que les membres du Collectif ont lancé parce qu'effectivement, la violence est un très gros problème chez nous. Je la ressens depuis de nombreuses années et j’ai toujours affirmé : Qui ne dit mot, consent ! Nous étions consentants. Sans même nous en rendre compte ! Au fil des années, progressivement, nous avons accepté la violence. Aujourd'hui, ce n'est plus possible parce que nous autres, adultes, avons une responsabilité envers la jeunesse qu'il faut préserver.
 
- Certains restaurateurs ou hôteliers subissent des menaces et des agressions. Sont-ils des cas isolés ou votre profession se sent-elle menacée ?
- Non, globalement notre profession ne se sent pas menacée. Il y a bien eu quelques cas d'agression que tout le monde connait. Mais, on ne peut pas dire que ces affaires touchent beaucoup de professionnels du secteur. Rien de tel ressort… En tous cas, pour le moment.
 
- Ne connait-on que les cas de ceux qui ont le courage de parler ?
- Oui. En Corse, on ne parle pas. A partir du moment où les gens se taisent, comment peut-on savoir ! Combien y a-t-il de cas en Corse ? On ne sait pas. Personne ne parle de ces choses-là, à part ceux qui les dénoncent. Je trouve très courageux les gens qui se sont exprimés et ont dénoncé publiquement.
 
- Les maires avouent leurs inquiétudes. Les hôteliers expriment-ils des craintes ?
- Non. On n'en parle pas de cette manière. Mais, quelque part, nous sommes, quand même, un petit peu inquiets parce que nous ne savons pas ! Une peur ou un danger, il faut mieux les affronter sinon ils restent sournois. Ce qui nous inquiète, c’est de ne pas savoir et, aussi, que rien n'est fait. Il y a 15 ans, l'Etat a mis en place un pôle financier qui n'a jamais fonctionné. Si, il y a 15 ans, l'Etat avait fait le travail qu'il fallait faire, peut-être qu'aujourd'hui nous n'en serions pas là !
 
- Comment voyez-vous l'avenir ? Avec pessimisme ou optimisme ?
- Franchement, je suis plutôt pessimiste parce que je me rends compte que les gens auront beaucoup de mal, ne serait-ce qu'à descendre dans la rue ! Il faut, pour cela, des chocs très importants. Ce manque de participation de la société civile me déçoit. La réunion du Collectif à Corte en est un exemple significatif. Tous les médias l'ont annoncée. De voir que, si peu de monde s’est déplacé, m'inquiète ! Les gens sont certainement conscients mais ils font l'autruche.
 
-Pensez-vous que la population est résignée à la violence ?
- La violence dure depuis si longtemps. Aujourd'hui, la population est un peu perdue. Je regrette le manque de courage… pourtant on dit que les Corses sont des gens courageux.
 
- Vous avez parlé de la responsabilité de l'Etat. Est-ce aussi une déception ?
-  Oui. L'Etat, aussi, est une déception. Ses représentants parlent beaucoup d'Etat de droit mais, chaque fois qu'ils viennent en Corse et qu'ils parlent d'Etat de droit, c'est pour montrer du doigt les paillotes ! L'Etat de droit, pour eux, se résume à quelques paillotes illégales ! Mais qu'est-ce que quelques paillotes à côté de tout ce dont nous avons besoin aujourd'hui pour remettre la Corse justement dans l'Etat de droit ! Il ne faut pas croire : beaucoup de propriétaires de paillotes respectent la loi. Toute une partie de la population aussi, parce que nous avons reçu un enseignement de nos parents et de nos grands parents qui nous ont appris le respect, l'hospitalité, etc. Même s’il est vrai que certains passe-droits créent un sentiment d'inégalité assez frustrant.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.