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Vente de terrain à Figari : les FDSEA de Corse mobilisées pour le droit de préemption de la SAFER


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Lundi 11 Septembre 2023 à 18:35

Lundi 11 septembre, les syndicats FDSEA de Haute-Corse et de Corse du Sud ont monté une action commune après l’annonce de la vente d’un terrain d’une trentaine d’hectares, aux environs de Bonifaziu, sur un site exceptionnel : des terres situées à une encablure de l’aéroport de Figari, face au plan d’eau du barrage de Talza, et qui pourraient devenir plus tard constructibles. L’opération des deux syndicats a immédiatement porté ses fruits. Joseph Colombani, président de la FDSEA de Haute-Corse nous explique les dessous de cette affaire.



- Joseph Colombani, pourquoi cette action commune des deux syndicats agricoles ?
- Parce que nous avons vocation à défendre les agriculteurs, l’agriculture et les outils au service de l’agriculture – notamment la SAFER et les Chambres d’agriculture…

- En quoi les agriculteurs sont-ils concernés par cette vente ?
- Il faut revenir à l’origine de l’affaire. Tout a commencé en novembre 2022. A cette date, 37 hectares de terres agricoles se vendent à Figari. Comme toutes les ventes de terres, celle-ci est notifiée à la SAFER [NdlR : Société d’aménagement foncier et d’établissement rural]. La SAFER s’aperçoit que ce n’est pas un agriculteur qui achète. L’acquéreur est un banquier, Philippe Oddo, domicilié sur le golf de Sperone. Elle constate également que le prix de ces terres est très élevé pour des terres agricoles : 130 000 euros, ce qui représente plus de 3 500 euros l’hectare ! Donc elle fait son travail et, le 25 janvier 2023, préempte avec révision de prix. Dans la foulée, comme il en a le droit, le vendeur retire le bien de la vente. Nous sommes en mars 2023.

- Ce sont donc bien des terres agricoles… Et que se passe-t-il alors ?
- Et bien en août 2023, le même terrain, avec le même acheteur, réapparaissent dans les notifications à la SAFER. Seulement, il n’y a plus 37 hectares, mais seulement 32 ! Que représentent les 5 hectares qui ont été retirés ? Ce sont les parcelles classées au cadastre comme “terres”… et donc pouvant être destinées à l’agriculture. Ce sont elles qui donnaient toute sa dimension agricole à la vente ! Les 32 hectares restant sont classés comme “bois et forêt” et ne sont donc pas, de ce fait, préemptables par la SAFER, puisqu’il est interdit de faire de l’agriculture dans des espaces boisés classés.

- Mais à vos yeux, ce sont des terres agricoles ?
Beaucoup de terrains, classés comme “bois”, sont en fait plantés d’arbousiers. Et cela fait des années que nous demandons à ce que la SAFER puisse préempter ces terrains que l’on peut en réalité considérer comme une ressource agricole dans le cadre d’un parcours pastoral ! Nous l’avons demandé aux différents ministères… Il y a même eu des interventions de députés… en vain !

- Comment interprétez-vous cette modification apportée par le vendeur ?
Pour nous, c’est une opération légale, mais qui manifestement, a été faite pour contourner le droit de préemption de la SAFER. Pour nous, la SAFER était dans son rôle quand elle a préempté avec révision de prix. En effet, quel était le réel objectif de ce banquier (113 ème fortune française) qui achète 37 hectares de terres agricoles à un prix supérieur au prix du marché, et qui, ensuite, pour pouvoir conclure cet achat se débarrasse justement des seules terres autorisées pour faire de l’agriculture ? Il n’a aucune expérience agricole, ni lui, ni les personnes associées dans sa société. Par contre, en faisant cette préemption avec révision de prix, la SAFER aurait pu permettre à de jeunes agriculteurs de Figari de s’installer et/ou de compléter leur installation en acquérant ce bien à un prix raisonnable et en devenant propriétaire de plein droit de ces parcelles agricoles. En fait, au vu du prix de la transaction initiale, de la détermination de l’acheteur à contourner le droit de préemption, et au vu de son profil, on est en droit de supposer que cet acheteur visait une opération immobilière camouflée sous un projet agricole. D’autant plus que ces terrains sont proches d’un hameau déjà viabilisé : Santa Lucia.

- De votre côté, quel est l’objectif de votre action collective ?
- Nous dénonçons ce stratagème légal destiné à contourner le droit de préemption de la SAFER. Nous demandons une nouvelle fois à ce que les terrains boisés puissent être préemptés par la SAFER lorsqu’il y a une possibilité de vocation agricole avérée. Nous demandons à ce que les 5 hectares agricoles soient remis à la vente pour les redistribuer à de jeunes agriculteurs de Figari à un prix agricole. Enfin, s’il doit y avoir un projet immobilier sur ces terrains, nous demandons à ce qu’ils soient rachetés par une collectivité et à ce qu’une partie de ces 32 hectares soit consacrée à des constructions destinées à des primo-accédants, des jeunes Corses de Bonifaziu, Figari, Sotta et autres…. Et que ces constructions soient proposées à des prix raisonnables, sachant les difficultés que les Corses, particulièrement les jeunes, rencontrent pour se loger dans la région.

-  Avez-vous d’ores et déjà des perspectives, un espoir d’obtenir gain de cause ?
Nous sommes convaincus que notre mobilisation a été efficace : nous avons annoncé notre action jeudi 7. Dès le vendredi, nous prenions contact avec le maire de Figari Jean Giuseppi, et avec le Président de la Communauté de communes du Sud-Corse, Jean-Christophe Angelini. Ils ont eu une réaction très positive et constructive. Jean-Christophe Angelini nous a d’ailleurs affirmé qu’il était prêt à racheter les 32 hectares. Le maire de Figari a confirmé cette intention. Ils se disent prêts à réfléchir avec d’autres à un projet collectif. Enfin, aux dernières nouvelles, l’acheteur s’est retiré de l’opération. Tout cela montre que si l’on sait opposer l’intelligence collective aux intérêts particuliers, ça peut fonctionner. Comment sortir de l’engrenage de la pauvreté, identifier les richesses de la Corse et faire en sorte qu’il y ait des retombées positives pour tous les Corses, si ce n’est en se donnant le temps de la réflexion, en se réunissant et en discutant : nous nous félicitons que certains soient prêts à accomplir la démarche. Car la première force dont nous disposons pour lutter contre le pouvoir de l’argent et la spéculation, c’est bien ça : être plus intelligents, plus collectifs, plus positifs !