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"U Sarratu" : soliloque polyphonique de l’enfermé signé Norbert Paganelli


Philippe Jammes le Samedi 16 Octobre 2021 à 20:29

Dans ce petit fascicule paru aux Editions Fior di Carta, Norbert Paganelli revient dans un discours avec lui-même sur la détention provisoire de l’écrivain et éditeur Jean Pierre Santini d’octobre à décembre 2020.



Alors que cette arrestation et incarcération avaient suscité un tollé d’indignation en Corse, Norbert Paganelli avait créé un comité de soutien pour sa remise en liberté. Il faut dire que l’auteur connait bien JP Santini, même s’il n’en partage pas toutes les convictions.
Né en 1954, Norbert Paganelli est déjà l’auteur de nombreux ouvrages bilingues souvent récompensés : Prix de la Collectivité de Corse (2014), prix du livre corse (2015), prix Don Joseph Morellini (2016)... L’auteur contribue à l’animation culturelle de l’île grâce à l’association «Performance» qui organise des lectures publiques, des ateliers d’écriture et des concerts poétiques en Corse et en terre continentale.
Dans U Sarratu , paru il y a quelques jours aux Editions Fior di Carta, il a souhaité témoigner, à sa manière, des interrogations d’un homme placé dans la solitude du monde carcéral, loin du monde qui est le sien.  S’agit-il d’un coup de projecteur sur l’un des nombreux faits divers qui émaillent, si souvent, la vie de l’île ou d’une méditation poétique sur le sens profond  de tout engagement, avec ses doutes, ses renoncements, ses fidélités et ses  trahisons ? L’univers gris des cellules, l’anonymat et l’inhumanité des lieux autorisent l’esprit à dialoguer avec lui-même, une autre manière de dialoguer avec le monde puisque l’esprit est au monde et le monde, absent du quotidien, transfiguré en force spirituelle. Bousculant les codes, l’espace et le temps, le poète donne la parole aux voix multiples et contradictoires qui peuplent la mémoire d’un homme, de  tous les hommes. Entretien !
 
- Norbert Paganelli, pourquoi un texte poétique sur l’emprisonnement de Jean-Pierre Santini ?
- On ne choisit pas ses sources d’inspiration, elles s’imposent. Ayant suivi l’affaire au sein du comité de soutien en faveur de sa libération, j’ai aussi beaucoup échangé avec ceux qui lui sont proches, avec lui-même et...avec moi-même. Ce texte est né de cette manière sans que le désir se soit manifesté, sans qu’on me l’ait demandé ni même suggéré.

- Un texte poétique sur un fond politique …
- Les frontières entre les différentes activités humaines sont largement factices, tout est dans tout et l’enfer est dans les classifications qui mutilent l’esprit. Une même chose, un même évènement peuvent être susceptibles de plusieurs grilles de lectures mais ces dernières ne sont pas hermétiquement séparées.

- Original, vous avez choisi la soliloquie, une présentation surprenante de par sa structure...Pourquoi cette originalité ?
- Au diable cette croyance que la poésie est faite pour endormir ! Bien au contraire, elle est faite pour réveiller les consciences et interroger... comme toute pratique artistique d’ailleurs.

- Mêlant le corse et le français, souhaitiez-vous brouiller les pistes ?
- Ce n’est pas moi qui brouille les pistes, elles sont naturellement embrouillées, je souhaite plutôt indiquer que rien n’est simple, que toute pensée, toute sensation semble avoir plusieurs niveaux qui s’interpénètrent, se superposent, sont parfois en décalages ou se contredisent. Cette complexité des ressentis, j’ai souhaité la restituer en jouant sur la graphie, les deux langues et la multiplicité des registres. Lorsque nous nous parlons, plusieurs langues parlent toujours en nous.

- Au final, on pourrait même en faire une adaptation pour le théâtre …
- Effectivement, le texte peut être lu bien sûr, mais aussi vu, et entendu. Cela ne m’avait pas échappé au moment de sa rédaction et n’a pas échappé à Jean Pierre Santini lui-même qui, après l’avoir lu, l’a proposé à deux comédiens qui sont en train d’y travailler.

- Le poète a toujours eu un rôle dans la société. Comment le définiriez-vous ?
- Je crois que son rôle est de dire qu’en marge des discours politiques, philosophiques, religieux, moraux, techniques ou autres... existe un autre discours qui n’a de comptes à rendre qu’à lui-même. Rien ne lui est interdit et cette souveraineté intrinsèque qui déroute et dérange bien souvent est l’une des manifestations de ce que signifie le mot « liberté ».
 
 

"U Sarratu" : soliloque polyphonique de l’enfermé signé Norbert Paganelli