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Témoignage. Aidants en Corse : « c’est un rôle à plein temps, où l’on se sent terriblement seul »


Livia Santana le Dimanche 11 Octobre 2020 à 12:49

Vanina Leca est présidente et fondatrice de l’association Hors Normes venant en aide aux personnes handicapées et à leurs aidants. Pour CNI, elle raconte à travers son parcours qui n’a pas été un long fleuve tranquille, les défis quotidiens, la charge mentale, la solitude, mais aussi les joies du rôle d’aidant.



Vanina et Jean-Nicolas, devant l'école de leurs enfants.
Vanina et Jean-Nicolas, devant l'école de leurs enfants.
« Nous sommes des mères, des pères, des fils, des filles, des soeurs, des frères, quand on se retrouve face à la maladie, c’est naturel, sans en être réellement conscients nous devenons aidants. »

Vanina Leca, fait partie de ces 8 à 11 millions de Français qui s’occupe d’une personne dépendante. Il y a 8 ans, l’ajaccienne a mis au monde des jumeaux, Anthony et Alexandre. Très vite, la maman s’est rendue compte que son fils Alexandre évoluait lentement. Les médecins lui ont diagnostiqué un trouble neuro-développemental non spécifié qui provoque un retard global dans les acquisitions et dans l’autonomie du jeune garçon. Pour Vanina et son mari Jean-Nicolas, tout bascule. Il faut repenser leur quotidien. « A ce moment on s’est dit : on fait quoi ? On se sent très seul, on n’est pas aidé. Alors c’est l’instinct de survie qui rentre en jeu. On fait humblement avec ce qu’on sait. », explique Vanina. 

Le nombre d’aidant en Corse n’est pas encore connu, il est très difficile de les recenser car souvent ils ne se reconnaissent pas en tant que tel. « Quand on s’occupe d’un proche nous n’avons pas de formation, ce n'est pas notre métier. On n’a pas fait d’études mais on devient en quelque sorte des psychométriciens, des médecins, des aides soignants… on fait ce qu’on peut et on endosse plusieurs casquettes. C’est la vie qui veut cela. »

Même à 8 ans, Anthony a très vite adopté la posture du jeune aidant. «Lorsqu’il rentre à la maison après l’école, il raconte toujours la journée de son frère au lieu de parler de la sienne. Pendant longtemps Alexandre ne parlait pas et Anthony était en quelques sortes sa voix.», confie Vanina avec un sentiment de culpabilité. 


« On vit au jour le jour » 
A huit mois, c’est la première frayeur. Les parents sont réveillés par les pleurs d’Anthony en pleine nuit. Alexandre, est en train de faire une crise épileptique. « Mon mari pompier est habitué au secours à la personne, mais quand il s’agit de son petit l’affecte entre en jeu. C’est une situation anxiogène où l’on se sent impuissant. »

Quand les jumeaux ont trois ans, ils sont scolarisés dans une école publique ajaccienne. Mais celle-ci n’est pas adaptée à Alexandre et très vite l’établissement demande Vanina et Jean-Nicolas de le récupérer à 10h30. « A l’époque j’étais employée commercial et j’ai du arrêter de travailler. J’ai pris un congé de présence parentale pour m’occuper de lui. »
Jean-Nicolas doit assumer à lui seul les dépenses du foyer. « Il prenait beaucoup de gardes pour compenser», se remémore Vanina. 

L’année d’après, les jumeaux rejoignent a scola aiaccina, un établissement hors contrat qui accueille en tout une vingtaine d’enfants. Là-bas, Alexandre commence sa progression. « Il a redressé la tête, il parvenait un peu à s’insérer en société, même si pour lui les codes sont un peu compliqués.»

La même année, Vanina trouve un nouvel emploi qui lui permet de travailler de son domicile. « Si demain cette école n’est plus en mesure d’accueillir Alexandre je ne sais pas ce qu’on va faire. En tant qu’aidant on vit un peu au jour le jour. Pour le moment il est heureux et progresse.» 



Aider les aidants 

Alors qu’elle était âgée de 22 ans, Vanina est devenue l’aidante de son père, tétraplégique après un accident de plongée sous-marine. « Avec mon papa cela a été plus compliqué. Je lui donnait à manger à la petite cuillère, lui changeais son pantalon…je pense que l’échange des rôles était difficile pour nous deux ». A cette époque, le terme aidant n’existe pas encore. « C’est un rôle à plein temps, où l’on se sent terriblement seule. Il y a 23 ans rien n’était mis en place pour nous accompagner »

En novembre 2019, l’ajaccienne décide de créer l’association Hors normes, pour accompagner les personnes en situations d’handicap et les aidants de toute l'île. « J’ai attendu d’avoir réglé ce que j’avais à régler avec mon histoire. Pour pouvoir aller vers les autres.»

L’association organise des groupes de paroles et des ateliers pour orienter les compagnons de vie qui souffrent souvent de dépressions, fatigue et troubles du sommeil. « Chaque aidant et chaque situation est unique. Mais souvent ils ont un point commun : ils ne s’autorisent pas à souffrir, ils pensent qu’ils doivent être forts et oublient qu’ils sont humains… », affirme Amélie Donsimoni, neuro-psychologue. 


« Des paillettes dans nos vies » 

Même si leur quotidien n’est pas tout rose, être aidant c’est aussi apprécier les petites victoires, les moments de partage en famille. « Pendant longtemps Alexandre n’a pas su prononcer le son R, quand il a appris avec l’orthophoniste, on sortait presque le champagne. Nous vivons des moments extraordinaires avec lui. Il a mis des paillettes dans nos vies. Je ne changerai mon fils pour rien au monde. »