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TEMOIGNAGE - Harcèlement scolaire : "On m’a brisé. On m’a sali. Mais je me suis accrochée"


Alexandra Bischof le Mercredi 22 Septembre 2021 à 16:34

Victime de harcèlement scolaire dans un collège d'Ajaccio, Marie* qui est aujourd’hui qui une brillante jeune femme avec une carrière prometteuse, raconte son vécu.


* Le prénom a été modifié



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J’ai toujours été une fille sportive, bien dans ma peau.  J’adorais l’école, le fait d’apprendre. Arrivée au collège, j’avais ma bande d’amies et je commençais à plaire à quelques garçons.  Certaines filles subissaient des moqueries de la part de mes copines. Je ne me rendais pas vraiment compte de la gravité de la situation...puis, un beau jour, c’est tombé sur moi.  Celles qui étaient mes amies ont commencé à éprouver de la jalousie, à sentir le besoin de me lancer quelques méchancetés gratuitement, puis à rire entre elles. Je n’y prêtais pas cas puisque je ne comprenais pas vraiment. Puis ça s’est accentué. 

L’enfer au quotidien
Au début, cela était assez variable. Un jour ça allait, un autre ça n’allait pas. Des rumeurs terribles ont été lancées à mon sujet, on me prêtait certains propos obscènes, on racontait que je pratiquais des actes sexuels dans les toilettes, on m’a même accusée de vol. Une bande dans ma classe s’est constituée pour se moquer de moi et tout le monde m’a tourné le dos, plus personne ne me calculait. J’étais seule.  Le soir, je recevais souvent des menaces par téléphone, ainsi que de nombreuses insultes. On me rabaissait constamment.  On m’a jeté des excréments dessus, on m’a agressé physiquement. Devant les professeurs, ils étaient plus discrets et si je réagissais cela pouvait me retomber dessus. Un jour en me défendant dans la cour je me suis retrouvée à faire plusieurs heures de "colle".  Tous les matins en me levant, j’avais la boule au ventre. Il m’arrivait régulièrement de simuler une maladie.  Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait donc je n’en parlais pas.  Vers la fin, j’ai commencé à en parler à mes parents car le stress devenait trop intense et ils étaient intrigués par mon état. Ils sont intervenus auprès de certains professeurs mais rien n’a changé. Cela était plus considéré comme des disputes entre jeunes, des enfantillages. Personne n’évoquait ce phénomène à l’époque.  C’est traumatisant.  Ce fut l’horreur. J’ai commencé à ne plus rien dire à personne sur ce qu’il m’arrivait et à tenter de m’effacer. 


La perte de confiance en soi
Je croyais profondément à ce qu’on me disait. Pour moi si on me disait ça, cela ne pouvait être que la vérité. Je me sentais à part, étrange, j’ai commencé à me détester, à avoir honte de moi. N’étant plus intégrée je me sentais différente, inutile et inintéressante.  C’était puissant. On se moquait de moi pour tout. Je n’osais pas prendre la parole en public.  J’angoissais pour aller en cours lorsque je savais que la période où elles allaient se défouler sur moi arrivait. Je ne dormais plus.  Les garçons se sont mêlés. Ils me rabaissaient aussi. A un âge où les autres avaient leur premier copain, j’étais seule.  Je ne m’apprêtais même plus, je me faisais toute petite. Je rasais littéralement les murs. Je ne voulais plus qu’on me parle. Je souhaitais simplement me faire oublier. 
Certains surveillants, témoins de quelques scènes, riaient. On m’a brisé. On m’a sali. On me mettait dans la case de la fille à qui il ne fallait pas parler.  Je ne voulais qu’une seule chose : partir, loin d’eux. 
 

 
L’impact sur la scolarité
Psychologiquement, c’était très déstabilisant. Etant une élève studieuse, je m’efforçais de travailler et d’avoir de bonnes notes.  Du coup, à l’approche d’un examen ou bien d’un anniversaire certains me rappelaient, redevenaient gentils car ils avaient besoin de moi. Les premiers temps, j’y croyais. Mais j’ai rapidement déchanté en voyant les actions continuer. 
J’ai donc tenté de rester sérieuse dans mes études. Mais c’était très dur. Je ne pouvais plus avoir les résultats que j’attendais malgré tout car je vivais l’enfer au quotidien. 
Vers la fin du cursus, j’ai trouvé un objectif : avoir un beau travail et surtout vite partir du collège car c’était insupportable. L’idée de redoubler une seule année m’était insupportable. Ma seule hâte était de quitter le système scolaire. Je me suis vraiment accrochée.
Ce qui m’a sauvée, c’est que l’on m’a toujours appris à être forte et surtout à ne pas laisser les autres gagner. Je me suis donc raccrochée à la vie que je voulais avoir et j’ai commencé à dépasser tout cela, à en parler plus aisément à mon entourage qui m’a soutenue et encouragée. Cela m’a délivrée. On ne peut pas garder cela pour soi. Au lycée j’ai commencé à prendre plus d’assurance et à côtoyer de nouvelles personnes qui m’ont aidé à me sentir mieux dans ma vie et à comprendre ce que je valais. 
 
Un traumatisme présent durant plusieurs années
Mes premières relations amoureuses furent tout de même difficiles. Je suis tombée quelques fois sur des hommes qui me rabaissaient et naturellement j’y croyais.  Même en plaisant aux hommes, cette sensation d’infériorité restait. J’ai réussi à m’en sortir et à renverser la situation, à tout surmonter par mon travail, avec l’aide de mes proches. Etant épanouie désormais en tant que femme je fus tout de même hantée par mes vieux démons longtemps.  
Je préserve en moi quelques séquelles. Comme un profond dégout du système scolaire. Lorsque je vais chercher mon neveu au collège, je ressens une grande angoisse. Cela me projette un instant quelques années en arrière, dans la peau de cette adolescente moquée et seule.   Suite à cette expérience, je sais que je ne pourrais jamais travailler dans le milieu scolaire. La simple vision d’un établissement scolaire me perturbe.  
J’ai peur de mettre mes enfants plus tard à l’école car je ne voudrais absolument pas qu’ils vivent la même chose. Je ne le supporterai pas. Une amie à moi, également harcelée par ses camarades de classe au cours de sa jeunesse, n’arrive plus depuis à se faire approcher physiquement. Elle a systématiquement un mouvement de recul. 
J’ai su que d’autres filles ont été harcelées juste après moi et que durant des années personne n’a pris cela au sérieux. C’est très grave. Aujourd’hui, il faut libérer la parole sur ce sujet, il faut que les gens sachent que ce type de phénomène est bien réel et surtout alerter sur la gravité de cette situation.  A mon sens, il faut travailler sur une plus grande vigilance des enseignants et du personnel des établissements scolaires afin de repérer rapidement un élève en souffrance et d’agir au plus vite.