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Semaine Sainte : La bouleversante confession d’un pénitent du Catenacciu


Maria-Serena Volpei-Aliotti le Dimanche 2 Avril 2023 à 15:10

Le Vendredi Saint, la Corse revivra le jour de la commémoration de la Passion et de la crucifixion de Jésus-Christ. Ce moment, au cœur de la semaine sainte, prend une dimension particulière pour les chrétiens insulaires à travers u Catenacciu, une tradition qui remonte au 13ème siècle et que l’on doit aux moines franciscains. Dans cette procession très suivie, un pénitent anonyme refait le chemin de croix de la condamnation au calvaire. Un ancien pénitent balanin a accepté de témoigner, pour CNI, sur ce moment intense où il a incarné le Christ pendant quelques heures.



Cagoulé, le visage masqué, vêtu d’une longue aube souvent rouge, parfois blanche, des chaines aux pieds et portant une lourde croix, le pénitent est, en Corse, le personnage central de la procession du Vendredi Saint, u Catenacciu. Il va, pour des raisons qui lui sont personnelles, revivre la Passion du Christ et la dure montée au calvaire. Personne ne verra son visage, seul le curé de la paroisse connaît son identité. C’est à lui qu’il faut s’adresser pour devenir pénitent, et il faut être patient car, malgré la dureté de l’épreuve, la liste des candidats est longue. Il faut s’y prendre à l’avance et attendre son tour pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Car porter la Croix, comme l’a fait le Christ, est un acte de foi profond, c’est un moment plus que solennel pour un croyant et qu’il partage ainsi de manière anonyme avec de nombreux fidèles. Rester anonyme est un fait ancré dans la tradition, comme l’explique un ancien pénitent balanin. « D’une année sur l’autre, on ne sait jamais qui est la personne sous la cagoule. Je sais qu’à l’époque, les prieurs s’occupaient des pénitents. Avant, dans la tradition calvaise, il y avait trois pénitents, ce qui ne se fait plus aujourd’hui. Bien souvent, il y en a un, voire deux, mais plus troisCette pénitence est vécue en communion avec ceux qui croient à la rédemption des péchés et à la Résurrection du Christ », débute-t-il.
 
Il faut une foi immense en Dieu
Mais pour quelles raisons souhaite-t-on revivre la souffrance du Christ ? Longtemps, ce fut pour expier une faute grave. Qu’en est-il aujourd’hui ? « Les motivations sont multiples. C’est un besoin de rédemption, une façon d’obtenir le pardon d’un péché, parfois un vœu à exaucer ou un remerciement. Quelque soit la raison, il faut surtout avoir une foi immense en Dieu. Pour ma part, cela doit faire plus de 40 ans que je fais carême. Comme un premier engagement. Le carême aujourd’hui, chacun peut l’interpréter à sa façon. Il n’y a pas de règles précises. On peut se restreindre sur de nombreuses choses matérielles, sur la nourriture. On peut faire un souhait personnel pour célébrer les 40 jours du Seigneur dans le désert »Un jeûne ou une restriction qui prend fin le dimanche de Pâques. « La Semaine Sainte m’a toujours intrigué. J’avais discuté avant avec de nombreuses personnes qui me disaient qu’être pénitent était quelque chose de vraiment mystérieux. Qu’il fallait le faire au moins une fois dans sa vie lorsqu’on est croyant. Au moment de la procession, on ressent des choses inexplicables, que l’on ne peut pas raconter ». 
 
Il fallait que je remercie Dieu de m’avoir aidé. 
Ses raisons personnelles, le pénitent balanin les résume en une simple phrase : « Il fallait que je remercie Dieu de m’avoir aidé ». Alors, il est allé voir le curé « pour lui dire que je désirais être pénitent ». Comment se prépare-t-on à vivre un tel moment ? « Au début de la Semaine Sainte, je me suis mis dans ma bulle. J’ai prié, prié… et le Vendredi Saint, j’ai jeûné toute la journée. Je suis allé chez le curé en début de soirée. Je me suis habillé, je suis resté seul dans une pièce. J’ai encore prié. Puis, je suis allé à l’autel et j’ai attendu. Pour la confession. Lorsque je suis sorti, avant la procession, j’ai eu froid, vraiment froid. Je me suis demandé à ce moment-là, comment j’allais faire pour arriver au bout du chemin. Pieds nus sur les pavés, dans le froid. Et ce qui est le plus incroyable, c’est qu’au moment où j’ai pris la Croix, je n’ai plus rien ressenti »Et c’est là, explique-t-il qu’une mystérieuse transformation s’opère : « Tu ne sens plus rien. Tu n’as plus mal nulle part. Tu es comme transporté. Et je me suis souvenu de ce que m’avaient dit les plus vieux : « Tu verras, c’est incroyable, tu ne ressens plus rien ! ». Et c’est vrai ! ».
 
On ressent toute la misère du monde
Le pénitent le répète inlassablement : c’est une question de foi. « Tu es conditionné à partir. Le curé t’aide, te conseille. Il faut se préparer mentalement et spirituellement. Il faut avoir la foi. Ce n’est ni un jeu, ni du théâtre, il faut vraiment le vouloir. C’est un moment fort et très émouvant. J’ai même pleuré avant de partir en entendant les premiers chants. On a l’impression de ressentir ce qu’a ressenti le Christ. On ressent toute la misère du monde. On a l’impression d’être le pestiféré, ou la personne que l’on veut aider. C’est contradictoire selon qui tu regardes ». Qu’est-ce qui est le plus dur dans ce départ ? « Le plus dur, c’est le départ de la citadelle. Il n’y a pas beaucoup de lumière. Les premiers pavés, la descente. Avant de sortir, tu entends tout le brouhaha du dehors et quand tu sors, plus rien. Le silence. Un silence pesant. Et là, tu te dis : Waouh ! Pourquoi ils ne parlent plus ? Tu es ébloui par les flashs, et tous les regards sont rivés sur toi. J’ai ce souvenir de voir tous ces gens me regarder. Tu as vraiment l’impression de revivre la Passion ».
 
Le plus dur, c’est le regard des gens. 
Comment a-t-il supporté l’épreuve ? « C’est une atmosphère étrange. Tu es seul avec toi même. Les gens sont là, mais n’y sont pas réellement au final. Personne ne sait qui se trouve sous la cagoule. Il y a des regards qui marquent car on a l’impression que par ce regard, il est possible de lire dans les âmes. Reconnaître les bons et les mauvais. On dirait même que certaines personnes portent un drôle de jugement face à l’anonyme. Et cela se ressent à travers ce regard qu’ils posent sur nous. C’est poignant ! On peut presque entendre ce qu’ils pensent : « si tu es là, c’est que tu le mérites ». Ou au contraire, on sent que certains seraient prêts à venir nous aider et se disent : « le pauvre, ça doit être dur ! ». Ce soir-là, il y avait même mes parents. Ils ne savaient pas que c’était moi, et j’ai ressenti qu’ils avaient de la peine pour moi. Comme s’ils savaient qui j’étais ! Ça m’a marqué ! Ce qui est le plus troublant, c’est le regard des enfants. Un regard triste, totalement différent de celui des adultes ». Quelle a été la station la plus difficile ? « Je me souviens que la station la plus difficile est celle de l’église Sainte Marie. Il y a toujours un enfant à côté de toi qui te regarde avec les yeux de l’innocence. Ce regard et celui des personnes âgées te transcendent. Ce sont des regards vrais. Tu cherches un regard familier, un qui va t’aider à avancer, à continuer. Mais en général, les gens, que tu connais, ne savent pas que c’est toi, tu vois qu’ils seraient prêts à t’aider. Encore à ce moment-là, je me suis souvenu de ce que m’avaient dit les vieux. Tout est pareil ». 
 
On ne ressent ni le froid, ni la douleur
Le parcours est long et difficile, la croix très lourde pèse plus de 30 kilos… N'a-t-il jamais ressenti la douleur, la fatigue, le désespoir, pieds nus sur les pavés, lors de ce long calvaire ? « Au départ, juste avant de sortir de l’église, tu pries, tu pries pour y arriver. Et bizarrement, tout le long du chemin, tu ne ressens absolument rien. Ni le froid, ni la douleur, ni le poids de La Croix. Tu es comme détaché de ton corps. Tu es là sans y être. Est-ce du paranormal, de l’adrénaline ? Je ne pourrais pas le dire, mais en tout cas, c’est bien réel à ce moment-là. Puis au moment où tu reposes la Croix, à la fin du périple, toutes les douleurs apparaissent. Tous les pavés sous les pieds, le poids de La Croix sur le dos. Tout ce que tu n’as pas senti durant 2 heures et demie ».
 
On a l’impression d’être lavé
Cette épreuve l’a-t-elle changé ? Comment a-t-il vécu l’après ? « Durant 2h30, tu pries beaucoup, et tu penses à ta famille, aux tiens. Aux péchés. Ce pourquoi tu remercies Dieu. Mais le mieux, c’est ce que tu ressens le lendemain. Tu as l’impression d’être lavé. Tu es vidé de tout, mais dans le bon sens. Et puis, tu ressens toutes les douleurs de la veille. Ton corps se rappelle chaque caillou, chaque douleur de chaque minute. Même la douche te fait mal. Tu ne peux même plus mettre tes chaussures. Tu es entre le vide, la fatigue et l’excitation de l’avoir fait, et malgré cette grande fatigue, tu n’arrives pas vraiment à dormir de suite ». A-t-il envie de le refaire ? « Bien sûr ! Ceux, qui ont la foi, devraient tenter l’expérience une fois dans leur vie. Leur foi n’en sera que renforcée ».