"Arrivée sur Portovecchio, avec en arrière-plan le massif montagneux". Publication inédite d'une aquarelle de C. Rollet, 1890.
Nous sommes là aux prémices de la confrontation entre la possession séculaire des Quenzesi sur leur spiaghja[[1]]url:#_ftn1 de Porto-Vecchio et une entreprise de colonisation génoise, accompagnées d’un domaine d’État considérable, mais créé de toutes pièces, englobant des territoires essentiels aux communautés montagnardes. Ce document revêt une importance significative pour étudier les rapports entre la politique génoise de colonisation et de mise en valeur agraire - entamée après les dernières guerres des Cinarchesi et la chute des grandes seigneuries du Sud - et la population autochtone de l’intérieur, cette dernière se voyant exclue d’un processus qui menace ses possessions vitales.
C’est un prêtre, lo Venerabilj messer preti Ludovico qd. Jovannis da Quenza, figurant sur la liste des gentilshommes locaux en 1537, qui est élu comme député par les hommes du village, pour aller à Gênes faire entendre leur voix devant l’Office de Saint-Georges.
Le commissaire Fornari et le colonel Spinola n’ayant débarqué qu’au début de l’été 1540 pour lancer l’installation de la colonie de Porto-Vecchio, on comprend que les habitants de Quenza n’aient pu réellement s’en inquiéter qu’à la fin de l’été lorsque, redescendus de la montagne, ils virent le commencement de la construction de la citadelle : Le chantier n’avait réellement débuté que depuis deux mois.
Comme pour d’autres fondations coloniales, les Génois se plaisent d’abord à ignorer les droits et usages des indigènes sur les territoires littoraux où ils installent leurs présides : Sur cette partie de l’ancienne seigneurie de la Rocca, moins de 30 ans après la mort du dernier seigneur souverain, Rinuccio, ils déclarent en effet avoir trouvé à Porto-Vecchio « des terres de très bonne qualité et en quantité, et en outre privées d’habitants », selon un contemporain repris par le Pr Antoine-Marie Graziani.
Le prêtre Ludovico proteste et affirme au contraire que si sa communauté s’est réjouie de la fondation de Porto--Vecchio, comme un grand bénéfice pour l’île, notamment face à la crainte des corsaires « Turcs », il ajoute « n’avoir jamais pensé que leurs propriétés et possessions (…) devaient leur être supprimées et perturbées. » De toutes évidences, les rapports avec les étrangers tout juste débarqués sont déjà très tendus… Il déclare en effet que ces « nouveaux habitants et cultivateurs veulent s’étendre en occupant et perturbant les propriétés particulières de ces pauvres habitants » de Quenza. Des propriétés et possessions de vignes, oliveraies, enclos, terrains et autres dont ces hommes et leurs ancêtres ont toujours joui, rappelle le porte-parole (Pare che de questi novi habitanti e coltori (…) si vogliano anchora extendere in ocupare e perturbare ad epsi poveri hominj le proprie e particulare loro proprieta e pocessione tanto de vigne quanto de oliveti et altre proprieta chiossi e terrenj). « Il serait cruel qu’ils soient privés de leurs biens et recevoir un dommage là où ils espéraient un bénéfice », conclue-t-il.
Le prêtre Ludovico fait par ailleurs valoir, outre la défense de ces biens privés, le maintien du droit de pâture pour le bétail des Quenzesi dans tous les espaces de Porto Vecchio non cultivés, tant sur le littoral qu’à la montagne, selon l’usage local, faute de quoi cela serait fatal à la population de Quenza (seria cosa intorelabile a loro e levarli la vita e constringer’ a dezabitare il loco).
Après cette réclamation de 1540, il y aura notamment celles de 1579, de 1601, de 1701, etc. Dans toutes, Quenza défendait ses possessions terriennes et ses droits d’usages que l’État, lorsqu’il se sentait en position de force, tentait de lui renier. Mais par sa proximité immédiate avec la citadelle et le poids de ses familles dirigeantes, la communauté a souvent été mieux entendue que d’autres comme Zonza ou San Gavino affectées par le même problème.
Ce document est d’autant plus important que la très ambitieuse colonisation de Porto Vecchio se révélera un échec cuisant et conduira à-partir du début du 17e siècle à son peuplement par ces mêmes Corses qui avaient d’abord été considérés comme une menace pour la colonie ! En 1600 en effet, soixante ans après sa fondation, la République de Gênes allait constater qu’en plus de la malaria et des raids des corsaires, les Corses de l’intérieur faisaient systématiquement échouer la colonisation du préside par des populations venues de Ligurie en détruisant leurs récoltes et en les persécutant physiquement : « Les hommes des pays voisins (…) font tous les jours beaucoup de dommages et empêchent la culture de ce territoire, envoyant de nuit le bétail détruire les orges et les grains quand ils sont en fleur, et les choses en sont réduites à l’impression que tout le travail et les dépenses faites jusqu’ici sont jetés par la fenêtre, sans espoir de pouvoir avancer si un prompt et opportun remède n’est trouvé » (08 février1600). L
eur ouvrir la porte d’une citadelle désertée fut alors la seule solution pragmatique à laquelle les Génois purent opter, ce qui avait déjà été suggéré par un gouverneur de l’île, Pier Battista Cattaneo, lors d’un précédant échec de colonisation une vingtaine d’années plus tôt.
Le plaidoyer de misser preti Ludovicu est donc le premier d’une longue suite de revendications territoriales et de rapports conflictuels avec les colons et les Gouvernements extérieurs qui ne devaient véritablement s’achever que sous… Napoléon III, lorsque fut mis un terme définitif aux contestations locales avec le Domaine d’Etat.
Le contexte se rapproche ici de celui décrit par Machiavel, qui relevait dans Le Prince que « quand on acquiert des Etats dans un pays différent de langue, de mœurs et d’institutions, c’est là que se trouvent les difficultés, et il faut avoir beaucoup de chances et d’industrie pour les conserver… ». Il suggérait donc « d’y envoyer en un ou deux endroits des colonies, qui soient comme des chaînes pour cet Etat » et ajoutait : « Avec les colonies on ne dépense guère ; avec peu ou pas de frais on les envoie et les maintient ; on ne lèse que ceux à qui on enlève leurs terres et leurs maisons pour les donner aux nouveaux habitants, c’est-à-dire une infime partie de cet Etat. Ceux qu’on lèse, demeurant dispersés et pauvres, ne peuvent jamais vous nuire… »
À Porto Vecchio pourtant, comme ce premier manifeste des habitants de Quenza l’annonce, un maillon de la chaîne coloniale génoise allait être brisé.
Bien sûr, il ne faut pas tomber dans le manichéisme : Les rapports et leurs évolutions sont plus complexes et le « bénéfice » que voulait espérer les Quenzesi de la fondation du préside de Porto Vecchio s’en fait ici l’écho, tout comme leur volonté de peupler eux-mêmes la citadelle, qui s’accomplira par la suite. Mais nous sommes face à un acte précis et précieux, qui alimente un sujet récurrent et central de l’Histoire des Corses et son fil conducteur à-travers les siècles : La défense permanente de leur terre, face aux appétits extérieurs qui souhaiteraient la voir vide de ses premiers habitants.
1 « Plage » : Territoire littoral d’une communauté montagnarde.
eur ouvrir la porte d’une citadelle désertée fut alors la seule solution pragmatique à laquelle les Génois purent opter, ce qui avait déjà été suggéré par un gouverneur de l’île, Pier Battista Cattaneo, lors d’un précédant échec de colonisation une vingtaine d’années plus tôt.
Le plaidoyer de misser preti Ludovicu est donc le premier d’une longue suite de revendications territoriales et de rapports conflictuels avec les colons et les Gouvernements extérieurs qui ne devaient véritablement s’achever que sous… Napoléon III, lorsque fut mis un terme définitif aux contestations locales avec le Domaine d’Etat.
Le contexte se rapproche ici de celui décrit par Machiavel, qui relevait dans Le Prince que « quand on acquiert des Etats dans un pays différent de langue, de mœurs et d’institutions, c’est là que se trouvent les difficultés, et il faut avoir beaucoup de chances et d’industrie pour les conserver… ». Il suggérait donc « d’y envoyer en un ou deux endroits des colonies, qui soient comme des chaînes pour cet Etat » et ajoutait : « Avec les colonies on ne dépense guère ; avec peu ou pas de frais on les envoie et les maintient ; on ne lèse que ceux à qui on enlève leurs terres et leurs maisons pour les donner aux nouveaux habitants, c’est-à-dire une infime partie de cet Etat. Ceux qu’on lèse, demeurant dispersés et pauvres, ne peuvent jamais vous nuire… »
À Porto Vecchio pourtant, comme ce premier manifeste des habitants de Quenza l’annonce, un maillon de la chaîne coloniale génoise allait être brisé.
Bien sûr, il ne faut pas tomber dans le manichéisme : Les rapports et leurs évolutions sont plus complexes et le « bénéfice » que voulait espérer les Quenzesi de la fondation du préside de Porto Vecchio s’en fait ici l’écho, tout comme leur volonté de peupler eux-mêmes la citadelle, qui s’accomplira par la suite. Mais nous sommes face à un acte précis et précieux, qui alimente un sujet récurrent et central de l’Histoire des Corses et son fil conducteur à-travers les siècles : La défense permanente de leur terre, face aux appétits extérieurs qui souhaiteraient la voir vide de ses premiers habitants.
1 « Plage » : Territoire littoral d’une communauté montagnarde.