Chaque été, les incendies ravagent des milliers d’hectares en France, menaçant des habitations, des forêts et parfois des vies humaines. Pour limiter leur propagation, la loi impose aux propriétaires de constructions situées en zone à risque de débroussailler dans un rayon de 50 mètres autour de leur domicile. Cette obligation, inscrite dans le Code forestier, concerne également les terrains voisins, même s’ils ne leur appartiennent pas. En cas de non-respect de cette réglementation, les maires peuvent engager une procédure à l’encontre de leurs administrés, allant de la mise en demeure à l’exécution d’office des travaux avec une facturation au propriétaire concerné.
Dans certaines régions, notamment en Corse, l’application de ce dispositif se heurte à des réalités de terrain complexes. De nombreux maires évoquent des situations foncières qui rendent difficile, voire impossible, le respect de cette obligation. “Comment voulez-vous obliger des gens à démaquiser des terrains qui ne leur appartiennent pas et qui ne sont pas entretenus depuis plus de 50 ans ?”, interroge Pierre Olmeta, maire de Bisinchi. “C’est impossible. Il se pose aussi la question de l'indivision, avec des terrains qui ne sont pas exploités ni entretenus depuis des années, et pour lesquels les frais de défrichement sont astronomiques.”
Selon lui, il est alors impossible d’obtenir les autorisations nécessaires à l’entretien du terrain voisin. “Si le terrain ne vous appartient pas, il faut écrire au propriétaire à qui appartient le terrain pour lui demander si vous pouvez débroussailler chez lui, mais il faut déjà qu’il réponde. Si c’est une parcelle qui a été héritée, il faut trouver le ou les héritiers, mais c’est parfois compliqué. J’ai plusieurs hameaux dans ma commune où je ne connais pas les propriétaires. Enfin, si personne ne répond, il faut saisir le maire pour entrer de force dans le terrain. Tout ça prend un temps fou.”
Une obligation coûteuse
En Corse, les élus locaux décrivent également des obstacles financiers et humains qui freinent largement l’application de l’obligation de débroussaillement. “Le problème, c'est que les coûts de démaquisage sont très importants”, déplore Pierre Olmeta. “Vous pouvez passer la débroussaillage dans les 50 mètres autour de chez vous si c'est de l'herbe, mais quand ce sont des terrains qui ne sont pas démaquisés depuis 50 ans, où il faut élaguer les arbres à deux mètres et couper le gros maquis, ce n'est même pas accessible, le coût est énorme.” Un prix significatif, notamment pour les personnes âgées. “On a essentiellement une population âgée en Corse, et surtout dans les villages. Comment voulez-vous que des gens âgés le fassent déjà eux-mêmes ? Ils doivent payer quelqu’un, mais ils n’ont pas forcément les moyens de le faire.”
Au-delà du coût, le principe interroge, et nombreux sont ceux qui refusent d’entretenir un terrain qui ne leur appartient pas. “Les gens ne veulent pas payer pour des terrains qui ne leur appartiennent pas, alors ils ne traitent que chez eux. Si ce sont des terrains communaux ou des terrains qui appartiennent à une seule personne, c'est autre chose. Mais quand vous avez des propriétés avec des dizaines d’héritiers dessus, c’est compliqué. On va dire que le maire peut obliger à ce qu’on rentre et à payer la facture, mais vous n'avez aucun moyen de faire payer une facture à des dizaines de personnes. C’est impossible de diviser le prix.” Le dilemme est d’autant plus sensible à l’approche des échéances électorales. “Vous connaissez beaucoup de maires qui mettent des amendes à leurs électeurs avant les élections ?”, glisse-t-il.
Face à ces impasses, les élus locaux s’interrogent sur l’avenir du dispositif. Alors que le maire de Bisinchi évoque le besoin d’obtenir une réforme sur les obligations légales de débroussaillement (OLD), d’autres misent sur la sensibilisation et la prévention, même si les campagnes d’information peinent à mobiliser. “J’ai envoyé le courrier aux habitants pour les prévenir qu’il fallait démaquiser, mais ils ne le font pas”, indique Pierre Olmeta. “Ça va devenir un problème majeur dans les années à venir”, déclare Ange-Pierre Vivoni, maire de Sisco et président de l’association des maires de Haute-Corse. “On risque d'avoir des feux gigantesques parce que le maquis est en train de pousser et qu’on arrive vers des étés caniculaires. Si un incendie se déclare sur la commune, les maires vont être en première ligne. Notre responsabilité va être engagée, parce que les gens vont se retourner contre nous en disant qu’on n’a pas fait appliquer la loi.”
Il insiste également sur la nécessité de faire de la prévention auprès des citoyens. “Il faut que les gens débroussaillent de plus en plus autour de leur maison et autour des hameaux pour se protéger des incendies. Les communes ne pourront pas tout faire. Aujourd'hui, les budgets des communes et des communautés de communes ne peuvent plus se permettre de dépenser des centaines de milliers d'euros de ce côté-là, parce qu'on sait qu'on ne récupérera pas tout, voire rien du tout. La prévention va être de mise, et il faut que tout le monde comprenne qu'il doit redevenir un véritable citoyen, parce qu’actuellement, si un débroussaillement est fait à 50 %, c’est déjà bien.”