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Mgr François-Xavier Bustillo : "Il faut changer de moteur dans notre vie, pour passer de la peur à la joie"


Julia Sereni le Mercredi 13 Avril 2022 à 17:25

À l'occasion de Pâques, l'évêque de Corse François-Xavier Bustillo porte un message de paix et de joie aux fidèles insulaires. Au-delà, il livre son analyse de la période de troubles que traversent la Corse et le monde, insistant sur le rôle de l’Église envers la jeunesse.



Monseigneur François-Xavier Bustillo. Photo : Julia Sereni
Monseigneur François-Xavier Bustillo. Photo : Julia Sereni

Au moment de célébrer la fête la plus importante de l’année pour les chrétiens, CNI rencontre l’évêque d’Ajaccio pour la Corse. Quel est votre message aux fidèles insulaires ?

Le message puissant de Pâques, c'est la vie. C’est le Printemps, on est passé par le Carême, on a traversé le désert, et socialement on a vu des conflits, de souffrances et des tensions. Quand on arrive à Pâques, il y a une puissance non pas mortifère, mais une puissance de vie, et il me semble que notre société en Corse, et ailleurs, a besoin de retrouver la vie. Il y a beaucoup de signes mortifères, fatalistes, tristes, et si on continue comme cela, on va sombrer dans une angoisse ou dans la dépression collective. Et donc je me dis que la foi doit servir à apaiser, non pas à anesthésier, la vie. La foi peut nous aider à retrouver la force et la dignité. La foi et la fête de Pâques nous aident justement à retrouver l’énergie vitale pour aller de l’avant. On ne peut pas se limiter à exister, il faut vivre et si possible, vibrer. On ne peut pas se limiter à être des spectateurs de l’Histoire, il faut être acteur de sa propre histoire et de l’Histoire collective. Pour moi, la fête de Pâques, c’est Jésus qui sort du tombeau et qui nous dit : « Mais vis ! Tu as des talents, tu as des capacités, mets ces talents au service des autres. »

Cette année, le carême comme la semaine sainte ont lieu dans une atmosphère particulière, qu’il s’agisse du contexte local, national ou international. Comment célébrer la vie dans un moment si troublé ?

Justement, quand on voit le résultat des élections, la guerre en Ukraine, certaines situations en Afrique, en Amérique ou ici en Corse, la fête de Pâques donne un sens et nous montre une orientation : il faut sortir du tombeau. Donc, il faut de la volonté, de l’intelligence, de la liberté et du coeur pour nous sortir d’une logique de mort et pour aller vers la vie. Jésus nous dit justement à Pâques que la mort ne l’emporte pas. Et c’est la plus belle parole. Souvent, on voit des difficultés tellement graves dans la vie sociale ou personnelle, qu’on se dit qu’on ne s’en sortira pas. Mais c’est la logique de Calimero ! On voit des situations difficiles, on s’assoit, on pleure, on meurt. Alors que tant qu’on a la vie, l’énergie, les capacités, il faut aller de l’avant. C’est important avec Pâques de souligner le mouvement de la vie, sans être naïfs, car nous ne sommes pas au paradis, mais nous avons malgré tout une voie devant nous : celle de la lumière, de la chaleur. On a besoin de crier la vie, au lieu de tout ce qui ne va pas. Nous avons plein de mauvaises nouvelles, mais pourquoi ne pas proclamer aussi ce qui est bon et bien ? Il faut changer de moteur dans notre vie, pour passer de la peur à la joie.

Vous l'avez évoqué, la Corse a été le théâtre de vives tensions et de violences depuis l'agression d'Yvan Colonna. Vous avez appelé à la paix, à plusieurs reprises. Avez-vous été entendu ?

Je trouve que nous vivons dans une société où la paix est fragile. Dire que la paix est fragile ne signifie pas que l’on ne va pas y arriver. Mais quand j’utilise cette formule, cela signifie qu’il faut veiller. Il faut veiller sur nos comportements, sur notre manière de parler, d’agir. Parce que si on n’est pas vigilant, on peut blesser. Et on l’a vu, il y a pu avoir des fractures et des tensions. Quand on est conscient qu’il y a des fragilités, il faut être vigilant, non pas par peur, mais pour viser le bien commun de tous. Je crois que nous avons encore du chemin à faire à tous les niveaux. Et que nous devons nous écouter davantage. Nos élus doivent aussi parler davantage. Il est important que tous ceux qui ont de l’autorité et des responsabilités fassent deux mouvements : écouter et parler. Écouter pour prendre conscience d’une réalité, et parler pour proposer des pistes de solutions. Autrement, on est dans une logique mortifère.

Depuis son agression mortelle, la figure d'Yvan Colonna s'est muée pour certains en celle du « martyr », terme éminemment religieux, qu’est-ce-que cela vous inspire ?

On a parlé de martyr parce que je pense qu’on est en déficit de héros. Nous avons des héros virtuels : Thor, Superman, Spiderman, les stars de la télévision, du cinéma… Parfois ces stars sont des étoiles filantes. Et il nous manque des personnes qui donnent un sens à la vie, qui deviennent des modèles. L’histoire d’Yvan Colonna a montré que dans la société, on a fait de cet homme un martyr. Déjà parce qu’il y a eu un fait extrêmement douloureux et injuste, il a été tué de manière violente, donc c’est choquant. Mais j’analyse et j’essaie d’aller à la racine, et je me dis que nous vivons dans une société en déficit de héros, et que donc nous allons en chercher et nous allons canoniser certains d’entre nous. Peut-être qu’il nous faut mettre en valeur toutes ces personnes qui tirent vers le haut et pas le bas ?

Dans ce contexte, la jeunesse est-elle aujourd'hui pour vous une source d'inquiétude ?

Elle m’inquiète, oui, parce que je vois un potentiel. La jeunesse, il ne faut pas la diaboliser ni l’idéologiser. La jeunesse, il faut l’accompagner et l’éduquer. Je pense qu’il est responsable de la part de l’Église de lui donner une présence, une solidité, une colonne vertébrale par nos valeurs. Quelque chose qui donne la stabilité et la mobilité. Sans cela, on est un mollusque, qui trouve sa stabilité à l’extérieur, comme les moules accrochées aux rochers. Je pense que les jeunes ont besoin des prêtres, des diacres, des catéchistes, des personnes qui les écoutent, qui les conseillent et les orientent. Au lieu d’écouter passivement, au lieu de culpabiliser, de constater, nous devons apporter notre génie. Comment, par notre parole et par notre écoute, nous pouvons sortir de ces jeunes ce qu’ils ont de meilleur ? Le grand défi est là pour l’Église.