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Marie-Thérèse Mariotti : « Nous attendons un vrai plan sur les déchets avec des choix clairs et assumés »


Nicole Mari le Dimanche 28 Février 2021 à 17:06

Le débat houleux sur les déchets, qui s’est tenu toute la journée de vendredi à l’Assemblée de Corse, a cristallisé des visions antagonistes entre la majorité nationaliste et l’opposition. La droite, qui a voté contre, a lancé une charge résolue contre le projet de plan et refusé de participer à la Commission de développement, chargée de le finaliser et de l’amender. La conseillère territoriale du groupe Per L’Avvene, maire de Tagliu-Isulacciu et vice-présidente en charge du dossier des déchets à la Comcom de Costa Verde, Marie-Thérèse Mariotti, revient, pour Corse Net Infos, sur les critiques que son groupe a émises tant sur la forme que sur le fond. Elle explique que la droite a eu raison trop tôt, mais que toutes ses propositions ont été balayées par l’Exécutif.



Marie-Thérèse Mariotti, conseillère territoriale du groupe Per L’Avvene, maire de Tagliu-Isulacciu et vice-présidente en charge du dossier des déchets à la Comcom de Costa Verde.
Marie-Thérèse Mariotti, conseillère territoriale du groupe Per L’Avvene, maire de Tagliu-Isulacciu et vice-présidente en charge du dossier des déchets à la Comcom de Costa Verde.
- Vous avez lancé une charge résolue contre le plan déchets sur la forme comme sur le fond. Que reprochez-vous, d’abord, à la méthode ?
- Ce n’est pas une charge mais un recadrage. Le projet de plan proposé en débat est strictement le même que celui qui a été présenté en Commission du développement en décembre dernier. Les élus avaient, à l’unanimité, refusé de se prononcer tant le projet était inabouti. Il s’agit d’une étude de 577 pages, réalisée par un bureau d’études qui reprend, entre autres, le contexte règlementaire, les acteurs, les missions respectives de chaque acteur, les différents scenarii possibles pour le traitement des déchets... C’est, donc, un catalogue sans choix, sans chiffrage et sans calendrier, alors que le plan est le seul document de planification réglementaire et opposable.
 
- Le document adopté n’est-ce pas un plan ?
- C’est, au plus, un document de travail qui explore toutes les pistes possibles. Un plan est la résultante de choix définis et assumés, c’est le document socle auquel doivent se référer les EPCI, le SYVADEC et l’ensemble des acteurs. Or, dans ce cas, rien n’est défini. Nous sommes tous d’accord pour une gestion publique des déchets, mais une fois que l’on a dit cela, quels sont les modes de traitements des déchets retenus ? L’enfouissement ? La valorisation énergétique ? Comment gérer la crise qui se profile fin 2021 ? Tout cela reste sans réponse. Nous attendons, donc, un vrai plan sur les déchets avec, je le répète, des choix clairs et assumés.
 
- Sur le fond, vous pointez « des erreurs sur le rôle des différents acteurs ». Lesquelles ?
- Il y a confusion entre le rôle des intercommunalités et du SYVADEC. Le document oublie les missions pédagogiques, de sensibilisation et d’accompagnent des intercommunalités, le plan compostage, la collecte du textile, compétences du SYVADEC, alors qu’il lui en attribue d’autres, comme le traitement des flux des déchets des professionnels, notamment du BTP, la réflexion à l’échelle du PADDUC et des SCOT qui ne sont pas de son ressort. Mais ces erreurs peuvent être corrigées facilement… Il y en a d’autres plus gênantes qui le seront difficilement.

- Lesquelles ? Les prévisions que vous jugez sous-estimées ?
- Oui ! On part du constat que la population a progressé en moyenne annuelle de 1,1 % sur la période 1999-2019 sans prise en compte totale de l’impact du tourisme, et qu’elle progressera de + 0,575 % par an pour la période 2020-2033, alors que l’évolution constatée est du double. Le fait de minimiser ces projections de population induit, de facto, une minoration de l’évolution des gisements de déchets ménagers et assimilés à traiter et des besoins de traitement des ordures ménagères résiduelles.    

Tri sélectif à Tagliu-Isulacciu.
Tri sélectif à Tagliu-Isulacciu.
- Vous dénoncez des objectifs de tri sélectif « irréalistes », mais ne sont-ils pas fixés par la loi ?
- C’est une interprétation hasardeuse de mes propos ! La loi fixe des objectifs de taux de recyclage des déchets ménagers de 55 % en 2025, 60 % en 2030 et 65 % en 2035. Il faudra tout mettre en œuvre pour les atteindre. Il est question de trier 100 % du verre, 100 % des cartons présents dans les ordures ménagères résiduelles en collectes sélectives. Et là, j’ai dit que, sans la mise en place des centres de surtri, cela sera impossible.
 
- Des intercommunalités ne jouent pas le jeu, selon les chiffres du Syvadec. Comment l’expliquez-vous ?
- Le fait est qu’il faut des moyens financiers et humains très importants et une grande détermination pour atteindre de tels objectifs de tri à la source. Etant 2ème vice-présidente de la ComCom de Costa Verde, déléguée au budget et aux ordures ménagères, je peux affirmer qu’optimiser les collectes, mettre en place la redevance spéciale auprès des plus gros producteurs de déchets, déployer un plan compostage ambitieux et j’en passe, demande un travail colossal et de l’expertise. Ma Comcom a démarré en 2007 et se hisse aujourd’hui sur la 2ème place du podium avec un taux de tri de 47,5 %. Elle est devenue une référence ! Mais les progrès se constatent sur le long terme. D’où les doutes que nous avions formulés en 2016 quand les Nationalistes avaient fixé des objectifs de tri inatteignables, et nous avions raison. Il est évident que les Comcom, qui n’ont ni moyens, ni expertise, ni expérience, se retrouvent dans des situations difficiles. Il faut, cependant, que les 19 EPCI jouent le jeu pour ne pas pénaliser les bons élèves.
 
- Vous avez défendu l’incinérateur, mais la loi le rend obsolète ?
- C’est faux ! La loi Economie circulaire et la loi de Transition énergétique rendent obligatoire d’ici à 2025 la valorisation énergétique d’au moins 70 % des déchets ne pouvant faire l’objet d’une valorisation matière. Si l’Union européenne met l'accent sur la prévention des déchets et le recyclage, elle encourage vivement la valorisation énergique, en particulier le développement de la filière des combustibles solides de récupération (CSR) et l’incinération nouvelle génération qui produisent de l’énergie. L’option la plus dommageable reste l’enfouissement avec un objectif règlementaire de réduction des quantités de déchets ménagers et assimilés admis en installation de stockage en 2035 à 10% des quantités. Le projet de plan admet, je cite, que « L’incinérateur pourrait être une solution pour respecter les objectifs de limite de la mise en stockage » et « La création d’une UVE apporte une autonomie du territoire pour la gestion des déchets résiduels » même si cette option a été rejetée plus tard dans le plan et dans le rapport du Conseil exécutif. Même si le tri reste incontournable, le groupe Per l’Avvene a toujours défendu la valorisation énergétique, mais nous n’avons jamais rien écarté. Avec la mise en place des centres de surtri, nous espérons que le plan retiendra le développement des CSR dont le bilan environnemental est très positif par rapport au fioul et au gaz.
 
- Quelle est votre position sur de futurs centres de stockage dans chaque territoire ? En prévoyez-vous en Costa Verde ?
- Dans l’amendement n° 18 de la majorité nationaliste, il est précisé que le projet de plan préconise 2 centres de stockage pour 90 000 tonnes/an de déchets inertes. Dans l’amendement n° 23, il est écrit que si le projet de plan prévoit 2 centres de stockage, le Conseil exécutif en propose 4 ou 5 d’une capacité de 20 000 à 25 000 tonnes/an…. Mais le plan définitif devrait nous éclairer d’avantage ! Quant à l’éventualité d’installer un centre de stockage sur l’intercommunalité de la Costa Verde, je rappelle qu’un centre existait à Cervione avec un projet d’extension en 2011. Alors que les travaux étaient prêts à démarrer, les autorisations réglementaires obtenues et le marché attribué, ce projet sous maitrise publique n’a pu être mené à son terme, sous la pression populaire savamment orchestrée par les élus nationalistes de l’époque dont certains siègent dans l’hémicycle aujourd’hui….

- Le nerf de la guerre est le financement. Etes-vous favorable à une fiscalité incitative ou dissuasive ?
- Tout peut être étudié, à commencer par la généralisation de la redevance spéciale pour les gros producteurs de déchets. Elle est effective en Costa Verde. En ce qui concerne son extension aux particuliers, il faut en chiffrer le coût. Est-ce opportun de la mettre en place sur une intercommunalité du rural qui pèse moins de 2 % du tonnage global ? Ce sera à apprécier par territoire.
 

Groupe Per L'Avvene à l'Assemblée de Corse.
Groupe Per L'Avvene à l'Assemblée de Corse.
- Pourquoi avez-vous refusé de travailler en Commission ?
- Ce n’est pas le rôle d’une commission de rédiger un projet de plan. Son rôle est d’amender un document finalisé et d’en préciser certaines dispositions. Plus qu’une Commission, il s’est agi d’une réunion de travail des élus de la majorité pour tenter de clarifier ce qui ne l’était pas dans le document initial. Gilles Simeoni nous reproche notre absence en nous rappelant que nous avions participé aux travaux en 2016. Je lui réponds qu’en 2016, il ne disposait que d’une majorité relative qui l’obligeait à transiger. Il n’en a plus besoin aujourd’hui puisqu’il dispose d’une majorité absolue. Pourquoi donc perdre notre temps ? Nous validons l’option CSR, nous continuons à demander une étude sur une unité de valorisation énergétique dimensionnée, nous applaudissons l’initiative de la CAPA sur le centre de surtri … Autant de points qui ne font pas l’unanimité.
 
- La majorité critique le sur-dimensionnement du projet de la CAPA qu’elle taxe d’« insulte à l’intelligence ». Ces arguments ne sont-ils pas entendables ?
- Ce qui est une insulte à l’intelligence, c’est de présenter une étude qui se fait passer pour un plan qui n’en est pas un et de corriger le tir en adoptant un amendement de dernière minute dans le but de clarifier la position de l’Exécutif ! S’il y a des divergences techniques sur le projet de la CAPA, elles n’avaient pas à être débattues dans cet hémicycle, mais en comité de pilotage auquel l’Office de l’environnement participe. Je constate tout simplement que la majorité nationaliste a sciemment focalisé le débat sur ce que la CAPA fait, ce qui contraste terriblement avec ce qu’elle, elle ne fait pas !
 
- Vous accusez la majorité territoriale d’être incapable de trancher. Elle prétend suivre la loi. Que répondez-vous ?
- Si elle suivait la loi, nous n’en serions plus à tergiverser car la loi est très claire. Généralisation du tri à la source des biodéchets, dès le 1er janvier 2024. Taux de recyclage de 55 % en 2025 : l’objectif fixé en 2016 était de 60 % en 2019 ! Réduction de la production de déchets : rien de tangible dans le projet de plan ! Réduction drastique de l’enfouissement avec 10% maximum de déchets enfouis en 2035. Valorisation de 70% minimum des ordures ménagères résiduelles non recyclées et non compostées avec un renforcement de la filière des CSR. Recyclage de 70% des déchets du BTP.
 
- La majorité vous accuse en retour de critiquer sans apporter de solutions. Qu’en est-il ?
- Toutes nos propositions ont été balayées sèchement, alors que nous avions raison trop tôt ! Nous avons milité, dès 2016, pour la mise en place de 2 centres de surtri et nous nous sommes heurtés à un refus catégorique. Tout ça pour les voir réapparaitre aujourd’hui ! Que de temps perdu ! En juin 2018, nous déposions une motion pour demander que des études sur toutes les formes de valorisation énergétiques - UVE, CSR, méthanisation -, mais les Nationalistes ont voté contre. Nous sommes intervenus à de nombreuses reprises avec Xavier Lacombe pour dénoncer des objectifs de tri inatteignables et des couts insupportables pour le contribuable et les intercommunalités qui attendent toujours que les fameuses conventions soient déployées. Enfin, plutôt que de travailler toujours dans l’adversité, il faudrait mobiliser les forces vives et les experts - Etat, Syvadec, Intercommunalités, CDC - et les moyens financiers à disposition.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.