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Louis Pozzo di Borgo : "une présidence non-bastiaise de la CAB était un pari risqué, c’est un pari réussi"


Nicole Mari le Lundi 4 Juillet 2022 à 20:18

Infrastructures sportives avec les travaux d’harmonisation du stade Armand Cesari, extension de la gratuité dans les transports urbains, bornes de tri sélectif pour les déchets… Autant de dossiers à l’ordre du jour du Conseil communautaire qui s’est tenu lundi soir à la Communauté d’agglomération de Bastia (CAB). L’occasion pour Corse Net Infos de demander à son président, Louis Pozzo di Borgo, premier adjoint à la mairie de Furiani et conseiller territorial Fà Populu Inseme, de dresser un premier bilan de ces deux ans de mandature. Et de lever le voile sur les projets en cours.



Louis Pozzo di Borgo, président de la Communauté d’agglomération de Bastia (CAB), premier adjoint à la mairie de Furiani et conseiller territorial Fà Populu Inseme. Photo CAB.
Louis Pozzo di Borgo, président de la Communauté d’agglomération de Bastia (CAB), premier adjoint à la mairie de Furiani et conseiller territorial Fà Populu Inseme. Photo CAB.
- Après deux ans à la tête de la CAB, quel premier bilan pouvez-vous dresser ?
- Le premier constat est qu’à notre arrivée aux responsabilités, nous avons trouvé une institution en souffrance avec de nombreuses problématiques. Nous nous sommes prioritairement attelés à rétablir le dialogue social, à remettre l’administration dans son rôle et à en faire une administration performante. C’était le plus important. On sait qu’un climat social est toujours fragile, surtout quand on voit les tendances au niveau national avec pas mal de grèves, mais à la CAB, aujourd’hui, il est apaisé et plus enclin à faire avancer certains dossiers.
 
- Est-ce le même constat au niveau des relations avec les maires des cinq communes membres ?
- Oui ! Les relations sont excellentes ! Il n’y a aucune problématique sur le sujet. Bastia est dans son rôle de ville-centre avec son maire, Pierre Savelli, elle est un moteur de la CAB. Ensuite, bien entendu, les quatre autres communes avec leurs spécificités font pleinement partie du projet. Chaque maire, chaque commune, chaque territoire se retrouve aujourd’hui dans notre projet de territoire. Je pense que, du côté des maires, c’est aussi la grande satisfaction.
 
- A votre arrivée, les projets aussi étaient en souffrance. Quelle a été votre priorité ?
- Le premier axe a été la réhabilitation des infrastructures sportives qui souffraient d’un retard historique. Après presque 40 ans sans investissement sur les Cosec et les stades, nous nous sommes attelés à remettre à niveau notre parc d’infrastructures. Le chemin est encore long, mais nous avons beaucoup progressé sur le stade de Furiani, le Cosec de Pietranera... Des travaux sont en cours sur le stade de Volpajo destiné au rugby avec la création d’un vestiaire, mais aussi sur le stade de Miomo avec la pose d’une nouvelle pelouse, la réhabilitation des vestiaires existants et une extension. Nous investissons 5 à 6 millions € sur ces quatre opérations. Le programme d’infrastructures sportives est assez important parce que nous croyons fortement aux vertus du sport pour la jeunesse, notamment pour l’intégration de la jeunesse dans notre société.

Cosec Pepito Ferreti. Photo CAB.
Cosec Pepito Ferreti. Photo CAB.
- Le dossier sportif phare est la modernisation du stade de Furiani. Où en est-on ?
- C’est vrai que c’est le dossier phare de la mandature en matière d’infrastructures sportives, même s’il s’adresse au monde professionnel. Une conférence de presse lui sera dédiée, vendredi. C’est surtout un dossier très populaire, très attendu par les supporters du Sporting et par les Corses en général. Nous avons déjà bien avancé avec le président de l’Exécutif et le préfet de Haute Corse. Il reste une problématique PTIC (Plan de transformation et d'investissement pour la Corse), on ne doute pas que le nouveau préfet de Corse aura une oreille attentive pour la dénouer. Au-delà du sport, le stade Armand Cesari va s’ouvrir à la culture avec un premier concert dans les premiers jours de juillet. Depuis le concert de Johnny Clebb en 1989, il n’avait plus jamais accueilli de manifestations culturelles.
 
- Le stade Armand Cesari a déjà englouti de grosses sommes. Quel est le coût de cette dernière opération ?
- C’est une opération qui se situe autour de 12 millions d’euros. Effectivement, quand on met bout-à-bout les 40 millions d’euros déjà investis pour un résultat médiocre, voire très décevant, plus les 12 millions d’euros à investir, cela donne un stade à plus de 50 millions d’euros. Nous avons une pression assez forte parce que nous devons réussir cette opération. Nous devons, à la fois, maîtriser les coûts et satisfaire le plus grand nombre. C’est pour cela que nous avons eu une méthode très particulière, nous avons multiplié les réunions avec le club, les supporters, les associations culturelles notamment. C’est aujourd’hui un projet partagé, nous avons bon espoir qu’il satisfasse tout le monde.
 
- Autre dossier délicat : les transports où votre politique a essuyé quelques critiques. Qu’y a-t-il de nouveau ?
- Les transports de la CAB sont gérés dans le cadre d’une nouvelle délégation de service public (DSP) transitoire jusqu’au 31 décembre 2024. La mise en place du nouveau réseau a, effectivement, les premières semaines, causé quelques soubresauts qui se sont très rapidement éteints. Aujourd’hui, la satisfaction est générale grâce à un nouveau maillage qui permet de desservir de nouveaux quartiers. Pour autant, nous voulons aller plus loin dans le raisonnement et renforcer le côté social. L’ancienne DSP proposait 2000 gratuités environ. Pour la nouvelle, nous en avions programmé un peu moins de 6000 mais, in fine, au vu de la crise et des difficultés que traverse notre territoire, nous avons changé la règle du jeu. C’est plus de 10 000 personnes qui bénéficieront d’une gratuité totale sur tout le territoire. C’est une première ! Les transports en commun seront réellement au service des populations les plus en en délicatesse avec la voiture en raison du prix des carburants, mais aussi des actifs qui ne peuvent plus faire un plein à plus de 2,20 € le litre de gasoil ou d’essence. C’est une réalité qui fait qu’aujourd’hui, une nouvelle population emprunte les transports en commun. Nous venons d’obtenir l’autorisation du président de l’exécutif pour disposer d’un périmètre élargi. Le réseau concerne l’entièreté de l’agglomération auquel s’ajoutent trois communes extérieures. Deux communes, Biguglia et Brando, étaient déjà dans ce périmètre qui intègre désormais, à partir de ce lundi, Sisco. Donc, aujourd’hui, les transports en commun de la CAB vont de Sisco jusqu’à Biguglia avec des fréquences journalières.

Port de Bastia. Photo CNI.
Port de Bastia. Photo CNI.
- La CAB a la compétence touristique. Au contraire d’Ajaccio, le tourisme n’a jamais été une priorité. Est-ce pour vous un axe de développement ?
- Oui ! Il est vrai que le tourisme n’a jamais été au cœur des préoccupations de la CAB sous les mandatures précédentes. Aujourd’hui, nous avons une vraie volonté politique de le développer. Notre vision est partagée par tous les maires de l’agglomération, les vice-présidents, les divers conseils municipaux et le conseil communautaire. Nous voulons un développement différent de ce que subit Ajaccio. 237 escales croisiéristes prévues sur cette période estivale, c’est colossal ! Ces bateaux sont des géants des mers qui polluent. Certes, il faut lier économie et tourisme, mais sans oublier l’environnement. Nous cherchons, donc, un modèle de développement approprié pour capter de nouveaux touristes. Nous faisons face à l’Italie, nous devons avoir une vraie réflexion là-dessus. Il faut trouver un juste équilibre entre un tourisme qualitatif, économiquement viable, sans tomber dans le tourisme de masse dont nous ne voulons pas. Nous y travaillons d’arrache-pied. L’Office du tourisme, qui est aujourd’hui très actif, développe de nouvelles idées et de nombreuses opérations sur notre agglomération. Lynda Piperi est en charge de la gestion de l’Office du tourisme et Michel Rossi s’occupe de l’attractivité du territoire, ces dossiers sont entre leurs mains, nous avançons bien.
 
- Quelle est exactement votre position concernant les croisières ?
- La Chambre de Commerce et d’industrie (CCI) est un acteur principal du sujet. Aujourd’hui, le port de Bastia n’est pas adapté pour recevoir des bateaux de croisière de grande taille. Les bateaux de croisière, qui rentrent dans le port, sont, donc, beaucoup plus petits que ceux que l’on peut voir à Ajaccio. La croisière, oui ! Mais, de manière maîtrisée avec un tourisme qualitatif qui apporte réellement une plus-value à l’économie de l’agglomération.
 
- Des travaux de sécurisation du port de commerce de Bastia ont débuté. Qu’est-que cela augure de la construction ou pas d’un nouveau port ?
- Quoi qu’il arrive, nouveau port ou pas, les délais de réalisation sont à plus de 10 ans. Donc, ces travaux de sécurisation étaient indispensables puisque le bassin actuel ne répondait plus à certaines normes. Concernant le port à proprement dit, nous sommes à l’heure du choix et la ville de Bastia doit bien entendu être consultée. Dans les mois, pour ne pas dire les semaines à venir, nous devons proposer une vision claire de l’emplacement de ce nouveau port : réhabilitation du bassin actuel ou déplacement de l’infrastructure sur le site de la commune et de l’agglomération. Je pense que d’ici quelques mois, le choix définitif sera opéré.

Visite des travaux en cours.
Visite des travaux en cours.
- Après deux ans de crise sanitaire et une crise économique grave en perspective, quelle est votre stratégie en matière économique ?
- Nous subissons de plein fouet la partie crise économique liée au Covid et nous rentrons dans la partie crise économique liée à la guerre en Ukraine qui génère une inflation sans précédent, notamment sur les matières premières. On sait qu’on va vers des moments difficiles. S’y ajoute un paramètre très important économiquement pour les entreprises : la mise en œuvre des remboursements du PGE (Prêt garanti par l’Etat). Le fameux mur de dette, qui a été annoncé pendant des années, échoit depuis fin avril. Stratégiquement, la CAB doit produire de la richesse. Comment ? En faisant revenir sur notre secteur des entreprises qui ont longtemps fui vers le Sud. D’où l’investissement de 4,5 millions d’euros que nous faisons sur le port de Toga pour le tiers-lieu. Cela va permettre, dans un premier temps, de créer un nouveau modèle d’entreprise, d’aider les entrepreneurs à s’installer sur notre agglomération et à développer des projets.
 
- Qu’est-ce que ce tiers-lieu ?
- Ce tiers-lieu, ce sont 1700 m2 à disposition des futures entreprises. Nous accompagnons un entrepreneur pour développer son projet, nous mettons à sa disposition nos réseaux, mais aussi du foncier, un Fablab, un coworking d’entreprises… Les gestionnaires de ce lieu pourront l’aiguiller, l’aider à monter des dossiers et aussi lui accorder des financements. L’acquisition de ces 1700 m2 nous permettra également de libérer du foncier déjà bâti sur la ZAE (Zone d’activités économiques) et proposer à la location des bureaux pour des sièges sociaux qui se sont malheureusement expatriés plus au Sud de notre agglomération. La stratégie, c’est de ramener de la richesse, redynamiser l’entreprise et le commerce. Nous travaillons d’arrache-pied avec le président de l’ADEC (Agence de développement économique de la Corse), Alex Vinciguerra. Nous serons une des premières agglomérations à signer la convention du SRDEII (Schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation) afin de proposer des financements, des aides, une stratégie économique pour les commerçants et les entrepreneurs.
 
- Autre grand dossier, les déchets. Bastia a mis en place le tri au porte-à-porte et la redevance spéciale pour les professionnels. Avec quels résultats ?
- Effectivement, la CAB a mis en place la redevance spéciale qui permet de différencier le producteur de déchets professionnels qui génère de gros tonnages, de l’administré lambda. Jusqu’à aujourd’hui, la TEOM (Taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères) était calculée sur la superficie du bâti, un appartement ou un commerce, et ne prenait en rien en compte les volumes produits. Ce qui était tout à fait injuste ! Nous avons remis de l'équité au cœur du système. Les restaurateurs et les entreprises vont payer en fonction de leur production de déchets. C’est un changement radical de vision et de stratégie. Il faut du temps pour la faire admettre, encore qu’elle soit très logique ! Une personne lambda ne doit pas payer autant qu’un restaurant ou une entreprise. Les premières semaines de mise en œuvre de cette redevance spéciale sont assez concluantes. Quelques entreprises essayent bien de faire les fortes têtes et de résister, mais, dans l’ensemble, nous sommes satisfaits. Nous irons plus loin d’ici à la fin de l’année. Aujourd’hui, les EHPAD ont été sortis du système et doivent se tourner vers le privé puisque nous n’avons pas le droit réglementairement de collecter les déchets industriels et assimilés ménagers. Le reste des producteurs se verra appliquer une nouvelle tarification. Cela ne se passe pas trop mal, même s’il y a quand même quelques incivilités. Certains EHPAD refusent la non-collecte par la CAB et arpentent les rues de la ville pour déposer des couches et autres déchets liés à leur activité dans les poubelles des uns et des autres ou dans les points de collecte et de regroupement. Nous avons fait plusieurs constats d’huissier, nous en ferons d’autres. C’est une stratégie que nous assumons. Il n’est plus question de passer là-dessus ! Le producteur doit payer en fonction de ses tonnages.
 
- Concernant le tri au porte-à-porte à Bastia, comment réagit la population ?  
- Nous avons développé le porte-à-porte pour les particuliers à Bastia puisque les quatre autres communes de l’agglomération étaient déjà équipées. Bastia n’était pas concerné par le porte-à-porte, ce qui était une injustice ! Nous sommes en train de le développer partout où c’est possible, notamment dans les grands ensembles. Les tournées sont désormais récurrentes avec une ou deux tournées pour les emballages par semaine, idem pour les ordures ménagères. Nous avons équipé 3000 foyers, il y a une dizaine de jours. Nous en équiperons 3000 autres d’ici octobre. Cela signifie qu’environ 20 000 personnes seront concernées par le porte-à-porte. C’est un vrai pas pour Bastia en termes de système de collecte vertueux. Les administrés peuvent trier dans de bonnes conditions. Les quatre communes périphériques sont équipées depuis deux ou trois ans et cela fonctionne bien. Les gens adhèrent totalement avec un vrai réflexe de gestes de tri. Ils ont compris le système, ils ont trois bacs à la maison, c’est du tri flux. Côté emballages, bio-déchets et ordures ménagères, le tri est plutôt bien réalisé.

Conseil communautaire.
Conseil communautaire.
- Autre sujet : la création d’une fourrière animale. Est-elle sur le point d’aboutir ?
- Oui ! Après de nombreuses années de discussions, la fourrière refuge animal va voir le jour. L’aspect fourrière est une compétence obligatoire de l’agglomération, mais nous n’avons pas d’outil dédié, nous avons des marchés publics pour l’enlèvement des animaux notamment. Notre volonté était de créer un véritable outil de fourrière et de refuge animal. Le marché a été attribué cette semaine et les travaux débuteront fin juillet. La Communauté d’agglomération de Bastia sera la première communauté d’agglomération ou communauté de communes à avoir une fourrière et à répondre à cette compétence à des fins aussi de mutualisation des moyens. Toutes les intercommunalités périphériques ont répondu positivement à notre volonté de nous ouvrir sur leur territoire. Ce qui veut dire que nous aurons une fourrière refuge animal qui bénéficiera au Nebbiu, au Cap Corse, à Marana Golu, à Castagniccia-Casinca. Elle sera située sur Furiani à Fornagina.
 
- Vous êtes le premier président de la CAB à n’être pas bastiais. Le pari politique de votre présidence est-il réussi ?
- Le pari politique était audacieux et risqué puisque Bastia n’était plus à la tête de la CAB. Il n’était pas forcément partagé par tous. On parle souvent de politique, mais la CAB n’est pas un outil politique. Le président de la CAB n’est pas un super maire, contrairement à ce qui se faisait précédemment. La CAB n’est pas non plus l’annexe de la ville de Bastia. Il faut prendre la CAB dans son entièreté avec ses cinq communes et leurs administrés. Pour autant, il ne faut jamais perdre de vue que Bastia en est la locomotive. Je pense que politiquement, nous avons démontré en deux ans qu’une commune périphérique et un élu non bastiais peuvent mettre en œuvre une politique économique et sociale claire qui soit en adéquation avec les aspirations des uns et des autres. Politiquement, le pari est gagné. Pour preuve, le climat social apaisé de l’institution et le climat politique apaisé entre les cinq communes, ce qui n'était pas du tout le cas précédemment. On parle toujours de la mandature Tatti, mais on peut aussi parler de la mandature Zuccarelli où pendant des années, CAB et ville étaient un savant mélange qui intéressait soit l’une, soit l’autre. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas ! Nous pouvons nous satisfaire des choix qui ont été faits, puisque l’opération est, pour l’heure, un succès.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.