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Les agrumes corses en vedette sur un livre franco-italien


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Vendredi 10 Mars 2023 à 10:15

Un projet Européen, auquel participait l’INRAE de Corse, vient de déboucher sur la publication d’un livre dédié aux agrumes. Mercredi 8 mars, La Maison du Développement de Moriani Plage accueillait les auteurs et l’éditeur pour une présentation de cet ouvrage paru aux Éditions Alain Piazzola, et qui contribue à mettre en valeur le patrimoine agricole de la Corse.



La présentation du livre
La présentation du livre
« Ce n’est pas mon premier projet avec l’INRAE, explique l’éditeur Alain Piazzola. J’ai collaboré à un ouvrage précédent sur la clémentine, qui a été très très bien accueilli. Les coopératives en ont acheté, car ça allait dans le sens de leur projet. J’ai encore eu une commande il y a quelques mois. Ce qui me plaît dans le travail avec l’INRAE, c’est que ce sont des ouvrages à la fois accessibles et scientifiques. Cela me permet de travailler avec eux sur l’image de ces produits tels qu’on peut la restituer et la défendre, par rapport à la Corse et à la Méditerranée ».

Le résultat est là : un très beau livre de plus de 350 pages, auquel pas moins de vingt auteurs ont contribué, agrémenté de nombreuses photos : Les agrumes du nord de la Méditerranée. L’ouvrage a été édité en deux langues : le français et l’italien. Parce qu’il est le fruit d’une collaboration entre l’INRAE - Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement – et son homologue italien. « C’est précieux d’avoir pu établir une connexion avec un pays qui nous est proche, avec lequel on est lié… », insiste l’éditeur.

La direction scientifique en a été assurée, à parité, par quatre chercheurs spécialistes du sujet : Franck Curk, ancien responsable de la gestion et de la valorisation du Conservatoire des agrumes INRAE-Cirad de San Giulianu, et qui aujourd’hui, travaille à Montpellier sur la génétique des agrumes ; François Luro, lui aussi spécialiste de la génétique des agrumes à la station de recherche INRAE-Cirad de San Giulianu ; l’agronome Giovanni Minuto, Directeur général du Centre d’Expérimentation et d’Assistance Agricole dépendant de la Chambre de Commerce Riviere di Liguria et Directeur du laboratoire de certification CeRSAA ; enfin, Gianni Nieddu, Professeur titulaire en arboriculture au Département d’Agriculture de l’Université de Sassari, en Sardaigne, « l’île sœur », comme il l’a rappelé.

Des foires, des expertises et un jardin d’agrumes…

Initié en 2018, le travail a été réalisé dans le cadre du programme Européen Interreg A Maritime qui regroupe cinq régions – la Ligurie, la Toscane littorale, la Sardaigne, PACA et la Corse –, toutes parties prenantes, sauf PACA. « Ça s’est monté très vite, se souvient François Luro, avec, comme chef de fil, la commune de Savone qui est à l’origine du projet. L’objectif était de soutenir les petites PME et TPE de ces quatre régions qui faisaient de la transformation à partir d’agrumes ». Le livre n’est en effet que l’aboutissement du processus. Des foires ont été organisées dans ces quatre territoires et notamment à Savone, Siniscola, Livourne, auxquelles participaient des entreprises de chaque région partie prenante. C’est ainsi par exemple qu’un transformateur corse produisant du jus de citron ainsi qu’un producteur de moutarde à base d’agrumes, ont pu présenter leurs produits en Italie. Un deuxième volet était la réalisation d’expertises car « des producteurs d’agrumes italiens nous ont aussi demandé des conseils sur les plantations, les traitements ». Étaient également partenaires du projet les communautés de Siniscola et de Savone, ainsi que l’Office de Développement de Livourne et l’Université de Pise. La Baronie, autour de Siniscola, est l’ultime localisation d’un agrume endémique très ancien, la Pompia, traditionnellement utilisée pour la préparation de fruits confits.

Quant à l’agrume emblématique de Savone, c’est le Chinotto, une petite orange amère qui offre de multiples produits dérivés, allant des liqueurs aux boissons gazeuses, des confitures à la pâtisserie, en passant par les cosmétiques et les parfums… Toujours dans le cadre du projet, un jardin d’agrumes en pot a été créé à Savone, avec les conseils des agronomes de l’INRAE.

Fédérer les territoires du Nord de la Méditerranée

Dernière pierre apportée à ce travail collaboratif, le livre a donc été présenté mercredi soir à un public averti : outre plusieurs élus ou dirigeant de collectivité – comme les représentants de San Nicolai, le maire d’e Valle di Campulori, ou le directeur de la Communauté de Communes – sont venus découvrir l’ouvrage, plusieurs producteurs, agrumiculteurs, transformateurs, partenaires de recherche et développement – l’Inter Bio Corse, l’Areflec, le CRVI – , le lycée agricole et même des restaurateurs descendus du Cap Corse… Les échanges ont été nourris entre cette salle de passionnés et les principaux auteurs, les deux chercheurs italiens intervenant en visio. L’objectif de l’ouvrage est « de fédérer des territoires sur le Nord de la Méditerranée, avec un sujet commun : les agrumes », a rappelé Giovanni Minuto.

Une culture qui, historiquement, a dessiné l’environnement côtier – et pas seulement – ; une culture qui a marqué l’histoire du paysage. « Ce sont les témoins silencieux des événements historiques des derniers siècles », a-t-il assuré.

L’histoire et la dimension humaine…

L’intérêt de l’ouvrage est en effet de ne pas se limiter à la description des variétés, à des conseils de plantation et de traitements contre les pathogènes, ou au détail de la valorisation de tous les sous-produits comme les pépins ou la peau – « Tout est bon dans les agrumes ! » – … Au-delà de ce volet technique et pratique, de ces transferts d’expériences qui permettent d’améliorer les caractéristiques des productions ou leurs défenses biologiques, on découvre en toile de fond, à la lecture du texte, toute une dimension humaine : avec les usages qu’au fil du temps les hommes ont fait de ces agrumes, dans l’alimentation, la pharmacie, les cosmétiques… Avec les impacts que cela a eu sur la population : Giovanni Minuto explique comment le développement de la production du Chinotto en Ligurie, au siècle dernier, a généré un revenu supplémentaire, permettant aux agriculteurs d’envoyer leurs enfants à l’école.

Gianni Nieddu rappelle la façon dont les populations de Sardaigne, surtout sur la côte orientale, ont su valoriser cet hybride naturel qu’est la Pompia, traditionnellement utilisée pour la fabrication des sucreries, et dont la culture était en voie de disparition. Ainsi, la dimension économique paraît essentielle : valoriser l’ensemble des usages en les transformant en activités économiques, permet de valoriser le territoire.

La clémentine de Corse : une success story !

Cette valorisation des territoires est au cœur du travail réalisé. Et dans ce cadre, la Clémentine de Corse est un cas d’école : « C’est la success story du groupe, sourit Franck Curk. L’exemple du bon élève ! »
Une exemplarité que confirment ses collègues italiens. « Beaucoup de zones de production d’agrumes ont fait un choix variétal. Ce n’est pas le cas de la Corse pour qui, ce qui est important, c’est le terroir... ». Et le terroir, c’est aussi l’humain ! Fruit de ce choix, l’IGP obtenue par la Clémentine de Corse lui a permis d’être présente au-delà de l’île, malgré la faiblesse des volumes produits. Miser sur la traçabilité, sur les savoir-faire, permet donc de valoriser le territoire et d’augmenter la valorisation des produits, souligne Giovanni Minuto, rappelant l’importance du marketing et d’une bonne communication. « On a un climat, un environnement, qui expriment beaucoup les arômes et de manière intéressante, a renchéri Franck Curk. Le citron vert, par exemple, c’est un fruit local et avec un parfum ! On ne fait pas mieux en qualité ! Il vaut le valoriser, communiquer… »

Un futur riche de promesses

Le climat ? Quand on en parle… Et si le changement climatique en cours était une chance pour la Corse, en ce qui concerne les agrumes ? Les oranges produites aujourd’hui sur l’île, depuis la quasi-disparition des gelées, sont d’une excellente qualité. Alors que ce n’était pas le cas lorsqu’en 1925, on a planté les premières clémentines en Corse : simplement parce que, contrairement aux oranges, ces fruits pouvaient être récoltés avant les gelées… « Peut-être qu’avec le réchauffement climatique, le Nord de la Méditerranée pourrait devenir le futur eldorado des agrumes, souligne Mathieu Donati, Directeur d’Agrucorse, la station de conditionnement des agrumes de Folelli. Nous avons des atouts en Corse pour développer tout le panel des agrumes. C’est peut-être une voie pour la jeunesse et pour le développement économique de l’île ! ».
La Corse est peu exposée à la sécheresse, confirme Franck Curk, même s’il faut dès aujourd’hui se poser les bonnes questions sur le type d’agriculture à y développer – pour apprécier les futurs besoins en eau –, et même s’il serait utile de s’attaquer aux pertes du réseau de distribution. Peut-être faudrait-il aussi aller voir ce qui se fait en matière d’irrigation au Maroc ? « Ils ont un système de gestion de l’eau adapté… »

En complément, « l’INRAE travaille actuellement sur des porte-greffes adaptés à la sécheresse, avec des systèmes racinaires plus profonds… Enfin, tous les agrumes ne nécessitent pas autant d’eau ». Le citron caviar, par exemple, avec ses petites feuilles, en est un faible consommateur. L’avenir des agrumes en Corse semble donc assuré, pour peu qu’on le prépare avec sérieux…
La soirée s’est prolongée autour d’un verre, permettant aux professionnels de nouer des contacts et de poursuivre les échanges.

Les auteurs
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