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« Le statut de résident ne vise pas à brimer les Corses, mais à les enrichir »


Nicole Mari le Lundi 28 Avril 2014 à 23:37

L’adoption du statut de résident par l’Assemblée de Corse (CTC), jeudi dernier, est, après celle du statut de coofficialité de la langue corse, une nouvelle grande victoire politique des Nationalistes. La question foncière et la protection de la terre sont un pilier d’un combat qu’ils mènent depuis des décennies. Le conseiller territorial nationaliste modéré, leader de Femu a Corsica, Gilles Simeoni, revient, pour Corse Net Infos, sur ce vote, sur l’urgence foncière, sur l’incertitude d’application de ce statut qui nécessite une révision constitutionnelle et sur les craintes qu’il suscite.



Gilles Simeoni, conseiller territorial, leader de Femu a Corsica et maire de Bastia.
Gilles Simeoni, conseiller territorial, leader de Femu a Corsica et maire de Bastia.
- Quelle est votre réaction après le vote du statut de résident ?
- C’est, d’abord, un sentiment de satisfaction. La question foncière a, toujours, été au centre des préoccupations de l’ensemble des Nationalistes. Elle est, pour nous, une question fondamentale et vitale. Ce vote, qui clôture une phase de travail de plusieurs années, est, incontestablement, une étape importante au plan politique, symbolique et, même, juridique. Mais il n’est, en aucun cas, un point d’aboutissement. D’ici à l’éventuelle effectivité des décisions que nous avons prises, le chemin est encore long. Pendant ce temps, les mécanismes de spoliation et de spéculation continuent de produire leurs effets négatifs et même s’accroissent. L’urgence n’a, donc, pas seulement disparu, mais s’aggrave !
 
- L’ampleur des éléments d’incertitude ne remet-elle pas en cause l’effectivité du statut ?
- Le débat sur le foncier s’inscrit dans la trame plus générale d’une révision constitutionnelle pour obtenir les outils juridiques, politiques et financiers permettant de répondre utilement à des problèmes que la CTC et les Corses ont identifiés comme vitaux. Il s’agit de la question fiscale, de la langue, du foncier et même du développement économique. Pour l’instant, il faut le dire avec force : le dialogue avec l’Etat est au point mort ! Ce ne sont pas les quelques venues de Mme Lebranchu (ministre de la Réforme de l’Etat) qui sont de nature à nous rassurer ! Si nous additions ses propos et ses réponses concrètes, les avancées sont proches de zéro !
 
- Etes-vous inquiet ?
- Pour nous, tous les signaux sont au rouge ! L’attitude de l’Etat est d’autant plus inquiétante qu’elle perdure depuis de nombreuses années. Paris doit impérativement infléchir, de manière radicale, sa position. Nous espérons que cette inflexion radicale interviendra dans les toutes prochaines semaines, sauf à priver le dialogue ébauché de toute portée politique concrète !
 
- Dans ces conditions, ce vote est-il vraiment utile ?
- Il est non seulement utile, mais il est indispensable ! Surtout, à un moment où la Corse à tous les niveaux, au plan politique, économique, social, culturel et sociétal, est véritablement à un point de bascule. Il est essentiel que la CTC, qui est, quand même, l’institution en charge de la défense des intérêts matériels et moraux de notre île et de son peuple, dise d’une voix aussi forte et aussi unie que possible que les Corses veulent de véritables perspectives politiques. Si ce vote est indispensable, il ne suffit pas ! Il faut, aujourd’hui, se donner les moyens de concrétiser les différentes délibérations que nous avons adoptées, tantôt à l’unanimité, tantôt à de très fortes majorités.
 
- Vous demandiez dix ans de résidence minimum, le statut voté n’en prévoit que cinq. Est-ce suffisant ?
- Un dispositif est toujours perfectible. Il est clair que le statut de résident posera des problèmes juridiques au plan interne avec la nécessaire révision de la Constitution, mais également au plan européen. Il faudra engager une discussion avec les Autorités communautaires et, éventuellement, avec la Cour de justice européenne pour démontrer que ce statut est compatible avec les règles du droit communautaire. Cette discussion sera difficile, mais aboutira positivement s’il existe une vraie volonté politique de concrétiser ce que nous avons commencé à mettre en œuvre. La réflexion n’est pas achevée au plan juridique. La délibération votée précise qu’une réflexion complémentaire doit être menée sur un certain nombre de points sous la double égide de la Commission des compétences législatives et règlementaires et de la Commission du développement économique.
 
- Ce statut suscite beaucoup d’inquiétudes et de controverses au sein même de la société insulaire. Comment les apaiser ?
- Il faut continuer à faire œuvre de pédagogie vis-à-vis d’un certain nombre de publics, que ce soient les Corses de l’île ou ceux de la diaspora. Il faut leur expliquer que la politique foncière de la CTC, dont le statut de résident est un élément, est cruciale. Elle ne vise pas à brider ou à brimer les Corses, mais au contraire à les enrichir collectivement et individuellement. Il faut faire comprendre aux Corses que vendre leur terre dans les conditions spéculatives actuelles n’est pas, comme on le croit, une bonne affaire, mais appauvrit les générations à-venir !
 
- Que pensez-vous de la position de la Ligue des droits de l’homme (LDH) qui s’inquiète de l’ouverture du statut à la diaspora et la juge dangereuse ?
- Je n’interprète pas de cette façon le courrier de la LDH. Il est indispensable d’étendre le dispositif protecteur, organisé par le statut de résident, aux Corses de la diaspora qui ne doivent, en aucun cas, être exclus, de près ou de loin, de la possibilité d’accéder, comme les autres Corses et les résidents, à la propriété. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé un amendement qui le précise explicitement. Son principe a été retenu. Nous verrons selon quelles modalités techniques, les plus efficaces et les plus pertinentes, nous le mettrons en œuvre.
 
- L’extension à la diaspora ne rend-elle pas le statut encore plus complexe à appliquer et encore plus susceptible d’être rejeté par Paris ?
- Non ! La portée juridique est la même. Pourront accéder à la propriété les personnes qui démontreront que le centre de leurs intérêts matériels et moraux se trouve en Corse depuis au moins dix ans. Cette notion de centre d’intérêts matériels et moraux existe en droit français. La CTC pourra, dans ses textes normatifs, préciser les critères pour bénéficier du statut de résident : par exemple, un lien à travers des ayants-droits, c’est-à-dire des ancêtres qui ont vécu en Corse, une sépulture, le village, etc… Cette disposition vise à permettre aux Corses de la diaspora d’accéder librement à la propriété foncière et immobilière.
 
- Le statut inquiète aussi beaucoup le secteur du bâtiment qui craint une chute drastique de son activité. Que lui répondez-vous ?
- C’est le troisième public vis-à-vis duquel il faut faire œuvre de pédagogie. La mise en œuvre du statut aura, incontestablement, un effet déflationniste sur la construction immobilière. C’est même un de ses objectifs dans le domaine de la construction des résidences secondaires. Mais le flux d’activités sera réorienté, notamment vers la construction et la réhabilitation du bâti de l’intérieur, l’éco-construction, la politique de logement social soutenue par la CTC, etc. Aussi, non seulement le statut n’entraînera-t-il pas d’appauvrissement, mais générera même un accroissement et un enrichissement pour le secteur du BTP.
 
- Autre argument avancé contre le statut : son aspect discriminatoire. Pourquoi dites-vous qu’il est de mauvaise foi ?
- Je rappelle que les règles de l’Union européenne interdisent d’établir des discriminations fondées sur la nationalité. Le statut de résident, tel que nous le prévoyons, n’implique aucun critère de nationalité, ni, à fortiori, aucun critère ethnique. Une personne, quelque soit son origine, pourra être résident corse. Il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Le principe d’égalité, comme tous les principes, accepte, dans le droit français comme dans le droit européen, un certain nombre d’exceptions et de dérogations lorsqu’elles sont fondées sur un intérêt légitime. En l’espèce, l’intérêt est plus que légitime !
 
- Est-ce le but de l’amendement, que vous avez déposé, sur le lien entre le peuple corse et sa terre ?
- Oui. Au-delà des dispositions techniques, le soubassement fondamental de toute la politique foncière et, donc, du statut de résident est de réaffirmer, solennellement, que le lien entre le peuple corse et sa terre a été construit et nourri par l’insularité et l’histoire. Il est un élément fondamental et intangible de notre identité collective. Nous avons, donc, proposé, en ce sens, un amendement qui a été repris, enrichi et qui figure au titre de l’article 2 de la délibération votée.
 
- Après le vote de la langue, celui encore plus délicat du statut de résident, n’est-il pas, pour vous Nationaliste, le signe que la Corse change ?
- Il est difficile de hiérarchiser entre des votes qui ont, tous, une importance fondamentale. Mais, il est vrai que le rapport à la terre est, pour nous, quelque chose d’essentiel qui est pratiquement de l’ordre de la philosophie. Je pense au rapport que le peuple kanak entretient avec la terre de Kanakie et qui a, d’ailleurs, été consacré, y compris dans la loi constitutionnelle organisant les nouveaux rapports politiques en Nouvelle-Calédonie. Les Corses, individuellement et collectivement, entretiennent avec la terre de Corse un lien historique, quasi-mystique, qui est, à notre sens, inusable et qui doit le rester. Le slogan, apparu dans les années 70 « Persa a terra, persu u populu », est plus que jamais d’actualité ! Un peuple, qui n’a plus sa terre ou sa langue, est amputé d’une partie essentielle de ce qui le fonde. Le vote sur le foncier est, donc, pour nous, un vote décisif et essentiel.
 
Propos recueillis par Nicole MARI